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Ecriture

Lucien Rosenblat : rendre des poèmes possibles

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L'art de la poésie

J’ai rencontré Lucien Rosenblat pour la première fois en mars 2009 à la Bibliothèque municipale de Soissons. J’assistais en tant que correspondent de presse au vernissage d’une exposition de poèmes créés à l’atelier d’écriture qu’il tenait à l’hôpital de Soissons. Interpellé par la différence entre la simplicité des souvenirs et sentiments et la tenue littéraire de leur mise en mots, je lui demande de définir son rôle. Il n’a pas de réponse précise. Je persiste : s’agit-il d’aider les auteurs ? Non. Ou de les « accoucher » ? Non. De discuter avec eux ? Non. D’assister à l’enfantement ? Ce n’était pas ça. De traduire ce qu’il entendait ? Non, pas du tout.

Je n’ai plus insisté.

En 2011, frappé à nouveau à l’inauguration d’une suite à cet atelier par le contraste entre les niveaux d’expression, j’ose reposer la question du processus d’écriture. Lucien Rosenblat me regarde. « Je réfléchis depuis deux ans à votre question. Je peux dire comment ça se passe, mais non pas ce qui se passe. » En effet, il parle longuement avec la personne, jusqu’à détecter un changement de sujet, de rythme, une autre résonance. C’est au détour de la parole que l’essentiel est dit. « Alors je commence à noter. C’est une co-écriture. » En effet, sa main d’écrivain explique l’élégance des formes, alors que les émotions viennent des auteurs. Il insiste qu’il parle du processus, sans pouvoir expliquer le mystère de la créativité.

Lucien Rosenblat devant des poèmes qu'il a rendu possibles.

Lucien Rosenblat devant des poèmes qu’il a rendu possibles.

En 2013, nous nous retrouvons à un troisième vernissage. Lucien Rosenblat va plus loin dans son analyse. « Ce n’est pas le contenu qui compte, c’est la forme. » L’écrivain aide à la mettre en mots, mais « la forme vient du patient. » C’est comme si les mots employés comptaient moins que le fait, pour un patient, de les structurer, de créer un poème. Il devient poète. « L’objectif est de changer le regard sur le patient, sur le soin et sur la démarche artistique. » Car un créateur n’est plus un malade passif qui subit ses soins. Plus que cela, l’art n’est plus réservé à un milieu d’artistes : la maladie devient la porte d’accès à la création, et non pas une barrière.

L’année dernière, il y a eu une nouvelle exposition. Entretemps nous nous étions fréquentés, nous nous tutoyions. Lucien reformule ce qui se passe entre lui et chaque auteur de poèmes.

« Nous commençons en tête à tête, on parle du temps ou de la soupe du soir, puis on tombe sur un mot, qui en entraîne un autre, un autre. » Il finit par détecter un sens presque souterrain, qu’ensemble ils font monter à la surface. A chaque fois il est évident que « le patient aurait des choses à dire s’il savait parler. » A deux, ils flairent une préoccupation, une source de tristesse ou de joie, au présent ou dans le passé. Ensuite, Lucien ne fait que mettre en forme cette idée, l’image, un souvenir.

Voilà l’itinéraire que nous avons parcouru, chacun suscitant une série de réactions chez l’autre. Je conclus que ce qui passait entre Lucien et le patient, en restant mystérieux, même incompréhensible par la logique, était d’une grande force et d’une grande délicatesse. Etait-il passeur ? Laissons tomber les images : il rendait des poèmes possibles.

denis.mahaffey@levase.fr

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