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Théâtre

Le rire à deux vitesses

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L'art de l'humour algéro-français.

Photo Christophe Vootz

                         Photo Christophe Vootz

Le spectacle « Bled runner » du comique Mohamed Fellag au Mail comprend un mini-cours de philosophie, avec sa définition du « Murisme », tel que le pratiquent les désœuvrés dans la rue en Algérie. « Ils s’appuient contre le mur et regardent ce qui se passe. C’est la version algérienne de l’Existentialisme. J’existe parce que je suis. »

La salle contenait un gros deux-tiers de personnes (de tous âges) qui partageaient l’héritage culturel et historique de Fellag, et un petit tiers d’autres. Une ambiance effervescente, mais avec quelques décalages. Ses histoires se terminent souvent par une réplique en arabe. La majorité rit. Il la traduit en français. La minorité suit.

Mon voisin, de la génération de Fellag, ne peut pas s’empêcher de se tourner vers moi plusieurs fois : « C’est vrai, ça ! »

Le sujet est moins l’Algérie que l’histoire qu’elle partage avec la France, et ses bouleversements. A l’école il répond allègrement « Les Gaulois » à la question « Qui sont nos ancêtres ? » ; la même réponse lui attire des foudres après l’indépendance. Il ne donne pas que dans le pittoresque : « Mon père a acheté un poste de radio. C’était la seconde chose moderne que nous avons vue, l’autre étant la gégène. » Car il a grandi pendant la guerre.

Les enfants allaient voir des films d’épouvante. Que faire si un vampire les poursuivait en sortant dans la nuit ? « Il fallait une croix. » Alors comment un musulman écarterait-il le suceur de sang ? « Il y aurait éventuellement la main de Fatma. ».

« Au cinéma nous apprenions aussi comment faire avec les femmes. Mais il n’y en avait dehors. Alors nous tombions amoureux des grandes stars : tenir la main d’Ava Gardner, danser avec Marilyn Monroe, embrasser la plus grande » – il s’allonge par terre – « Brigitte Bardot. » Il lève la tête. « Attention, l’ancienne, pas celle d’aujourd’hui… » Il conjure sans pitié cette image en levant la main à deux pouces de Fatma.

A Marseille pour la première fois, il est abasourdi par le nombre d’Arabes dans les rues. « La France, c’est une Algérie française qui a réussi ! »

L’histoire franco-algérienne, telle que Fellag la raconte, ferait penser à la longue vie commune d’un vieux couple mal marié, abusif, violent, qui a divorcé sans pouvoir oublier ce que chacun a fait, mais aussi apporté, à l’autre.

denis.mahaffey@levase.fr

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