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Théâtre

Lettres de guerre : s’écouter enfin

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L'art de l'écoute

Les lecteurs : de g. à dr. Nicolas Pierson, Arnaud Duminil... et le troisième.

Les lecteurs : de g. à dr. Nicolas Pierson, Arnaud Duminil… et le troisième.                                        Photo M. Besset

Avec les images des « Paysages de guerre » en toile de fond, des « Lettres de guerre » seront lues à l’ouverture de cette double exposition à l’Arsenal.

Wilbert Spencer, officier anglais de mère allemande, lui raconte la trêve de Noël 1914, ce moment où la guerre s’est butée au sentiment de fraternité entre les adversaires.

Waldemar Möller, 23 ans, écrit à ses parents en Allemagne. Il a été témoin d’une attaque au lance-flamme dans les lignes françaises, mais prévient : « Vous ne devez l’écrire ou en parler à personne. »

Henri Floch, soldat français, s’adresse une dernière fois à sa femme. Il va se confesser, puis sera fusillé pour abandon de poste. « Je meurs innocent du crime qui m’est reproché. »

Le jeune Matthias lit une lettre de sa mère bavaroise. Face aux protestations civiles, les militaires prussiens ont dit aux mères de famille « qu’elles devraient mener leurs enfants dans les champs et qu’ils y mangent l’herbe ».

L’Ecossais James Milne gribouille une lettre d’adieu à sa femme avant l’attaque. Il la gardera dans sa poche, dans l’espoir qu’une bonne âme la lui fera parvenir.

Eugène Poézévara décrit pour ses parents la fin des combats : le soudain silence, mais la mort « qui plane encore ». Deux heures d’attente, « et c’est fini. »

Ces lettres, parmi la quinzaine qui composent « Lettres de Guerre/Letters from the war/Feldpostbriefe », ouvrent de petites fenêtres intimes sur ce qui se passe pendant une guerre.

Ce qui frappe l’auditeur est que ceux qui doivent s’entretuer ne montrent que passagèrement leur hostilité envers leurs adversaires dans les tranchées en face. Les militaires de chaque côté expriment la souffrance physique et morale, la peur, la révolte, les traumatismes, mais aussi la foi, la bravoure, l’humour qu’ils ont en commun. Ils écrivent à ceux qu’ils ont laissés « à la maison » des lettres d’amour, exacerbée par la perspective de ne pas les revoir.

C’est Jacques Delorme, metteur en scène de la compagnie L’Art et la Manière, qui a conçu cette approche englobant alliés et ennemis dans la même peine. Il a recruté trois lecteurs, Nicolas Pierson, professeur de collège et lycée, pour les lettres en français, Arnaud Duminil, germaniste qui a enseigné l’allemand au collège, pour traduire et lire les lettres en allemand, et Denis Mahaffey pour traduire et lire les lettres en anglais.

Les trois lecteurs ont cherché et sélectionné eux-mêmes ces lettres, dont les auteurs sont aussi bien français et britanniques qu’allemands et autrichiens, irlandais, américains. La mise en scène de Jacques Delorme crée un cadre presque chorégraphique, dans lequel les textes s’entrechoquent ou s’éclairent, et où les trois acteurs sont intensément complices et attentifs entre eux. C’est comme si, cent ans après les combats, ennemis et alliés s’écoutent enfin.

« Lettres de guerre », Arsenal, 3 mai à 20h.

L’Art et la Manière, tél. 06 82 23 87 74 ; contact lartetlamaniere02@gmail.com.

[Cet article reprend des éléments d’un précédent texte de novembre 2016, après deux représentations au Fort de Condé et à Pargny-Filain.]

denis.mahaffey@levase.fr

DM ajoute :

Il fallait un accent. Comme j’en possède un, et pas des moindres, j’ai accepté la proposition de lire les lettres écrites par des militaires de langue anglaise. Pour commencer je l’ai fait « pour être arrangeant » car, à la différence de Nicolas (Pierson) et d’Arnaud (Duminil), je n’ai pas des habitudes d’acteur.

La recherche et le choix des lettres en français, en allemand et en anglais ont déjà créé un esprit d’équipe.

La lecture a pris forme sous l’œil appliqué du metteur en scène. Puis j’ai commencé à aimer lire ces lettres, à sentir les hommes qui les avaient écrites et l’émotion dans leurs mots. Je me suis habitué à exprimer ces émotions à leur place (un sanglot m’a surpris la première fois, maintenant je le laisse sortir chaque fois, parce que cela fait partie du jeu). J’ai compris qu’un acteur joue ce qu’on lui demande de jouer, mais que c’est sa propre vérité qui donne de la force à ce jeu. Je ne deviens pas un autre, je le fais voir à travers moi-même.

Nicolas, Arnaud et moi, nous nous sommes ouverts ensemble au regard du public, et cela crée quelque chose qui fait penser à ce beau sentiment, la fraternité.

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