C’est chaque fois ainsi : Eric Fiat soulève un sujet tellement vaste qu’il paraît impossible à cerner en une heure de demi ; puis il se met à le commenter et à l’analyser, et la signification et les implications émergent à travers ses propos à la fois savants, élégants, surprenants et pleins d’humour. Son discours est toujours accessible, ses exemples éloquents. D’exégèse en clins d’œil, le thème commence à prendre du sens pour ceux qui écoutent. Comment ne pas avoir compris ce qui est si clair ? Pourquoi ne pas l’appliquer dans la vraie vie, une fois sorti de la conférence ?
Il a adopté cette approche en 2017 avec « La peur », en la survolant et en identifiant les différentes formes qu’elle prend. Cette fois, il aborde la question de la fatigue.
« Je suis fatigué ! » : dit-on en se levant, en travaillant, en se couchant, en n’arrivant pas à dormir ou en sortant d’un sommeil trop lourd.
Vue ainsi, la fatigue serait un adversaire à confronter dix fois par jour, à vaincre pour ne pas en être vaincu. Il faudrait être Superman pour écraser la fatigue.
Eric Fiat considère ce frein à l’activité perpétuelle surtout comme révélateur de notre condition humaine. Il y voit « l’émouvante attestation de l’effort que nous faisons pour accomplir notre dur métier d’exister ». Le repos est difficile à trouver pour l’être humain, taraudé par son intelligence et qui lutte contre ses instincts.
Vue sous cet angle, la fatigue serait plutôt à recevoir comme un bienfait, un moyen pour chacun de récupérer ses forces au lieu de les épuiser.
Une bonne fatigue dit « Arrête ! » au corps, qui doit l’accueillir au lieu de résister. Après un travail bien fait, une victoire sportive, un élan amoureux, la fatigue rend possible un repos qui fait du bien, restaure la forme, donne du cœur pour recommencer.
Certes, il y a, rappelle Eric Fiat, de « mauvaises » fatigues aussi. Celles-ci viennent plutôt de situations stressantes au travail, d’une mauvaise organisation, et aussi de la surveillance constante de la qualité de ce que fait la personne. Subissant l’évaluation constante, elle doit non seulement faire le travail, mais faire voir qu’elle l’a bien fait. Le surmenage ne fatigue pas, il éreinte.
Dans le cadre de la conférence Jalmalv, Eric Fiat doit aborder plus précisément la fatigue des malades, comme celle des soignants et des accompagnants.
Pour Eric Fiat, le soulagement qu’apporte le repos n’est pas le seul résultat de la fatigue. Il identifie une sorte de « rêverie », dans laquelle l’être humain « laisse le monde et les autres venir à lui. Il se laisse aussi lui-même venir à lui, car lorsqu’on écoute les leçons qu’elle a à nous donner, la fatigue nous place dans une allure de vie plus calme, plus attentive et notre for intérieur s’enrichit. »
Enfin, « assumer nos fatigues, c’est assumer notre finitude, notre humanité. »