Phénix est le troisième ballet de Mourad Merzouki à venir au théâtre du Mail. Il y poursuit son exploration du hip-hop, danse de rue qu’il déploie dans des spectacles conçus pour le théâtre. Ils sont innovants, font intervenir différents arts scéniques, et utilisent ses danseurs moins pour impressionner par leurs exploits acrobatiques que pour commenter la condition humaine.
Dans son précédent spectacle, Boxe boxe Brasil, les danseurs étaient boxeurs, munis de gants de boxe, casques et coquilles de protection. Le langage de la boxe permettait aux hommes d’exprimer leur énergie sans en faire une joute barbare.
Phénix prend un ton plus réfléchi, et la danse est plus abstraite, sans renoncer aux époustouflements physiques. Quatre danseurs accompagnent et sont accompagnés par une musicienne à la viole de gambe, assise sur une sorte de trône austère en bois monté sur roulettes que les danseurs déplacent de temps en temps. Elle joue de la musique baroque, à laquelle s’ajoute une bande sonore électronique.
Faudrait-il chercher le sens du titre Phénix, un reflet du symbole dans ce ballet/récital ? S’agirait-il d’une évocation du renouvellement qui relance la créativité, la capacité de réinvention. Il fait renaître du passé une musique d’époque en la plaçant dans un contexte contemporain qui pourrait sembler incompatible, mais qui s’y marie sur scène avec un naturel… époustouflant.
Le ballet classique vise l’aérien, pour échapper au sol, à la terre. Les danseurs de ballet s’entraînent pour dissimuler l’effort requis pour évoluer sur scène. Une danseuse classique pose, reliée au sol par la pointe d’un pied ; un danseur saute, jambes écartées et paraît un instant suspendre son vol avant de redescendre sur terre.
Le classique aime l’air ; le hip-hop est amoureux du sol. Ses danseurs en font leur référence ultime, y évoluent, s’y frottent, y tournent. Leurs mouvements les plus spectaculaires commencent au sol, ne le quittent que pour revenir.
Le ballet vise la beauté presque désincarnée, par ses costumes, ses couleurs, sa scénographie, son jeu. Phénix insiste sur l’ordinaire scénique, la demi-obscurité, sans costumes extravagants. La beauté est à chercher dans l’humanité émouvante des quatre danseurs et de la musicienne, qui ne se cachent pas dans un « rôle », mais dansent et jouent tels qu’ils sont, intensifiés par le cadre théâtral, comme sous une loupe.
Devant un public attentif jusqu’à la fin, puis éclatant en applaudissements longs et enthousiastes, au point de faire échanger des sourires entre les artistes, le phénix était ressorti du feu.