Connectez-vous avec le Vase

Le Vase des Arts

Effets de manche

Publié

le

L'art de plaider au théâtre

Comment ne pas y avoir déjà pensé ? Au tribunal, l’éloquence d’un avocat se déploie dans un cadre trop humain, trop tendu, et dont dépend le sort d’êtres humains, pour pouvoir être appréciée objectivement. Tout de même, un avocat n’est pas bien différent d’un acteur, préoccupé par l’effet de ses mots, déterminé à convaincre des juges, des jurés, et séparé des parties par son statut professionnel.

Alors pourquoi ne pas transférer de telles plaidoiries au théâtre, qui fournit la distance nécessaire ? Un spectateur peut être atteint, touché, ému, mais il sait que, sur scène, ce n’est pas une réalité qu’il voit, mais sa représentation.

Richard Berry est venu au théâtre du Mail avec son spectacle Plaidoiries. Seul sur scène, il assume tour à tour le rôle de cinq grands « ténors du barreau » – expression qui reproduit l’image d’un ténor d’opéra, lançant sa voix haut placée sur le devant de la scène, généralement le héros (alors que le vilain basse grommèle derrière).

Richard Berry est Gisèle Halimi au tribunal de Bobgny.

Cinq procès marquants sont présentés à travers ces plaidoiries. Henri Leclerc défend Véronique Courjault, accusée d’infanticide, en levant les tabous qui l’entouraient, et en plaidant pour un « suivi judicaire » sans emprisonnement (elle a été quand même condamnée à huit ans en prison). Paul Lombard essaie d’éviter la peine capitale à Christian Ranucci, qui avait enlevé et tué une fillette (il a quand même été guillotiné). Jean-Pierre Mignard mène le réquisitoire contre les deux policiers qui poursuivaient deux jeunes de banlieue, sans les sauver d’électrocution dans un terrain de l’EdF (ils ont été quand même relaxés). Alain Lévy plaide pour une lourde peine contre Maurice Papon à titre de crimes contre l’humanité (il n’a passé qu’une courte période en prison). Gisèle Halimi a dénoncé l’action prise contre une jeune fille et quatre femmes responsables d’un avortement (elle a été relaxée, comme trois des femmes, la quatrième, qui avait pratiqué l’avortement, recevant une peine de prison avec sursis).

Ce sont de grandes tirades que prononce Richard Berry, et il ne rate aucun effet de manche, aucune des facettes de l’action d’un avocat.

La puissance de la « performance d’acteur », comme disaient des spectateurs en quittant la salle après avoir fait une ovation à Richard Berry, vient de la subtilité avec laquelle il présente les cinq avocats. Sans jamais les imiter, il arrive à adopter une tonalité différente pour chacun. La plus spectaculaire est son interprétation de Gisèle Halimi, en épousant la passion avec laquelle elle se prononce, mais en ayant recours à un gestuel et des intonations particuliers, un léger retrait, une petite discrétion qu’on peut facilement imaginer caractéristiques d’une femme devant un tribunal.

La mise en scène, la scénographie sont minimalistes. L’acteur entre, en pantalon noir et tunique blanche, homme parmi les hommes, décroche et met une robe d’avocat aux manches amples avec la cravate blanche qui met au défi la noirceur du reste. A la fin, il l’enlève, et devient à nouveau simple citoyen, acteur qui vient accepter, avec une reconnaissance qui n’est pas jouée, les applaudissements.

Continuer la lecture
P U B L I C I T É

Inscription newsletter

Catégories

Facebook

LE VASE sur votre mobile ?

Installer
×