ABC d’Airs commence par l’arrivée des quatre musiciennes en haut de la grande salle de la CMD, derrière les spectateurs. Elles descendent de chaque côté, en s’extasiant de retrouver d’imaginaires connaissances, ami(e)s et, pourquoi pas, amants dans le public… Elles tendent les bras, serrent des mains, prennent même quelques spectateurs dans les bras. « Aaaah ! », « Aah ! », « Ah ! » : tous les degrés de ravissement sont exprimés. Elles arrivent sur le plateau. Voilà expédiée la première lettre de l’alphabet qui charpentera la soirée ; passons à « B ».
L’idée de base est plutôt banale : composer un programme musical dans lequel vingt-six chansons et autres morceaux se suivent en ordre alphabétique. Ce qui éradique toute banalité est la vivacité, la vitalité, l’agilité et l’humour du quatuor, Anne Baquet qui chante, Claude Collet au piano, Amandine Dehant à la contrebasse et Anne Régnier qui alterne le hautbois et le cor anglais.
Concours de grimaces pour la lettre “N”
Elles viennent d’un monde strictement classique, poussées par une envie de s’amuser et, plus important, d’amuser le public. Le choix de morceaux et de compositeurs est éclectique à mort : Rameau, Cage, Piazzolla et une bonne vingtaine d’autres. Chaque fois, elles détournent l’original par leurs mimes, gestes et mouvements. Elles se déplacent, se faufilent ou se pavanent, ou grimpent sur le piano. Pour Piazzolla, la contrebasse devient le partenaire de danse pour Amandine Dehant – sans qu’elle s’arrête de jouer.
Des quatre, Anne Baquet et Amandine Dehant ont le plus vif sens comique et la plus grande complicité avec le public. Toutes rayonnent de bienveillance ; elles fixent du regard celle qui prend les devants, pour éviter que l’attention de la salle ne se disperse.
Le moment qui interpelle le plus le public vient avec la lettre « S » : prêtes à jouer, les mains de Claude Collet au dessus du clavier, les musiciennes restent immobiles pendant 4min 33 sec, laps de temps qui est également le titre de l’œuvre de John Cage. Des applaudissements prématurés, un concours de toux trahissent la difficulté d’écouter le silence comme on écoute le son.
ABC d’Airs devient une comédie musicale avec une belle exécution d’ensemble de Willkommen, chanson de John Kander pour Cabaret. Un vent d’énergie traverse la salle.
Anne Baquet s’est adressée au public à la fin, pour reconnaître les qualités de la salle de la CMD, annoncer leur passage à Avignon en juillet, et confier qu’il s’agit de leur « Centième ».
Les musiciens classiques peuvent forcer la note en s’adonnant au divertissement. Amandine, Claude et les deux Anne gardent leur intégrité musicale, mais avec une espièglerie délicieuse.
[Modifié le 27/05/19 pour tenir compte d’informations fournies par le metteur en scène Gérard Rauber sur les origines musicales des artistes.]