Le centenaire 14-18 nous a rendus sensibles au moindre écho de la Grande Guerre. Le pianiste autrichien Paul Wittgenstein (par ailleurs frère du philosophe) avait commandé le « Concerto pour la main gauche » à Ravel parce qu’il avait perdu un bras au Front.
Avec son attention à la fidélité historique en musique, l’orchestre Les Siècles a joué ce programme Ravel-Debussy sur des instruments du début du 20e siècle. Le piano Steinway habituel a été remplacé pour ce concert par un Pleyel datant de 1875, aux tonalités de velours.
Jean-Efflam Bavouzet est applaudi par les musiciens.
Le concerto doit être vu pour pouvoir apprécier le spectacle qu’il fournit, en tout concentrant sur une seule main. Jean-Efflam Bavouzet est allé parfois jusqu’à poser sa main droite sur le bord du piano.
Ravel n’essaie pas de reproduire les effets d’une œuvre pour deux mains, restant plutôt dans la moitié basse du clavier. Cela le rend plus difficile de dominer l’ensemble des instruments, et le concerto est souvent un dialogue contrasté entre piano et orchestre, parfois sur les rythmes du jazz, et dans un déferlement de percussions.
En bis, le soliste a proposé, en avant-goût de « La mer » de Debussy dans la seconde partie du concert, de jouer une version « miniature », avec ‘. »L’isle joyeuse » du compositeur.
Le concert avait commencé par « Ma mère l’Oye », composé par Ravel à l’intention des enfants d’amis. C’est de la musique pour enfants, en effet, mais qui reste complexe et nuancée. Elle fait confiance à leur sensibilité.
Le chef d’orchestre François-Xavier Roth a annoncé « deux chefs d’œuvres » de Debussy, « Jeux », composé pour les Ballets russes de Diaghilev, et « La mer ». Qu’entend-on par « chef d’œuvre » ? Pour justifier l’appellation, la musique doit, en plus de l’excellence mélodique et harmonique, offrir à l’auditeur quelque chose qui le dépasse, et qu’il découvrira, dans la partition et en lui-même.
Après l’entracte, plus long que d’habitude (nous allions apprendre pourquoi), l’orchestre a montré le sens de cette définition d’un chef d’œuvre. Une telle musique fait partager une part de notre humanité.
François-Xavier Roth a ensuite révélé que le malaise d’une musicienne de l’orchestre à l’entracte avait nécessité des mesures d’urgence de la part des autres instrumentistes pour rendre cette absence imperceptible.
denis.mahaffey@levase.fr
Une remarque sur le programme, difficile à manier, surtout pour le consulter discrètement en cours de concert, et sur son contenu. Les visages des musiciens des Siècles sont devenus familiers à Soissons, mais le programme, tout en trouvant la place pour citer les treize autres chefs d’orchestre et quatorze orchestres avec lesquels le soliste a déjà joué, ne donne pas leurs noms.