Quel a été ton parcours géographique (km, villes, zone…) ?
Le trajet depuis Soissons a duré deux jours (soit 40 heures pour 2647 km) jusque Odessa où je suis resté deux jours. Ensuite, à 300 km de là au sud-est, je suis resté douze jours à Kryvyi-Rïh, ma base, choisie par rapport à mes sujets. J’ai travaillé dans un rayon de 150 km. Parfois départ à 5h, travail de 8h à 19h et ensuite trois à quatre heures de route. La nuit, ça roule moins bien, car les routes sont en mauvais état. De plus, tous les convois roulent la nuit pour échapper aux drones, donc on peut être coincé derrière. Ça fait de grosses journées, mais pas si fatigantes que çà, car tu es toujours dans l’éveil. C’est forcément risqué et dangereux.
Des moments un peu « chauds » ? T’es-tu senti en danger ?
Evidemment ! A Nikopol, j’étais la seule voiture garée en ville, dans un quartier interdit non habité en bord de mer sans militaires ni rien. Je voulais photographier les barbelés en bord de mer, installés pour éviter le débarquement des Russes. Je n’ai pas trainé. Si jamais les drones me repèrent, je peux devenir une cible. C’est très fréquent, du côté russe, de cibler un bus, un arrêt de bus ou une concentration de gens. Un véhicule de presse est une cible intéressante. C’est la politique de la terreur. Je calculais que j’avais 20 secondes pour rester immobile et prendre la photo, y compris en voiture. Et on change tout le temps de direction pour tromper les drones. On devient un peu parano, on n’est pas rassuré, sans compter les annonces aux haut-parleurs qui interdisent de circuler dans la rue. Mais je voulais cette photo.
Quelle évolution majeure as-tu remarquée depuis ton dernier voyage en juillet 2024 ?
Pour moi maintenant il y a trois Ukraine. Celle qui n’a jamais été en guerre, la Transcarpathie, la ville de Oujhorod qui n’a ni couvre-feu, ni bombardement, ni donc de victimes. Il y a celle où la guerre n’existe plus comme Odessa où l’ambiance est détendue, j’ai cru être à Paris. La vie a repris avec couvre-feu de 23h à 5h du matin tout de même, alors qu’avant c’était très compliqué, c’était une ville en guerre. Et il y a l’Ukraine où la guerre est omniprésente. Là il faut débrancher le cerveau, on rase les murs, tout est calfeutré en bois, on marche vite. Le cas de Nikopol, avec des alertes permanentes, toutes les 6 minutes où l’on vous rappelle de rester à l’abri, il n’y a personne dans la rue qui discute. Les photos que j’ai faites dans la partie interdite et désertée de la ville, c’est totalement dystopique. Une maison sur cinq est par terre. Et ça reconstruit tout le temps.
Tu as vécu le jour l’An là-bas. Comment cela s’est passé ?
Le jour de l’an ne se fête pas au même sens que nous. Nous sommes soumis au couvre-feu, on ne sort pas, la lumière ne doit pas apparaitre de dehors, l’ennemi ne doit pas voir qu’il y a de l’activité. J’étais dans une ville stratégique proche du front. La journée, j’ai eu un moment de convivialité avec des connaissances, en me disant qu’on est toujours là, vivants, avec quelques gâteaux pour marquer le dernier jour de l’année, mais pas spécialement très festif. Le soir, je suis rentré à mon appartement dormir tout simplement.