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Danse

Obstinato : éloigner et relier

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L'art de la danse contemporaine

OLYMPUS DIGITAL CAMERALa Marne et la fausse Marne (qui n’est qu’un filet d’eau, mais quand-même) forment le « quartier de l’Isle » sur la rive sud de Château-Thierry. Entre la rue commerçante animée qui le traverse et le collège Jean-Racine à l’ouest, dans une zone de constructions industrielles déclassées, une grande cour est entourée de locaux associatifs et culturels.  Ils occupent les bâtiments de l’ancienne biscuiterie Lu.

A droite il y a les studios et la grande salle de « L’Echangeur – CDC », dont l’activité comprend le soutien à la création chorégraphique.

La compagnie de danse Josefa y a passé la première et la dernière d’une série de « résidences », qui s’est terminée par une « sortie de résidence » avant la première à Saint-Quentin. Ce dispositif permet aux intéressés de prendre connaissance de l’œuvre créée, brute de coffrage, avant qu’elle n’entame sa carrière publique. 

Rachel Mateis

Rachel Mateis

« Obstinato », de la chorégraphe Rachel Mateis, est dansé par Sophie Mayeux et Maude Vergnaud, sur une bande sonore du contrebassiste Claude Tchamitchian avec Régis Huby et Guillaume Roy (qui pourront jouer en direct selon les circonstances). Une vidéo de Do Brunet est projetée en arrière-plan, formes et silhouettes qui paraissent parfois être les ombres des danseuses.

Deux femmes se trouvent sur le plateau. Elles se mettent en mouvement. L’une est traversée par des mouvements, des tics, des spasmes, jusqu’à paraître disloquée. L’autre, plus maîtrisé, voire raide, se déplace plus lentement, avec des mouvements convenus, presque cérémonieux. Progressivement, sans rentrer en contact, sans faire attention l’une à l’autre, elles échangent leur comportement : les convulsions et les mouvements changent de corps. Elles s’approchent l’une de l’autre, leurs corps font des postures ensemble. Puis elles se séparent. Rachel Mateis examine « ce qui nous éloigne autant que ce qui nous relie ».

Sophie Mayeux et Maude Vergnaud

Sophie Mayeux et Maude Vergnaud

« Obstinato » illustre brillamment un principe fondamental de la danse contemporaine : le mouvement est la danse, sans exigence de grâce ni d’élégance. L’important n’est pas la beauté de la danse mais l’éloquence du langage des corps qui dansent.

« Nous avions envie de tenter. Nous avons eu une longue période de recherche » explique Rachel, en parlant de la résidence. « Obstinato » laisse sentir l’importance dans le travail de l’improvisation, cet élément qui fait que chaque geste, dans un cadre posé par la chorégraphe, air un goût de spontanéité, correspond à ce qui meut et émeut le danseur dans l’instant. Cela génère une attente : qu’est-ce qui se passera maintenant ?

Dans les textes qui accompagnent le spectacle, il est dit de Rachel Mateis que « son travail tant sur le plan artistique que pédagogique s’ancre dans l’attention qu’elle porte aux questions de respect du corps, de relation à l’autre, de conscience de soi, d’exigence, ainsi qu’à la notion de présence ».

Cette « sortie de résidence » est suivie de la sortie dans la cour d’usine. Les yeux qui ont vu la danse ont un autre regard, ressentent la même attente dans le quartier. Qu’est-ce qui s’y passera ? La vie s’en éloignera-t-elle ? Ou les vies s’y relieront-elles ?

Denis Mahaffey

denis.mahaffey@levase.fr

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Danse

La Passion selon Piazzolla

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L'art du tango

[Photo Axonance]

Le compositeur argentin Astor Piazzolla, déjà célèbre pour son œuvre inspiré par les rythmes du tango, passe à un autre niveau de renommée en devenant le sujet d’une composition d’un autre compositeur, argentin aussi. Martin Palmeri a écrit la Pasíon segun Astor qui sera chanté et joué au concert donné par l’ensemble choral Axonance à la Cité de la Musique de Soissons le 27 mai. Avec le compositeur au piano, Axonance et son directeur Stéphane Candat seront accompagnés par le quintette à cordes’ensemble de chambre Ad Libitum, le bandonéoniste Jeremy Vannereau, et même deux danseurs du tango. Il y aura des pièces et chants solos du compositeur, dont Libertango et Adios Nonino, adieu déchirant à son père.

Stéphane Cantat, fondateur et directeur d’Axonance [Photo Axonance]

Axonance a été créé en 2017 pour pallier à la disparition du Studio choral de l’Aisne, privée de sa subvention départementale. Il a commencé à se faire une réputation par ses récitals et concerts, dont celui du Nouvel An dans le cellier nouvellement aménagé de l’abbaye Saint-Jean-des-Vignes. Il vise à donner trois ou quatre concerts par an – financés, il faut dire, par les recettes et les cotisations des membres.

Même dans les chorales où les membres chantent surtout pour le plaisir, ils s’impliquent beaucoup. Axonance visant une qualité quasi-professionnelle, avec des choristes déjà de bon niveau, l’engagement doit être soutenu et fort. Chaque choriste vise à travailler la pratique chorale dans un environnement vocal réduit, pour assurer une homogénéité et un son adapté à chaque esthétique musicale. Ils se retrouvent deux demi-journées par mois et le répertoire s’étend des débuts du Baroque au XXIe siècle. L’ensemble se dirige vers des programmes chambristes, à capella ou accompagné de l’orgue ou du piano. Le concert Piazzolla est donc exceptionnel.

Axonance recrute des chanteurs venus de chœurs de la Marne, de l’Aisne et de l’Oise, mais il est soissonnais, créé dans la ville quelques heures après la destruction de la Rose de la cathédrale par la tempête Egon – et il a chanté lors de l’inauguration du nouveau vitrail en 2022.

La musique de Piazzolla et son bandonéon ont pris leur place parmi le plus grands dans les salles de concert, mettant les sens en émoi, communiquant ses rythmes langoureux  aux mêmes publics que Mozart et Beethoven. Destin prestigieux pour le tango, né dans les bordels de Buenos Aires, et dont le rythme subvertit la bienséance en y glissant une sensualité entêtante.


La Pasíon segun Astor, 27 mai à 20h à la CMD ; 28 mai à 16h, église Saint-Maurice, Reims.

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Danse

La danse calligraphique

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L'art de la danse

Au mois de mars la compagnie de danse chinoise XieXin Dance Theatre a fait une courte tournée en France, avant de la poursuivre en Allemagne. Le théâtre du Mail a été choisi pour la pièce From IN – le titre, en anglais, suggère la notion d’émergence de l’intérieur.

C’était une occasion rare de voir la danse chinoise contemporaine, et le travail de Xie Xin, chorégraphe incontournable de son pays et à l’international. Après des débuts de danseuse classique, elle a fondé sa propre compagnie à Shanghai en 2014. En septembre elle produira une pièce pour les danseurs de l’Opéra de Paris, c’est confirmer son importance.

Xie Xin a expliqué son approche sur les média, et les origines de From IN. Elle prend comme inspiration la calligraphie chinoise, et en particulier l’idéogramme    qui signifie « humain ». Il est composé de deux traits qui se rejoignent. Elle y voit le point de contact, de connexion avec les autres, de relations. Un commentateur a écrit que « ses danseurs apparaissent et disparaissent dans une unité énigmatique et élégante, entre tradition et modernité ».

Admettons tout de suite que les spectateurs occidentaux qui ne sont pas au fait de l’écriture chinoise trouveront d’autres raisons d’apprécier From IN.

Scène nue, structurée seulement par les lumières ; costumes amples et souples qui adoucissent les mouvements sans les obscurcir : tout met en valeur la créativité de Xie Xin.

La chorégraphie est particulièrement énergique, exigeant une grande résistance de la part des neuf danseurs. Les mouvements sont rotatoires au niveau de la taille, le torse presque à l’horizontale. Le spectateur moyen peut-il voir dans les mouvements d’ensemble les traits et schémas d’idéogrammes ? Ou perçoit-il plutôt la mise en pas de danse de formes abstraites ?

Xie Xin, présente à Soissons, rejoint ses cinq danseurs et quatre danseuses sur scène.

A la différence du ballet classique, qui vise l’aérien, l’élévation, le détachement du sol, From In ancre les danseurs au sol, dont ils ne se décollent que pour y revenir aussitôt.

Certains mouvements pourraient venir du hip-hop ; mais ils sont intégrés dans l’ensemble, dépourvus d’esbroufe. Personne ne cherche à dépasser les autres, ni à époustoufler le public.

La lecture de From IN par des spectateurs non-initiés à la calligraphie chinoise laisse peut-être passer des aspects perceptibles pour un public chinois. Mais en les ignorant, les spectateurs au Mail ont pu être ouverts aux abstractions qui les sous-tendent.

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Danse

Les jeux de l’amour et de la danse

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L'art de la danse

Les collégiens du "classe Théâtre"

Une dizaine de serveurs et serveuses de restaurant, en chemise blanche et pantalon ou jupe et grand tablier noirs, attendent le public dans la petite salle du Mail. Sur un signe du maître d’hôtel, ils placent prestement deux rangées de chaises pour former les trois-quarts d’un cercle, et les spectateurs/clients sont invités à prendre place. Le cercle est fermé par un canapé rose criard posé devant le comptoir de l’établissement.

L’Homme au sourire, la Femme, l’Autre femme, et le canapé

Diriger le personnel et s’occuper des invités est le rôle du maître d’hôtel, à la fois directeur imperturbable et roi bouffon, tentant de garder l’équilibre face à la menace constante, souterraine ou déclarée, du désordre. Il veille aux actions des autres, mais se trouve parfois lui-même impliqué dans l’action. Hors scène il est directeur artistique et chorégraphe de la compagnie Appel d’Air de Laon, Benoît Bar ; c’est donc lui qui porte la responsabilité du règlement – et dérèglement – de tout ce qui se passe sur la piste de danse de Service compris ! Canapé(s) chapitre 2 (*).

Le sous-titre du spectacle fait référence à un Canapé(s) précédent, de 2013, avec la même disposition scénique, mais sur le plateau de la grande salle du Mail en haut. C’était déjà un exemple de l’éclatement d’une structure bien réglée.

Le personnel de service, silencieux et efficace, est composé d’élèves de Troisième de la Classe à Horaires Aménagés Théâtre du collège Saint-Just, la« classe Théâtre ». Ils ont fait une semaine de stage pour les préparer à leur rôle, effacés, disciplinés… jusqu’à l’effondrement.

Un couple, l’Homme (Louis Combeaud) et la Femme (Lucile Cartreau), entrent en scène et dansent. Le style est musclé, ancré au sol, acrobatique… et drôle. Ce sont deux amoureux, surtout la Femme – le grand sourire fixe de l’Homme laisse penser, d’abord qu’il est content, ensuite que c’est un charmeur, le regard toujours en éveil.

Une Autre femme émerge parmi les spectateurs, désireuse de se joindre à la danse. La Femme n’est pas d’accord. L’intruse initie des échanges et interactions complexes et compliqués, et la simple histoire d’amour du couple se fissure. Le désir devient un facteur non pas d’harmonie mais de discordance.

Le trio s’engage dans un « œuvres complètes » de la séduction, de la fidélité et de ses écarts, de la jalousie, de la provocation, de l’exclusion, de l’insistance, de l’abandon. La Femme et l’Autre tentent aussi un rapprochement ; l’Homme, objet de désir, sourit et sourit et fait ce qu’il peut.

L’Autre s’accroche comme un sac à dos au maître d’hôtel.

Le dérèglement d’une relation amoureuse entraîne un dérèglement général autour d’elle. Même le maître d’hôtel perd son quant à soi, quand l’Autre, rejetée par l’Homme, lui saute dans les bras. Il la tient comme un sac à dos mal venu, et danse.

Le point culminant arrive après un jeu où la Femme se laisse tomber en arrière et est rattrapée par l’Homme. L’Autre s’y joint, obligeant l’Homme à courir de l’une à l’autre ; peu à peu l’effondrement gagne tout le monde, et les serveurs tombent comme des évanouis, jusqu’à encombrer l’espace du cercle.

Service compris ! se charge d’illustrer par la danse, avec un entrain jubilatoire, que l’attraction entre les gens peut provoquer un tremblement de terre.


(*) Pourquoi le « (s) » après « Canapé » ? Pour rappeler le double sens du mot : il y a un canapé, il y a aussi les canapés servis assidument aux spectateurs pour accompagner les flûtes qu’ils tiennent. « J’espère que vous avez faim » avait prévenu la responsable de la classe Théâtre.

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