Ses lecteurs connaissent Dominique Natanson par ses romans et études sur l’histoire juive et le Shoah, et ses « polars décoloniaux ». Son nouveau livre marque un changement d’approche.
La toute première phrase de « L’instant est-il une île heureuse ? » montre une évolution dans son écriture : « Le dénicheur d’instants explore les existences sans relâche, sans permission et cherche, partout et en tout temps, les personnages qui changeront de vie. » C’est comme si les mots prenaient leur envol vers un langage nouveau et étonnant.
23 instants étalés sur le 20e siècle marquent chacun un tournant critique pour quelqu’un. Ils sont reliés non pas par un récit, mais par un chaîne entre les personnages, parfois frêles : une travailleuse agricole croise sans le voir le personnage suivant ; parfois ordinaires : un représentant de Hachette rencontre un libraire de Bucarest, fils d’un rabbin de Ploiești. Un coup de vent décoiffe une soixante-huitarde à Rouen, et c’est ce surgissement qui est repéré. Une fois le dénicheur se détourne : c’est à Ravensbrück.
Dominique Natanson est fidèle à sa volonté de ne jamais être du côté des oppresseurs. Il reste en révolte humaine, cette fois avec une acuité et une grâce qui illumine sa prose.
L’auteur en parle…
Vase des Arts : Les moments d’intensité du livre ne sont pas toujours heureux. Alors le titre… ?
Dominique Natanson : C’est une vision idyllique de l’île, mais il y a aussi des barbelés au premier plan. Le titre vient d’un vers du poète caennais Daniel Lefèvre. Je l’ai repris sous forme de question, pour interroger ce que les instants contiennent, sinon de bonheur, d’émancipation, de liberté.
VdA : Il y a tant de lieux différents. Vous y avez été à tous ?
DN : A peu près la moitié sont proches de moi, de ma vie : la maison de Cherbourg à la fin, c’est celle de mes grand-parents. Les scènes au Havre sont un mélange d’éléments de mon enfance et de reconstructions à posteriori , dans l’esprit de l’époque. Pour la Roumanie, mon arrière grand-père était de Ploiești. Il y a d’autres endroits où je ne suis jamais allé, mais je me suis bien renseigné dans ces cas là.
VdA : L’écriture a une nouvelle éloquence, par rapport à vos romans décolonialistes, par exemple.
DN : Il fallait donner au récit de l’instant une épaisseur qui vient du passé. Mon travail a alors été moins rationnel.
VdA : Il n’est pas toujours facile de suivre le fil d’un chapitre à l’autre.
DN : Je casse tout ordre logique. Un lecteur du manuscrit a conseillé un ordre chronologique des chapitres, avec un arbre généalogique pour les personnages. Surtout pas. Je fais quelques rappels pour chacun des instants, pour permettre au lecteur de se dire, « Ah oui, le type qui est dans le kibboutz est celui qui arrive à Fécamp par la mer. Le lecteur se sent complice de l’auteur. Peu importe que le lien entre les cas soit tellement faible qu’il se sent désorienté. Je veux que ce soit fluide. Parfois c’est un impasse, ou alors c’est au lecteur d’inventer quelque chose. Le déserteur en Algérie, par exemple, pourrait faire écho à des choses personnelles, rattacher cela à des instants immémoriels. Enfin chaque lecteur pourrait écrire un chapitre supplémentaire pour lui-même.
Et puis il y a un chat dans chacun des chapitres, après tout !
VdA : Vous n’avez pas fini par le chapitre vers la fin sur Auschwitz, où il n’y a aucun instant d’intensité libératrice ?
DN : Au dernier chapitre je voulais revenir à Cherbourg, à la maison de mes grands-parents.
VdA : Vous travaillez sur un nouveau livre ?
DN : Oui, mais c’est un peu tôt pour en parler. Il s’agira d’un roman figurant les mains rouges et les étoiles de David qui ont été appliquées sur les murs après le début de la guerre de Gaza. Un polar, mais comme un style plus riche me manque, je fais au début de chaque chapitre un passage qui s’appelle « Atmosphère », où je mets soit un poème, soit une description d’un lieu, pour le plaisir d’avoir une écriture un peu plus épaisse.
Dominique Natanson, L’instant est-il une île heureuse ?, ed. L’échelle du Temple. Disponible dans les librairies de Soissons et en ligne editions-de-l-echelle-du-temple.over-blog.com. L’auteur sera au Salon du Livre.
[Une partie de cet article paraît dans le n°401 du Vase Communicant.]