
Rémi Gadret signe son livre à l’Arbre généreux de Soissons
Deux livres d’auteurs soissonnais : un recueil de nouvelles de François Thibaux et un livre de poésie de Rémi Gadret. Le nouvelliste raconte des histoires, le poète traduit des instantanés.
Le banc des fulgurés est le deuxième recueil de Rémi Gadret, musicien de jazz à Soissons. Un petit format qui contient tout de même une quarantaine de poèmes. Le titre ? C’est celui du troisième poème. Le choix de « fulgurés » pour parler d’un amour naissant est révélateur : le poète aime les mots rares, inusités, ceux qui interrogent. Un lecteur peut consulter un dictionnaire, ou alors céder et se laisser vibrer aux rythmes et sons de ce qu’il lit. Chaque mot mystérieux, dans des phrases d’une syntaxe complexe, pousse à se libérer d’une recherche de logique, de sens précis, et s’ouvrir à la musique des mots. Le tout premier poème, J’ai mordu l’oubli, est une invitation à lire « autrement ».
« Mes poèmes sont une ouverture sur le monde, et sur soi » dit Rémi Gadret. La typographie s’adapte à chaque poème, l’absence de ponctuation met les vers à nu. Le graphiste Olivier Lépagnol a choisi la présentation et les images intercalées dans le texte. La couverture montre-t-elle une plage aux rochers noirs, des baigneurs ? Le poète donne la clef : « C’est un évier d’imprimeur, avec des traînées d’encre. » En poésie comme en photo, le sens se démultiplie selon l’œil ou l’oreille du lecteur.
François Thibaux, de Saint-Bandry, est l’auteur d’une quinzaine de romans et collections de nouvelles. Dans son nouveau recueil, Le vélo de l’ange, douze narrateurs et narratrices disent leur désarroi devant l’absence, la perte, le deuil, la séparation. Les circonstances varient comme les lieux, la Picardie ou la Sicile, et chaque conteur a sa voix, sa nature. Mais une même grande douleur traverse le livre, comme une veine dans la roche. Une épouse meurt, son époux peine à survivre mais n’a pas le choix. Une vieille femme solitaire, sorte de clocharde, meurt encore seule ; une note fait savoir que la Commune a voté en majorité que les frais d’enterrement ne seront pas pris en charge. Elle finit dans la fosse commune, enfin entourée.
L’auteur écrit avec une précision infaillible et une absence totale d’emphase ni d’insistance. Un abat-jour est jaune, et cela suffit. Le sujet est la douleur humaine et elle exige la simplicité. Car son écriture fait paraître un monde, magique ou illusoire, que fréquentent des personnages inexistants, paraissant et disparaissant et qui parlent d’un passé distant, jusqu’à l’Age de pierre. Rêve, apparition ou délire ? La réussite de François Thibaux est de rendre naturel ce monde fantasmagorique.
Pourquoi s’ouvrir à une douleur fictive alors que la vie réelle en contiendrait déjà assez ? C’est que l’art émeut, mais en offrant une distance réparatrice. La souffrance imaginée est gérable, le lecteur peut contempler sa peine au lieu d’en être pourchassé. Et la beauté de la narration est un garde-fou.
Rémi Gadret et François Thibaux soulagent les insatisfactions de leurs lecteurs en éloignant le contingent pour rapprocher l’essentiel, la vitalité humaine.
Le vélo de l’ange (sortie 16 mars) et Le banc des fulgurés seront en vente dans les librairies de Soissons.
Un commentaire, une question ? denis.mahaffey@levase.fr
[Cet article est paru dans le Vase Communicant n° 391.]