Dans un monde ou l’attention est de plus en plus dispersée, le Coronavirus a au moins fourni un sujet unifiant sur lequel tout le monde s’exprime, des surprécautionneux aux sceptiques conspirationnistes. La potière néerlandaise Ingeborg Kleijnjan d’Ambleny a réagi en créant des «bols Covid», arrondis et couverts de petites protubérances, entre chaudrons et mine explosives. Transformé en objet d’art, le virus perd sa nocivité insaisissable, son secret contaminant. Il devient un objet d’art rassurant.
Un “bol Covid” d’Ingeborg Kleijnjan
Il y a vingt ans l’architecte Ingeborg et son mari Zwier Regelink, consultant retraité, qui avaient un appartement à Amsterdam, cherchaient une maison de campagne avec un jardin : «Je voulais mettre mes mains dans la terre.» Zwier prospectait seul. Il a trouvé la maison d’Ambleny, a envoyé une photo à Ingeborg, qui a pris le train pour le rejoindre, et ils l’ont achetée. Après quelques années de navette, ils s’y sont installés de façon permanente.
Musiciens amateurs, ils s’étaient moins préoccupés d’aménager la maison tout de suite que de chercher d’autres avec qui jouer, Ingeborg au violon, Zwier à l’alto. Des quatuors, un trio, un groupe folk, et l’orchestre du Cercle Musical. Depuis quelques années Ingeborg en est même le premier violon et même, pendant une vacance, chef d’orchestre pour les répétitions.
Puis elle est devenue potière. Pourquoi ? La réponse pouvait se deviner : «Je voulais mettre mes mains dans la terre.» Elle aime la travailler, à tous les stades de la fabrication, pour créer un objet agréable à regarder, à toucher, à utiliser. Pour elle, la céramique est un sujet qu’elle approfondit encore, toujours à la recherche de nouvelles combinaisons de couleurs et de formes, de nouvelles façons de combiner, positionner, faire se recouvrir les émaux. Ses céramiques ont ce qu’elle appelle des «formes tranquilles», sans excès, en tons naturels de pierre, sable, terre, métal, ou d’un bleu d’eau profonde sous un ciel sombre. Parfois, en contrepoint à la sobriété des formes, elle ajoute un animal miniature, comme une petite poignée.
Elle évoque la sensation de manier l’argile, d’être intensément présente, constamment « sur le chemin de la découverte ». Le blocage du confinement a été une sorte de cadeau, mais l’a plombée aussi, lui a fait réfléchir à la surabondance, l’a amenée à restreindre sa production plutôt que de viser le rendement. Les ateliers et stages par lesquels elle partage ses techniques et découvertes ont été suspendus.
Ingeborg la musicienne montre un de ses deux violons.
La maison au bord de la route de Maubrun domine un terrain en pente raide, où ils ont fait un jardin, sans l’apprivoiser. Un mouton y élève son agnelle qui sautille sous – et dans – un arbre. Les pièces en enfilade, de l’atelier de céramique à la salle de musique, sont aménagées avec une simplicité choisie : confortables mais dégagées, une décoration d’architecte, dirait-on.
L’atelier et la salle d’exposition forment un ensemble sur deux étages, reliés par un petit escalier en courbe. C’est la Poterie La Pissotte, où Ingeborg fait et vend ses objets. Elle participe aussi à des salons et expositions de groupe. Son site poterielapissotte.com présente son activité et détaille les techniques qu’elle utilise.
Ingeborg et Zwier sont heureux et reconnaissants de vivre en France, d’y faire de la musique ensemble avec d’autres. Ingeborg a pu prendre la terre du pays dans les mains, en faire un jardin, la transformer aussi en objets à la fois quotidiens et transcendants.
[Cet article paraît dans le Vase Communicant n°312.]