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Le Vase des Arts

Etoiles à venir : spectacles en préparation

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L'art de monter un spectacle

Cirque Isis : une déchiqueteuse transforme des branchages en jet de lumière.

Les fermetures répétées de salles de spectacle n’ont pas empêché les artistes de continuer à avoir des idées, les élaborer, puis mettre en scène et répéter ce qu’ils ont conçu, sans la certitude de trouver un public. Salles, dates, tournées ? On verra bien !

Sylvie Pommerolle joue Chopin.

A Aizy-Jouy, dans une maison de briques rouges datant de la Reconstruction après la guerre de 14-18, le collectif Résonances se retrouve pour répéter un spectacle sur Chopin. Il reprend ainsi une formule qui l’a inspiré plusieurs fois, notamment pour Charlotte, son évocation de la vie de l’artiste allemande Charlotte Salomon. La carrière de ce spectacle-là, aux débuts prometteurs, avait été brisée par le premier confinement.

L’approche réunit la musique, la lecture de textes, et l’exécution simultanée de peintures pour créer un accompagnement visuel.

Le fil rouge de Chopin est son opus 28, les Préludes, brefs éclats de lumière de toutes les couleurs. Douze des vingt-quatre ont été choisis pour le spectacle,.

Sylvie Pommerolle est au piano. Avant chaque prélude Jacqueline Defigeas lit le commentaire d’André Gide dans ses Notes sur Chopin, analyses percutantes qui ouvrent grand les oreilles pour chaque morceau. Pour illustrer les remarques sur le célèbre 7e Prélude, la pianiste le joue deux fois, d’abord en mazurka, puis comme une valse lente, ce qui nuance différemment l’arpège culminant, sans altérer son envol vers l’au-delà.

Le peintre Salim Le Kouaghet accompagne la musique en prenant ses crayons de couleur pour traduire sa réaction sur une feuille. Au fur et à mesure que le récital avance, la petite table sur laquelle il travaille vibre davantage. « Je commence lentement, puis ça va de plus en plus fort » explique-t-il en riant. Parfois il reflète le rythme de tel prélude ; parfois les marques sur le papier font penser à une sorte de partition multicolore.

Dès la création ce petit format sera remplacé par des toiles et l’acrylique. Mais toutes ces feuilles seront exposées, groupées pour correspondre à chaque répétition. Ainsi, le processus de création sera retrouvé à chaque représentation.

Sortant d’une des multiples résidences au Mail pendant la fermeture au public, Isis, compagnie de cirque de Pargny-Filain, a présenté, devant quelques professionnels éparpillés sur le fauteuils de la salle, trois séquences de son nouveau spectacle, A travers bois. Huit jongleurs recrutés pour le spectacle utilisent des assemblages, des lattes, des planches pour mener une méditation énergique sur la matière. Energique, car ils s’envoient ces assemblages, les jettent, les rattrapent, les mettent en équilibre. Une méditation par la concentration qu’ils révèlent, le silence et le calme avec lesquels ils exécutent ces actions. Une séquence est accompagnée par des bruits de percussion – sur des instruments en bois.

Les jongleurs d’Isis

Le degré de coopération est intense. Chacun tient à la verticale une grande planche, dont la plus longue dépasse la hauteur de l’ouverture du plateau, puis la lâche et court attraper une autre pour l’empêcher de tomber. On dirait une forêt de troncs d’arbre qui vibrent, entourée de petits humains qui courent de l’un à l’autre pour les toucher.

C’est Quentin Bancel, directeur d’Isis, qui a conçu le spectacle, et qui y prend part pour une scène qui brusque le calme silencieux. Il amène sur le plateau une grande déchiqueteuse rouge montée sur des pneumatiques, et alimentée avec des branchages. La machine les dégorge en forme d’un jet, comme les étincelles générées par un poste à souder. Le bois devient lumière.

A la sortie d’une autre résidence, Jean-Louis Wacquiez et Patrice Le Duc, acteurs et marionnettistes de la compagnie Asphodèle, montrent Bob et Mac jouent Parole de loup, adaptation d’un conte graphique de Geoffroy de Pennart. Du théâtre d’objets, où un marteau arrache-clou prend le rôle du méchant loup Igor, museau devant, oreilles le long de la tête. La représentation respire surtout le plaisir intense pour les deux artistes de rejouer sur scène après en avoir été si longtemps éloignés.

Quel avenir attend de tels spectacles ? Isis fait ses propres programmations ; les deux autres demanderont des efforts pour les lancer. Ils font penser à des toiles ou des sculptures : le peintre, le sculpteur espèrent trouver un acquéreur, mais il y a d’abord l’élan qui les pousse à créer.

[Cette enquête élargit les informations publiées dans le Vase Communicant n° 313 sur des spectacles qui attendent un public.]

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Gautier de Coinci : un poète à Saint-Médard

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L'art du trouvère

[Grandes Chroniques, BNF, Ms Fr. 2813, folio 394]

C’est une universitaire américaine qui aura fait connaître, au-delà du milieu des médiévistes, et notamment aux Soissonnais, l’existence d’un poète célèbre du début du 13e siècle. Depuis qu’elle a travaillé au service archéologue à Saint-Jean-des-Vignes dans les années 80, Karen Foster partage son temps entre la Nouvelle Angleterre et le village de Tartiers, et elle vient de publier un livre, petit en taille mais grand en résonance historique, Poèmes miraculeux, chants sublimes, qui fait honneur à Gautier de Coinci, prieur de l’abbaye Saint-Médard.

Gautier est né dans une famille modeste à Coincy, près de Fère-en-Tardenois, mais a réussi par ses talents à faire une belle carrière dans l’Eglise.

Karen Polinger Foster signe ici son après sa conférence au service du Patrimoine à l’abbaye Saint-Jean-des-Vignes. L’universitaire américaine invite à partager l’extraordinaire créativité d’un personnage trop peu connu. Spécialiste dans l’art et l’archéologie du Proche-Orient et de la Crète ancienne, elle a publié de nombreux livres et articles érudits. Depuis les années 80, quand elle a participé aux fouilles de Saint-Jean-des-Vignes, elle partage son temps entre le Soissonnais et la Nouvelle Angleterre. Cette expérience l’a menée à écrire Tartiers : portrait d’un village soissonnais et Au secours des enfants du Soissonnais : lettres américaines de Mary Breckinridge 1919-1921 avec Monique Judas.

Moine bénédictin, mais trouvère aussi, il a en même temps consacré dix ans à l’écriture d’un texte majeur de la littérature médiévale, les Miracles de Nostre-Dame. Bien avant l’ordonnance de Villers-Cotterêts au 16e siècle imposant la primauté de la langue française au royaume, Gautier a choisi d’écrire ses vers en « romans », c’est-à-dire vieux français, et non pas « la Lettre », le latin. Dans la tradition des trouvères, il cherchait, non pas des lecteurs savants, mais une écoute populaire.

Le titre pourrait faire penser à une œuvre purement hagiographique avec peu d’intérêt en dehors des milieux religieux. Mais Gautier remplit ses vers de calembours, néologismes, nuances et rimes complexes. Il joue avec les mots.

En douze brefs chapitres le livre raconte l’histoire de Gautier et de son temps, avec une évocation éclatante de « l’âge d’or » de Soissons, transformée, écrit Karen Foster, « en un trésor lumineux d’architecture ». Le texte est illustré par des miniatures traquées dans des archives par l’auteure, qui les a simplifiées et colorées (au feutre !). Le résultat est éclatant, donnant à son livre, de format carré, l’attrait d’un album pour enfants. Mais il contient tout l’appareil bibliographique et iconographique requis pour une œuvre d’universitaire, et l’écriture ne fait pas de concession.

[Codex Manessa, Heidelberg Cod.Pal.Germ. 848, folio 13 recto]

Il inclut des fragments de la poésie de Gautier avec une traduction en français moderne. Mais, au regret de Karen Foster, cette œuvre majeure n’a jamais été traduite dans son intégralité, restant ainsi réservée largement aux spécialistes. Son livre éveillera-t-il une envie parmi les linguistes ? Ce petit livre devrait leur assurer un lectorat déjà conséquent parmi les Soissonnais.


Poèmes miraculeux, chants sublimes (Editions de l’Echelle du Temple, mars 2023) est disponible dans les librairies de Soissons et dans la boutique en ligne (editions-de-l-echelle-du-temple.over-blog.com/). Prix public 10€.

[Une version abrégée de cet article paraît dans le Vase Communicant n°353.]

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L’Art de la Fugue pour un tricentenaire musical : l’arrivée de Bach à Leipzig

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L'art des fugues

Le premier de cinq concerts autour de l’Art de la Fugue et les Variations Goldberg, pour marquer le tricentenaire de l’installation de Bach à Leipzig en 1723, a eu lieu à la Cité de la Musique de Soissons. Les quatre autres, à Soissons, l’abbaye Saint-Michel et Laon, s’étalent jusqu’en octobre.

Le plateau était rempli de musiciens, instrumentistes et chanteurs, pour un programme complexe et exigeant : l’Orchestre Philharmonique de Radio France et l’ensemble Capella Mediterranea sous leur chef argentin Leonardo Garcia Alarcon, le chœur de Radio France, la jeune soprano suisse Marie Lys, et deux bandeonistes à l’instrument iconique argentin.

Au programme, répartis parmi toutes ces formations et leurs solistes, L’Art de la Fugue de Bach, chaque fugue en alternance avec un choral du Chorbuch du compositeur argentin Mauricio Kagel, reflétant les fugues de Bach mais en les métamorphosant, même jusqu’à faire chanter les choristes une fois à travers des mégaphones apparemment en carton.

Ce programme pouvait paraître hors de la portée de bien des auditeurs qui remplissaient la salle jusqu’au dernier fauteuil. D’ailleurs l’heure de début, 19 au lieu de 20 heures, pouvait faire croire qu’il allait tirer en longueur. Non. Le concert à duré une heure et demi, mais le contrat avec Radio France exigeait le retour des musiciens à Paris pour 22 heures, peut-être pour éviter des heures supplémentaires pendant le trajet en car.

Le programme imprimé détaillait le contenu du concert ; en réalité, il était facile, dans l’obscurité, de perdre pied, devant les interventions successives et déroutantes, la chorégraphie des musiciens changeant de place pour composer différentes formations. Le déroulement a été plein d’inattendus.

Les deux bandéonistes ont eu un triomphe avec leur longue Improvisation.

Perdre pied ? C’est peut-être le secret. Au lieu de suivre, d’analyser, de reconnaître ou d’essayer de comprendre, ce concert invitait le public à se laisser emporter par la somptueuse activité sur le plateau, renverser par les déferlantes successives.

Toutes ces richesses viennent, il faut se rappeler, de la forme d’écriture musicale qu’est la fugue. Par sa complexité et ses règles de composition, elle ferait penser à des mots-croisés, ou même des suduku ; néanmoins, elle peut émouvoir profondément. Il est dit que Bach n’est pas le meilleur modèle à suivre, car il faisait trop d’entorses aux règles imposées pour le modèle de base, la « fugue d’école », se permettait des écarts créatifs. Voilà la raison de l’amour universelle de ses compositions.

La dernière fugue, la 14, est restée incomplète parce que Bach serait mort à ce moment-là. Tout s’est donc arrêté soudain, dans un silence que Leonardo Garcia Alarcon a prolongé, avant de marquer la fin du concert et recevoir les applaudissements.

Il a pris la parole pour avouer que ce concert était pour lui « un rêve et un cauchemar », sans doute un rêve pour la musique, un cauchemar pour la logistique de l’organisation.

Nous avions passé la soirée hors des préoccupations quotidiennes ; il a rappelé l’actualité atroce en proposant, pour terminer, Dona nobis pacem de la Messe en Si mineur de Bach. « Accorde-nous la paix. »

Un commentaire ? denis.mahaffey@levase.fr

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Boieldieu et Mozart : les deux parties d’un concert

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L'art de la harpe et de la flûte

Il n’est jamais facile de faire la première partie d’un concert, rock, chanson ou baroque, peu importe, quand une superstar est programmée après l’entracte. Celui qui le précède aura beau avoir du talent, être un honnête créateur, posséder son propre charisme, le public attendra la tête d’affiche pour être époustouflé et ému.

Réuni chaque année pour un concert à la Cité de la Musique à Soissons, l’Ensemble Orchestral de la Cité comprend des professeurs de Conservatoire et d’Ecoles de Musique départementales jouant aux côtés de musiciens de l’orchestre Les Siècles, cette fois sous la direction du chef anglais Harry Ogg. Rappelons que cette disposition reflète l’intention du Département de nourrir des échanges transversaux dans la vie musicale publique.

Au programme, quatre œuvres par deux compositeurs, une ouverture et un concerto de chacun.

D’abord, l’ouverture du Calife de Baghdad et le Concerto pour harpe et orchestre de François-Adrien Boieldieu, un compositeur que le public de la CMD aura eu peu d’occasions d’entendre. Sa musique est irréprochable, tout en étant plus révélatrice des styles, structures et caractéristiques musicaux de son époque que d’une capacité créatrice unique.

Le concerto offre cependant un plaisir particulier, intense et inhabituel, en faisant de la harpe l’instrument soliste, au lieu de la reléguer à son rôle souvent décoratif, réduit à de brefs passages pour ajouter ses tintements en cascade à ce qui se joue ailleurs. La harpiste Valeria Kafelnikov se charge de ce rôle de vedette de son instrument, de passages complexes en cadences éblouissantes. C’est un exploit, de dominer à tout un orchestre avec un instrument connu surtout pour sa délicatesse discrète.

Après l’entracte, l’Ensemble passe à Mozart, avec l’ouverture de l’Enlèvement au sérail et le Concerto pour harpe et flûte, et la différence entre l’artisan et l’artiste, entre l’application et l’envol, apparaît. Mozart est de vingt ans l’aîné de Boieldieu, mais a des airs de jeune rebelle à ses côtés.

Il ne bouscule pas les usages du Classique, il les détourne à sa convenance. Jamais une tournure n’évolue comme l’oreille l’attend, Il se lance dans une mélodie comme une comptine d’enfant, mais l’élabore, la complexifie, crée la surprise en partant sur une voie inattendue. Inattendue ? Une spécialité de Mozart est d’introduire une tournure surprenante mais dont les notes sonnent aussitôt comme inévitables.

Après l’ouverture, pleine d’entrain et de trouvailles, Valeria Kafelnikov est rejointe devant l’orchestre par Gionata Sgambaro, qui se trouve être – à la surprise de ceux qui ne connaissaient pas sa carrière de soliste – un des flûtistes des Siècles.

Le Concerto est très connu mais, comme toujours, l’entendre en direct et en regardant les instrumentistes aiguise l’écoute, révèle l’orchestration par la simple vue des musiciens prenant et déposant leurs instruments. Le mouvement lent, avec sa conversation entre harpe et flûte, n’est jamais moins que sublime, et offre le spectacle fascinant des deux solistes réagissant l’un à l’autre, se retrouvant, se séparant, se fondant.

 

Les solistes partis au milieu des applaudissements, le jeune chef Harry Ogg propose, en bis, la simple reprise de l’ouverture de l’Enlèvement au sérail. L’Ensemble Orchestral de la Cité a pu montrer son homogénéité et c’est, après tout, l’objectif recherché.

Un commentaire ? : denis.mahaffey@levase.com

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