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Exposition

Vie ou théâtre ? : Charlotte Salomon

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L'art de peindre en musique

Jacqueline Defigeas dit les textes, avec Sylvie Pommerolle au piano.

« Charlotte a appris à lire son prénom sur une tombe. » Ce sont les premiers mots du roman biographique de David Foenkinos sur la peintre Charlotte Salomon. Le spectacle adapté de ce livre par la compagnie 2 Guingois, et qui a eu sa première au lycée Léonard-de-Vinci de Soissons, commence par la même phrase sépulcrale, comme l’augure d’un destin funeste.

Charlotte Salomon à Villefranche [JHM Amsterdam]

Charlotte Salomon est née à Berlin en 1917 et elle est morte à Auschwitz en 1943. Etudiante d’art, elle se voit refuser un Premier Prix parce qu’elle est juive. Elle quitte l’Allemagne pour rejoindre ses grands-parents sur la côte d’Azur. C’est là qu’elle se lance fiévreusement dans la composition de son œuvre maîtresse Art ou théâtre ?, qu’elle termine en un an, une histoire graphique avant la lettre, assemblée à partir d’un millier de gouaches, le texte et des notations musicales étant calligraphiés soit directement sur les tableaux soit sur des calques.

Vie ou art ? décrit la relation intime que Charlotte a reconnue entre l’art et la musique : « Voici comment ces feuilles prennent naissance : la personne est assise au bord de la mer. Elle peint. Soudain, une mélodie lui vient à l’esprit. Alors qu’elle commence à la fredonner, elle remarque que la mélodie lui vient à l’esprit. Alors qu’elle commence à la fredonner, elle remarque que la mélodie va exactement avec ce qu’elle veut coucher sur le papier. Un texte s’ébauche en elle et voici qu’elle se met à chanter la mélodie avec ce texte qu’elle vient de composer, recommençant à haute voix un nombre incalculable de fois, jusqu’à ce que la feuille lui semble achevée. »

Le titre fait réfléchir. Vie ou art ? serait plus logique. Mais Charlotte ne voyait pas d’opposition entre sa vie et son art. Le choix était entre la vie et le théâtre, cet « arrangement avec la réalité » au prix de la vérité. Elle apprend, alors que selon ses parents sa tante Charlotte était morte noyée, qu’elle s’était suicidée. Charlotte Salomon portait ce mensonge dans son nom.

Elle se marie en juin 1943 à Nice, est arrêté en septembre, déportée et tuée à Auschwitz en octobre, enceinte de cinq mois.

La compagnie 2 Guingois travaille à l’adaptation du livre de Foenkinos depuis un an. Jacqueline Defigeas et Sylvie Pommerolle ont choisi les textes et une musique qui les éclairerait.

Le livre de Foenkinos lui a valu des prix littéraires ; il a aussi suscité des critiques pour son style sans relief, et la présence insistante de l’auteur. Les extraits choisis, lus à haute voix par Jacqueline Defigeas, se centrent sur l’artiste et les sources de son art, et deviennent éloquents, rythmés, informatifs et émouvants.

Noces des grands-parents de C.Salomon, Vie ou theâtre ?

Au piano, Sylvie Pommerolle joue du Schubert pour évoquer la jeunesse berlinoise de Charlotte puis, pour la montée du Nazisme, Mahler (dont l’entêtant air de Frère Jacques, devenu marche funèbre, de sa 1ère Symphonie). Elle passe à Debussy pour l’arrivée en France, et revient à Schubert pour la phase terminale. Elle ne joue pas de morceaux en entier : la musique ponctue le texte, partage l’espace avec la parole.

Charlotte a eu sa première dans la salle de réunion du lycée, le public serré autour de l’espace de jeu contenant un piano, des paravents translucides derrière lesquels la lectrice peut s’abriter, un écran sur lequel des images des tableaux sont projetées. L’éclairage se module pour suivre les épisodes.

Ce n’est pas tout. Un grand chevalet carré est monté du côté jardin. Car ce qui met le feu à cette histoire d’une artiste est la présence d’un autre artiste, Salim Le Kouaghet, qui peint, au cours du spectacle, avec des gestes rapides, presque acrobatiques, et en n’utilisant que les trois couleurs primaires comme Charlotte Salomon, d’abord seize petites toiles carrées fixées sur son chevalet, puis, quand il le fait basculer, quatre plus grandes de l’autre côté.

La biographie, la musique et l’art deviennent vivants. Légèrement théâtralisé – la lectrice porte une valise pour l’arrivée en France, un chapeau de paille sous le soleil du Midi – ce spectacle réconcilie les deux mots auxquels Charlotte Salomon devait faire face : la Vie et le Théâtre.

Les toiles peintes pendant la représentation, et d’autres produites pendant les répétitions, sont exposées dans la galerie d’art du lycée Léonard-de-Vinci de 8h à 18h jusqu’au 15 février.

Exposition

Les paysages en miniature des tilleuls du bd Victor Hugo

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L'art de la photo

Comme un glacier entre deux pentes boisées

Après avoir rempli la chapelle Saint-Charles l’été dernier de photos de la guerre en Ukraine, villes dévastées, visages hantés, vies en suspens, le photographe Thierry Birrer se tourne vers d’autres vies, celles des mousses, brins d’herbe et insectes qui, inaperçus des passants pressés, occupent les tilleuls le long de l’avenue Victor-Hugo à Soissons.

Des montagnes et falaises rocheuses, fleuves, glaciers, nus ou couverts d’excroissances, d’arbustes, de forêts et fleurs, de créatures vivantes, parfois sous l’eau : c’est ce que perçoit l’œil du visiteur entrant dans la salle d’exposition du café associatif Au Bon Coin. Il faut connaître le vrai sujet pour faire le point avec le regard, se rendre compte de la réalité de son titre : Le Minuscule en Géant.

Des cherche-midi, ainsi désignés pour leur amour du soleil.

Thierry Birrer a photographié en gros plan la surface de troncs de tilleul : les surfaces rocheuses ne sont que leur écorce, la végétation consiste en petites parcelles de mousses vertes, taches créées par d’autres champignons et moisissures, brins d’herbe, de lieux de vie d’insectes. De géologiques les paysages deviennent botaniques.

Son objectif en choisissant les tilleuls de l’avenue Victor-Hugo était de montrer une vie foisonnante ignorée, selon lui, par les foules qui sont intervenues pour protester contre l’abattage de ces arbres dans le cadre d’un projet de développement municipal.

Il voyait autant les avantages de la biodiversité obtenue en plantant diverses essences d’arbre, au lieu de la monoculture du tilleul. « Certains arbres étaient malades » explique-t-il, « d’autres, on le voit, mourants. »

« J’étais choqué par la violence des propos de ceux qui voulaient protéger les tilleuls, sans avoir bien regardé ce qu’ils protégeaient. »  De petites pancartes ont été posées sur tel tronc : « J’aime mon arbre », sans que le protecteur sache en profondeur ce qu’il prétendait aimer. Alors il a pris les photos, sur lesquelles les arbres révèlent le riche habitat qu’ils constituent, comme un geste pédagogique.

Comme sous l’eau : anémone de mer et algues

L’exposition est un voyage de découverte de la vie qui se cache dans le minuscule. C’est un voyage que Thierry Birrer a pris depuis de longues années.

La Ville envisage déjà de transférer l’exposition vers le centre social Saint Crépin, avec 15 images, alors que seules 12 ont trouvé place au Bon Coin. Un autre projet est d’imprimer les photos sur de l’aluminium laqué et de les exposer pour la Fête du Quartier le 24 juin. « Comme ça elles peuvent rester dehors. » Comme les arbres auxquels elles rendent hommage.

Le minuscule en géant, Bon Coin jusqu’au 31 mars.


Paroles d’Ukraine, l’exposition de Saint-Charles, agrandie en nombre de photos et de tableaux de l’artiste Lesia Babliak, est installée dans l’église Saint-Bernard de Reims jusqu’au 15 avril.

[Cet article paraît dans le n°352 du Vase Communicant.]

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Exposition

André Kertész : la vérité graphique du monde

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L'art de la photo

Au milieu du grand hall d’entrée du lycée Léonard-de-Vinci de Soissons il y a un bassin circulaire carrelé, de la taille d’une généreuse piscine de jardin, mais en plus profonde. Il ressemble à une petite piscine, mais sans eau. Il y a des marches pour descendre à l’intérieur, et le fond est entouré d’un rebord comme un banc pour s’asseoir, lui donnant un air de mini-amphithéâtre.

Treize grands panneaux contenant des photos prises par André Kertész, le photographe franco-hongrois, sont accrochées en haut, autour du bassin, sur les deux tiers de sa circonférence.

La galerie d’art du lycée étant temporairement indisponible, Hortense Garapon, professeur et responsable des expositions, a pu utiliser cet autre endroit pour accrocher les images du photographe. Comme le souligne le proviseur Dominique Haraut, un lycée général, technologique et professionnel s’occuper aussi de sensibiliser ses élèves aux arts, d’où le riche programme d’expositions qui s’y succèdent. Les classes les visitent en compagnie d’enseignants aptes à enrichir leur perception de ce qu’ils voient.

En photographiant, Kertész n’a pas les mêmes objectifs que ses trois grands contemporains, Doisneau, Willy Ronis ou Cartier-Bresson. Eux excellent à saisir un regard, un geste, un mouvement qui révèlent la nature humaine de ses sujets, souvent jeunes, souvent dans la rue. Les images de Kertész sont fréquemment vides, ou bien les êtres humains sont photographiés sous un angle qui les cache, ou en silhouette, ou dominés par leur propre ombre.

Son propos n’est pas de créer une émotion par une vision de l’humanité. D’ailleurs, il y renonce clairement : « Ce n’est pas le sujet qui fait une photographie, mais le point de vue du photographe. »

Ce qu’il explore et découvre et illustre est la nature graphique de ce qui est photographié. Que ce soit une foule en file indienne autour d’une église, ou son autoportrait, dans lequel il est derrière un verre cathédrale qui l’obscurcit, ou, dans sa série Distorsions, un corps de femme nue déformée par un effet optique, Kertesz dégage, dans chacune de ses images, les schémas graphiques, lignes, objets, ombres, par lesquels le monde se dessine – « la mécanique du monde ».

Kertesz choisit souvent une vue en plongée, ce qui l’éloigne suffisamment de ce qu’il photographie pour révéler les formes qui nous entourent et dans/par lesquelles nous vivons. De trois enfants côte à côte on ne voit que les têtes d’en haut, le détail des corps n’apparaissant que dans les ombres projetées par terre. Le point de vue éloigne les enfants vivants pour révéler la disposition des formes qu’ils créent.

Un homme se cabre, son corps, noir dans la lumière du fond, devenant un élément presque imaginaire. L’œil du visiteur remarque, non pas la nature de l’homme, mais le fait que la végétation, dressée derrière son dos, paraît se plier devant son approche. La nature devient graphique.

Une autre photo montre l’entrée de la maison du peintre Mondrian. Un regard rapide ferait penser à un tableau de Bonnard, auquel il ne manquerait que la couleur, la femme et peut-être la baignoire. En l’absence de ces éléments l’œil se met à percevoir les formes que montre l’image, le cadre de la porte laissant voir le palier éclairé, l’escalier qui monte, la rampe. Il y a aussi la courbe qui fait, non pas voir mais deviner l’escalier qui continue de descendre. L’avant-plan est plus sombre, jusqu’à cacher le détail de certains éléments, mais, au milieu, une plante est éclairée par la lumière entrant par la porte et créant, en contrepartie, l’ombre portée par la plante et son pot sur la table.

L’image montre, non pas les personnes qui monteraient et descendraient les marches, qui passeraient par la porte, qui regarderaient la plante, mais l’assemblage graphique de ce qui entoure leur vie. C’est, comme il l’a dit, non pas le sujet de la photo qui compte, qui innove, mais le point de vue choisi par celui qui photographie.


L’exposition Kertész, organisée en commun avec Diaphane, pôle photographique de la région des Hauts-de-France, avec des photographies venues de la Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie, est ouverte jusqu’au 13 mars.

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Exposition

L’exposition lumineuse et sombre de Françoise Federigo

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L'art de la peinture malgré tout

 

La galerie d’art du lycée Léonard de Vinci est devenue lumineuse, alors que l’éclairage reste discret et que le soleil n’y pénètre pas. La source de lumière ? Ce sont les toiles de Françoise Federigo, par leurs couleurs claires et chaudes, et la vie qui y vibre : deux enfants aux pieds de leurs parents dans un bois ; un couple, elle en robe fleurie, lui assis sur un rebord de fenêtre ; une femme à moitié cachée par un énorme bouquet de fleurs.

L’artiste ne vise l’hyperréalisme, et les personnages sont éloquents justement parce que le spectateur peut passer sur les formes pour s’ouvrir au fond.

Les toiles de Scènes d’une vie en peinture viennent de la sœur de l’artiste, Catherine Gilbert qui, avec son mari Jean-Paul, a ouvert leur château de Limé aux artistes et musiciens. Au vernissage, elle a parlé du contexte sombre de cette exposition inondée de lumière.

Née en 1949, Françoise, étudiante aux Beaux-Arts, subit à 20 ans deux graves AVC, qui la laissent paralysée. Seuls son bras et son œil gauches sont valides. L’anéantissement. Un jour elle demande son chevalet. Elle peint d’abord les fleurs offertes à une malade, puis fait le grand saut : les réalités de la vie lui étant interdites, elle peindra sa vie imaginée : amoureux, enfants, rencontres. Elle est morte en 2020.

L’impression est de félicité, de jeunesse (les vieux sont absents) dans un cadre ensoleillé et idyllique. Il est donc tentant de voir en Françoise Federigo un exemple édifiant de contentement, de malheur transformé en bonheur par l’art.

Mais il faut regarder de plus près les personnages, en passant outre à leurs activités apparemment plaisantes. Presque tous sont peints les yeux grand ouverts, un point noir ou bleu entouré de blanc. Le couple dans un bois avec les enfants regardent l’un à gauche, l’autre à droite, le regard intense. Ne seraient-ils pas perdus, pourchassés ou même envisagent-ils de nuire aux enfants ? L’homme à la fenêtre ne regarde pas celle qui le regarde, et sa bouche fait un rictus en coin.

Françoise Federigo a fait des images où l’épanouissement, familial ou autre, prédomine, dans des couleurs franches. Mais elle y met aussi son destin d’estropiée. Sa vision est ambivalente, preuve de son statut d’artiste exploratrice de la nature humaine.

Le regard n’est pas béat : une femme assise se touche les cheveux, un homme debout derrière respire la suffisance. Titre du tableau : « Avec Luc, je vous emmerde tous ».


Catherine Gilbert parle de sa soeur l’artiste.

Catherine Gilbert a parlé au vernissage de sa sœur et d’elle-même, en évoquant le contexte familial. Leur père était un refugié politique italien, un homme rigoureux qui faisait tout pour assurer la réussite de ses filles. « Même pendant les vacances il nous imposait une version latine quotidienne. » Françoise, qui déviait du projet parental en voulant devenir artiste, avait dû insister pour le faire accepter.

Salim Le Kouaghet, associé au lycée Vinci pour l’activité de la galerie d’art, est notamment responsable de l’accrochage des expositions, et pour l’adaptation de l’espace. Il a disposé les tableaux de Françoise Federigo de façon à créer des résonances entre eux, parfois à instituer un dialogue.

Il a commenté les tableaux, en insistant sur leur qualité – peut-être pour dépasser l’admiration sympathique pour une artiste qui a pu surmonter son incapacité physique. Il a fait remarquer la beauté des couleurs qu’elle choisissait, et insistée sur le cadrage, qui peut paraître improvisé mais qui en fait est astucieux, en centrant l’attention sur ce qui compte.

Salim Le Kouaghet présente l’exposition.

Les visiteurs de l’exposition se rendront compte, peut-être pas immédiatement, que des fils de couleurs différentes lient le cadre de chaque tableau au pilier carré au centre de la galerie, formant un réseau qui rappelle l’unité de l’imagination qui a dicté les sujets. Il mène aussi à l’artiste elle-même : sur le côté du pilier en face de l’entrée, l’image de Françoise elle-même, en noir et blanc, est donc au cœur de ce réseau, et c’est elle qui accueille chacun avec l’ombre d’un sourire aux lèvres, et les yeux interrogateurs.

Accès 8h-18h hors vacances scolaires, sur RV au 06 20 73 77 75. Jusqu’au 13 janvier.

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