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Exposition

Je ne suis plus fou

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L'art de peindre la souffrance

Ce que Francis Bérenzé voit dans le tableau d’André Brouillet, Une leçon clinique à la Salpétrière

En avril 2010 j’ai rencontré le peintre Francis Bérezné à une exposition de ses tableaux dans la galerie du lycée Léonard-de-Vinci à Soissons, organisé par Salim Le Kouaghet de l’association La Maison Anglaise à Arcy-Sainte-Restitue. « J’avais partagé un atelier à Paris avec Francis et je l’ai invité. »

Francis Bérezné a expliqué que les œuvres exposées avaient été faites pendant les vingt ans qui ont suivi ses longs internements psychiatriques. « Je ne suis plus fou » a-t-il ajouté. Les tableaux semblaient montrer le chemin parcouru pour sortir du chaos. Je l’ai photographié devant deux panneaux d’un récent autoportrait en triptyque où il pose dans une robe « de nombreuses couleurs » comme celui de Joseph dans la Bible.

Le tableau d’André Brouillet

D’autre part, entre 2002 et 2008 il avait produit un élément majeur de son œuvre, « Les Hystériques », une longue série de tableaux peints à partir de photos prises à l’hôpital de la Salpétrière pendant les renommées leçons publiques de Charcot, mettant en scène des patients « hystériques ». Une vingtaine de ces tableaux sont exposés actuellement à la Halle Saint-Pierre à Paris.

Le peintre reproduit des malades, souvent couchées, parfois des médecins. D’études de cas il fait des êtres aux abois face à leurs délires et à ceux qui les observent. Comme Francis Bacon, il sait décaper les façades institutionnelles pour révéler le désordre et la férocité qu’elles dissimulent.

Une seule toile prend son départ dans un tableau, le célèbre portrait de groupe d’André Brouillet, que recadre Bérezné sur la patiente avec Charcot, une infirmière et deux hommes. L’image peinte par Brouillet a quelque chose d’indécent, presque de pornographique : la femme arc-boutée en arrière, les yeux fermés, le corsage et le chemisier laissant voir sa gorge et le haut du buste, devant tous les hommes en costume. Que fait Bérezné ? Il efface le détail de ceux qui entourent la femme, et remplace tous les blancs (cols, manchettes) par un jaune impitoyable. Surtout, le visage de la femme – aux yeux ouverts ! -et son buste sont peints dans « de nombreuses couleurs », faisant d’elle une écorchée vive qui laisse voir, non pas sa chair mais les saisissements qui la parcourent, la commandent.

Ce recours aux couleurs change rétrospectivement le regard sur l’autoportrait de la galerie du lycée. Les couleurs traduiraient, non pas la joie de vivre mais le trouble.

Un tableau de Francis Bérezné


Tableau peint par Salim Le Kouaghet après la mort de son ami Francis Bérezné

Six mois après son exposition à Léonard-de-Vinci, Francis Bérezné s’est pendu. « Il allait bien » s’étonne encore Salim Le Kouaghet. Inévitablement, un suicide inattendu interroge. « Je ne suis plus fou. » Se serait-il tué parce que, comme Virginia Woolf chargeant ses poches de pierres et rentrant dans une rivière, il craignait le retour de la folie ? Ou parce que la folie ne le protégeait plus contre les précipices de la réalité ?

En apprenant sa mort, Salim Le Kouaghet a tout de suite peint deux tableaux à sa mémoire (voir ci-contre).

Halle Saint-Pierre, 2 rue Ronsard, Paris 18 jusqu’au 26 février [24/02 : exposition prolongée jusqu’au 20 mars]

Consulter le site www.francis-berezne.net

denis.mahaffey@levase.fr

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