Les “Persononages” de Michel Gasqui
Le collectif Artistes Axonais Associés, basé à Soissons, comme quatre des six membres, avait monté sa première exposition à l’abbaye Saint-Léger. Cette fois ils se sont éloignés jusqu’à Saint-Quentin.
La galerie 115, un ancien commerce dans la rue d’Isle, à mi-chemin entre la gare et la basilique, contient deux espaces d’exposition complètement blancs et ouverts l’un sur l’autre. Dans la vitrine, un clown de Daniel Amadou construit autour d’une roue de vélo se dresse devant une toile tout en éclats de couleur de Maryse Bonneau, comme pour indiquer aux passants l’aspect collectif de l’exposition : les œuvres sont distinctes, mais mises en relation pour susciter un regard dans lequel elles interagissent.
Pour l’exposition à Soissons les six peintres, dessinateurs et sculpteurs avaient choisi le thème de la Crucifixion, sans l’imposer. Ici, chacun a ses sujets, ses préoccupations et ses inspirations, et c’est leur présence consciemment partagée qui crée l’ambiance et rappelle les rapports d’artiste à artiste. Michel Gasqui, animateur du groupe, est réaliste : « Il faut convenir d’un thème un an à l’avance. »
Les assemblages d’Hélène Loret commencent par intriguer, en associant des éléments qui donnent l’envie de comprendre l’histoire qui les relie, puis inquiètent en refusant de se prêter à ce jeu trop facile. Les titres, tout un poème chaque fois, ajoutent à l’interrogation. Une touche de perversité ne serait pas loin.
Daniel Amadou, absent au Mexique, a laissé accrocher ses « drôles d’oiseau », une volée de têtes de rapace sur fond d’ardoise couleur corbeau, et qui font semblant d’être féroces, sans arriver à cacher leur bonne humeur.
Marie-Laurence Maïtre, Hélène Loret, Maryse Bonneau et Michel Gasqui
Eric Meyer, le Parisien du collectif, élabore ses personnages et leur entourage jusqu’à l’extrême, mais en gardant l’innocence de quelqu’un qui griffonnerait sur un papier pour mieux se concentrer.
Les maisons et bâtiments abandonnés de Michel Gasqui sont devenus familiers sans être moins mélancoliques (ou protestataires : quels abus les ont vidés ?). Le carton ondulé n’a jamais été aussi éloquent. Dans un autre registre il expose une tablée de « personnages », marionnettes statiques ingénieuses faites d’objets de récupération, chacun éclairé plus qu’identifié par une étiquette.
Parmi d’autres plus figuratifs, plusieurs tableaux de Maryse Bonneau continuent à explorer la fragmentation des surfaces, et l’effet de vibration optique imparti aux couleurs.
Un élément fort de l’exposition est une série de tableaux par Annie-Claire Alvoët. De loin, les formes bleues sur un fond marron clair paraissent abstraites. De près le visiteur s’aperçoit qu’elles marquent le relief de torses de femme nus. La série s’inspire du mouvement féministe des « Femen », qui manifestent en se dénudant.
Tableau d’une série d’Annie-Claire Alvoët sure les Femen
L’exposition a été inauguré par Marie-Laurence Maître, adjointe à la culture de la Ville de Saint-Quentin, qui rappelle qu’un événement culturel a lieu dans cette galerie municipale chaque semaine, et que les voisins de Soissons y sont accueillis avec plaisir.
Une telle exposition est un outil, qui montre que l’intérêt d’agir en collectif n’est pas tant de créer une « Ecole axonaise » que de cheminer à la lumière et à l’ombre de chacun des autres.
DM ajoute :
Avant l’ère du Thalys, quand les trains pour la Belgique et les Pays-Bas s’arrêtaient encore à Saint-Quentin, j’y passais souvent, pour déposer femme en enfants à la gare ou les reprendre. Quand j’avais le temps, après le départ ou avant l’arrivée du train, je montais la rue d’Isle – sans remarquer le commerce qui allait devenir une galerie, contournais la place de l’Hôtel de ville, jetais un coup d’œil vers la basilique dressée comme un piton rocheux, et redescendais vers la gare, dont le buffet servait de salle d’attente du train qui filerait vers les frontières du Nord ou en reviendrait en direction de Paris.
L’exposition m’y ramène. Les changements, appréciés ou non (comme les rocailles à mi-chaussée de la rue d’Isle) sont vécus comme de petites trahisons des images du souvenir. Les ténèbres dans la basilique se seraient encore plus assombries, plus contrastées avec les splendeurs Arts Déco de la ville.
Celles-ci s’imposent au regard, s’y insinuent aussi. Dans une petite rue obscure qui donne sur la rue d’Isle, un renflement au-dessus de la porte d’une maison simple, mitoyenne de celles de chaque côté, s’étend en hauteur jusqu’au second étage et se termine par un balcon entouré d’une broussaille de fer forgé. Voilà le principe de l’Art Déco : utiliser des formes géométriques, droites ou courbes, pour embellir un bâtiment sans jamais brouiller ni ses lignes ni sa fonction.
denis.mahaffey@levase.fr