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Les quatre …ismes : la rentrée théâtrale

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L'art du monologue

Raouf Raïs parle d’un monde désorienté.

Au Mail, le premier spectacle de la saison en salle est Lettre à un soldat d’Allah, chroniques d’un monde désorienté. Mais la longue pause d’été fait de cet événement autant une redécouverte pour les spectateurs après trois mois. Ils retrouvent ainsi les visages qui les accueillent, en bas, et en passant devant les agents de sécurité, et en faisant, non plus déchirer, mais scanner les billets en haut. Ils arrivent dans la salle aux sièges tout rouges mais qui gardent, comme une ombre, le souvenir des bleus qui identifiait la salle pour les artistes et compagnies qui y passaient.

Ils attendent dans le bruissement des conversations. Cinq spectatrices, assises côte à côte au même rang, sont d’anciennes bénévoles de ce qu’on doit désormais appeler, avec un pincement de regret, « l’ancienne » VO en Soissonnais, la fête du théâtre qui jusqu’à l’année dernière mettait les théâtrophiles en ébullition à la Pentecôte. Que penseront-elles du monologue qu’elles vont voir, un « petit format » idéal pour VO ?

Rappel par la direction des incontournables raisons d’éteindre les téléphones mobiles (dont les écrans rayonneraient dans les yeux des voisins autour, de la régie en haut et même des comédiens sur scène).

Enfin, enfin, l’éclairage de la salle baisse et les projecteurs sur scène prennent le relais. Dans l’obscurité chaque spectateur, seul mais en compagnie de tous les autres, entre dans le monde du théâtre, qui ne reproduit pas la vie, mais la représente.

Le texte de Lettre à un soldat d’Allah est adapté d’un essai de l’écrivain Karim Akouche, kabyle né en Algérie et qui vit au Québec, joué par Raouf Raïs et mis en scène par Alain Timár, qui a créé le spectacle à Avignon en 2018.

L’acteur, seul en scène, aborde la question de la radicalisation de jeunes Musulmans – en l’occurrence un ami du narrateur, à qui il s’adresse directement : « C’est fou comme tu as changé. Je ne reconnais ni tes yeux, ni ta barbe, ni tes idées. Un océan de cauchemars nous sépare. Pourtant nous étions si proches. »

Pour commencer il est dans la dénonciation des dérives de la religiosité, avec chevalet de conférence et marqueur à l’appui. Ses remarques peuvent créer un malaise : s’il y a des membres du Rassemblement National dans la salle, jubileront-ils d’entendre leurs préjugés ainsi réconfortés ?

L’écrivain Karim Akouche signe ses livres au Salon du Livre.

Mais l’orateur affine son discours : il vise, non pas l’Islam, mais son dévoiement, l’islamisme, que l’auteur perçoit comme un refus de la raison, de l’humanisme, même de la beauté et de la culture : les islamistes, selon lui, visent à détruire et à interdire ce qui fait des hommes des êtres pensants et croyants, pour en faire des robots qui obéissent à l’irrationnel.

Le discours s’élargit en critique des quatre « …ismes » qui mettent la civilisation en danger : l’islamisme, le consumérisme, le capitalisme, et l’extrémisme de droite.

Le comédien est incisif, athlétique – et parfaitement audible, ce qui assure la compréhension par le public, même quand la mise en scène l’oblige à crier, hurler de longs passages. A propos, la véhémence doit-elle se traduire par des rugissements sur scène ? Dans le passage le plus fort, l’acteur s’assied et lit une lettre écrite à un extrémiste par une jeune fille.

Raouf Raïs sait aussi être déchirant : rappelant son enfance dans l’incompréhension de ce qu’on lui inculquait, il se confie : « Je porte le cadavre de mon enfance. »

Après le spectacle, auteur et metteur en scène le commentent et répondent aux questions en bas. Leur discours devient une reprise des arguments de la pièce, ce qui au mieux prolonge le débat, mais sans l’effet créé par la pièce elle-même. Au théâtre nous jouons à croire à ce qui se passe sur scène : c’est à dire que nous nous prêtons à la même expérience que le personnage. C’est cela le théâtre, et c’est sa force.

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