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Théâtre

Prochainement / Le Petit Bouffon lève le coude

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L'art du café-théâtre

Mélanie Izydorczak, Didier Viéville et Laurent Colin au comptoir du café du village de Sarcelles-les-Gazouillis.

Théâtre populaire ? Le terme est parfois appliqué à des spectacles mettant en jeu de grands thèmes sociaux ou politiques, mais qui ont recours à la tradition du vaudeville, de la farce ou du cirque pour faire passer leur message.

Le théâtre populaire tel que le pratique la compagnie du Milempart vise autre chose : accueillir et renvoyer les spectateurs dans la bonne humeur, avec des spectacles qui n’ont rien, mais rien d’anxiogène, qui sont conçus, mis en scène et joués pour divertir un public à la recherche d’une soirée au théâtre qui lui fera sourire et rire, à gorge déployée si possible. « Ca fait tellement de bien ! »  est un commentaire fréquent à la sortie du salle. « Le prix d’entrée devrait être remboursé par la Sécurité Sociale » commente un autre spectateur.

Depuis une trentaine d’années, et en une soixantaine d’épisodes, la Compagnie du Milempart égrène la saga des habitants de Sarcelles-les-Gazouillis. Mélanie Izydorczak, Didier Viéville et Laurent Colin, qui forment la troupe, se partagent les rôles, chacun en assumant plusieurs. Pour leur nouveau spectacle, Au pied levé, ils ont recruté quelques acteurs amateurs pour augmenter la population du village.

Didier Viéville, fondateur de la compagnie et qui a créé il y a trente ans la salle du Petit Bouffon dans un local abandonné, imagine et écrit les épisodes de la vie des Sarcellois (les-Gazouillis). « J’ai généralement trois ou quatre en tête et en écriture à la fois. »

« Je pensais à deux villages en créant le nôtre : Tartiers pour la topographie et Trosly-Loire pour la vie quotidienne. » Au fil des années, la physionomie du village et de ses villageois s’est élaborée dans le moindre détail, avec un petite tonalité rétro. L’épicerie « Les Goulets » rappelle la chaîne Goulet-Turpin. Le café “Chez Mimile” est géré par Emile et sa mère Raymonde

Comment tenir compte de toutes ces caractéristiques de pièce en pièce ? En bien, en tenant ce qui s’appelle dans le métier la « bible », contenant toutes les informations sur les personnages et le village – jusqu’à la distance entre deux lieux, pour rendre les déplacements crédibles.

Mélanie, Didier et Laurent parlent des personnages qu’ils jouent comme de vieux amis dont ils connaissent tous les traits de caractère et toutes les lubies, au point de pouvoir improviser des répliques au besoin. Le public d’habitués les connait autant, et attend chaque fois d’apprendre leurs dernières extravagances.

Chaque épisode met les habitants en face d’une situation inédite, et le plaisir du public vient de leurs actions et réactions. Que faire, dans un récent épisode, quand un supermarché devait ouvrir ? Cette fois, dans Au pied levé, les deux cafetiers décident de partir en vacances pour la première fois de leur vie. Qui les remplaceront ? C’est toute l’histoire. Disons que ceux qui connaissent Sarcelles comme leur poche, et c’est le cas de beaucoup de spectateurs, pousseront des oh ! et des ah ! en apprenant que les rênes seront tenus par Patrick et Alison, tellement les deux élus semblent inadaptés à la tâche.

Le Petit Bouffon, avec ses velours rouge et ses tables devant la scène, est un bel exemple d’un « café-théâtre ». Il appartient ainsi a ce mouvement qui a commencé dans les années 1960, avec l’ambition d’offrir de nouvelles formes de théâtre proposant de nouveaux formats, auteurs et comédiens, dans un environnement qui assure la proximité entre scène et salle, à l’ambiance détendue et sociable d’un café. Le Petit Bouffon a été le premier café-théâtre en Picardie, il y a trente ans.

Les décors pour la saga de village n’ont rien d’improvisé : ils sont méticuleux, hyperréalistes même. Mélanie, Didier et Laurent acceptent de terminer l’entretien sur leur nouveau spectacle en posant pour la photo derrière le comptoir du café. Immédiatement, même sans habits de scène, ils adoptent des postures de personnages, créent un embryon d’histoire qui ne demande qu’à se dérouler.

Etant donné la familiarité de leurs personnages et situations, ils n’auront pas de trac pour Au pied levé, n’est ce pas ? Ils réagissent vivement. « Si, un trac terrible. Surtout à la première. On a peur, toujours peur, que le public ne rira pas. »

Au pied levé offre l’occasion à ceux qui ne connaissent pas cette forme bien vivante du théâtre populaire de se mêler aux fidèles – dont les réactions font partie du spectacle.

Au pied levé, du 12 octobre au 21 décembre les vendredis et samedis à 21h. Petit Bouffon, rue de Milempart, Villeneuve-Saint-Germain.

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Le Vase des Arts

Résistance(s)

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L'art de lengagement

Pendant la longue semaine de Mail & Compagnies, le théâtre du Mail ouvre ses deux salles, la grande en haut, la petite en bas – l’auditorium au milieu étant en réfection – à des compagnies professionnelles du Soissonnais. Le grand public est le bienvenu mais, en principe, la saison annuelle vise le jeune public scolaire. Le programme, composé surtout de spectacles pour les élèves du primaire, comprend tout de même deux autres pour les collégiens, dont Histoires cachées de la Compagnie du Milempart, une adaptation de quatre nouvelles de Maupassant.

L’autre spectacle est Résistance(s), de la compagnie Nomades de Vailly-sur-Aisne, écrit et mis en scène par Jean-Bernard Philippot. Créé en 2019, il a subi les effets des deux confinements Covid et des autres restrictions. Il a été joué au festival d’Avignon en 2022.

Interrogation brutale de Sophie

Les réactions publiques et critiques ont été bien positives, et la compagnie part bientôt en tournée en Allemagne (en proposant une version en allemand, car les comédiens sont bilingues en allemand, ou allemands). Les deux séances au Mail ont offert la possibilité pour ceux qui ne l’auraient pas encore vu, ou qui voulaient le revoir, d’assister à Résistance(s).

D’autres commentateurs ont relevé l’importance du « s » ajouté à « résistance ». La pièce raconte la lutte contre le nazisme totalitaire, à travers l’histoire de deux jeunes filles, Sophie la Munichoise et Doucette la Picarde. Sophie Scholl a réellement existe, membre du réseau de la Rose Blanche, arrêtée et exécutée pour avoir distribué des tracts anti-hitlériens ; Doucette est une invention de l’auteur, et elle a été arrêtée et exécutée pour avoir caché une ami juive.

Ces deux faces du même combat sont montrées en parallèle, en alternance, avec parfois des raccourcis glaçants. L’interrogateur nazi en Allemagne questionne brutalement Sophie, la quitte, traverse la scène… et reprend l’interrogation de Doucette en France.

Trois des neuf comédiens sont aussi musiciens, ce qui fait que l’accordéon, le violon et le piano, au lieu de sortir d’amplificateurs, s’intègrent dans l’action, allègent le poids écrasant de la tragédie qui se passe.

Le texte est souvent déclamé, comme pour en éloigner toute familiarité. La scène est constamment en mouvement. Les éléments de scénographie sont légers et mobiles, et l’aspect du plateau change constamment. Un monde en guerre déstabilise tout. La lutte est violente. Les vies, les gens, les idées, les luttes, le courage et la peur se bousculent.

Même avec seulement neuf comédiens, Résistance(s), par le sujet vaste qu’il couvre, a quelque chose du même souffle dramatique que Sur le chemin des Dames, grande fresque franco-allemande des mêmes auteur et compagnie, jouée au Fort de Condé, avec une foule de comédiens et bénévoles.

Vers la fin, les deux jeunes femmes héroïques s’alternent pour réciter un poème. Dès les premiers mots, la décision de l’inclure paraît inévitable, un commentaire venu d’ailleurs mais qui contient tout le sens de Résistance(s) :

« Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom… »

La tension grandit le long du poème, pour se résoudre dans le dernier mot : « Liberté ».

Un commentaire ? denis.mahaffey@levase.fr

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Des incandescents face à leur destin

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L'art d'être soi-même

Au début d’Incandescences (*), un jeune homme parle de ses parents, dont une grande image est projetée au fond du plateau. Son père et sa mère paraissent fatigués, usés même, mais se penchent tendrement l’un vers l’autre. Leur rencontre, selon Virgil Leclerc, avait été « incandescente ! ». Ils sont nés ailleurs et ont connu l’exil, comme les autres familles des neuf jeunes comédiens, cinq hommes, Aboubacar Camara, Ibrahima Diop, Philippe Quy, Jordan Rezgui et Virgil, et quatre femmes, Marie Ntotocho, Julie Plaisir, Merbouha Rahmani, Isabela Zak.

Virgil Leclaire devant l’image de ses parents

L’auteur et metteur en scène Ahmed Madani les a choisis parmi la centaine qui ont participé à une série d« auditions » à travers la France. De leurs témoignages sur les rapports entre hommes et femmes et sur l’amour, il a tiré le texte créé en 2019 (et qui a été plusieurs fois reporté au Mail, à cause du Covid).

Chacun et ensemble ils racontent leurs origines et expériences. Ce qu’ils ont en commun est illustré, avec une merveilleuse simplicité, par une autre vidéo projetée : un ensemble de boîtes, dans chacune desquelles un des acteurs est coincé, se tortillant, tournant sans arrêt, à la recherche d’une position tolérable. Sur le plateau, sortis de cet espacé confiné, ils sont libres pour bouger, courir, danser et, surtout, dire un texte qui mélange leurs expériences personnelles à des éléments écrits par Ahmed Madani. Avec une énergie débordante, ils ont d’abord raconté les histoires d’amour de leurs parents, en mêlant les faits à leurs fantaisies sur la prouesse sexuelle des géniteurs, avec une crudité qui est, d’abord hilarante, et la preuve qu’ils n’éviteront aucun aspect de leur vie.

Ils passent aux émois et complexités des rapports entre hommes et femmes, dans un milieu qui n’est pas tendre pour de tels épanchements, et qui tente d’imposer des règles parfois brutales.

Philippe Quy devant la boîte qui l’a enfermé.

La seconde partie d’Incandescences permet à chaque comédien de se raconter plus longuement. Julie Plaisir, la plus exubérante des neuf, devient sombre en racontant son expérience d’harcèlement en tant que militaire. « Je me suis éveillée, et il était en moi. » Ses protestations après ce viol n’ont rencontré que le conseil ferme de ne pas faire du bruit, de peur de ruiner sa carrière dans l’armée.

Jordan Rezgui confie ses incertitudes pendant l’enfance et l’adolescence quant à sa sexualité, et les réactions blessantes qui l’ont atteint, la confusion qui lui a fait douter de son avenir affectif, dans un milieu où l’attirance « non-réglementaire » est condamnée. Subissant le refus d’une fille qu’il aimait, il en a abordé une autre, une manœuvre qui a éveillé l’intérêt, et plus, de la première. Son récit se termine : « Et maintenant, j’ai un fils. » Sa joie sur scène est si évidente qu’elle a suscité des applaudissements dans la salle. Les spectateurs saluaient, non pas sa performance mais son bonheur.

En physique, l’incandescence est le phénomène par lequel une matière chauffée à une haute température émet une lumière. C’est la chaleur avec laquelle les neuf jeunes témoignent de leur vie, leurs amours, leurs difficultés qui recrée le phénomène sur scène. Le temps de la représentation, le monde est plus lumineux.


(*) Ahmed Madani termine avec ce spectacle sa trilogie Face à leur destin : Illumination(s), qui donnait la parole à de jeunes hommes issus de l’immigration, et F(l)ammes, consacré aux jeunes femmes.

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Le Vase des Arts

La fin d’une affaire

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L'art du monologue

Patricia Roland incarne la femme bafouée.

La voix humaine de Jean Cocteau est un défi pour toute actrice. Seule sur scène avec un téléphone, une femme conjure son amant de ne pas la quitter, plaide, pleure, tente de convaincre. En vain. A la fin, incapable d’agir, elle le supplie de raccrocher.

Patricia Roland de la compagnie amateur L’art et la manière, et née à Chivres-Val,  relève le défi, cherchant en elle-même la matière première de son jeu. « Le plus difficile est de faire comprendre ce qui est dit à l’autre bout de la ligne. » Ces autres voix – l’homme, son majordome, la standardiste, une appelante sur une ligne croisée – ne s’entendent que dans les réactions de la femme. « Je suis seule, mais je dois « jouer » les autres rôles. »

Le texte est poignant, pour l’actrice comme pour les spectateurs, car il touche à l’amour bafoué, qu’il soit vécu ou redouté. Mais c’est l’art du théâtre qui, en agitant l’esprit, le libère.

Jean Cocteau a écrit La voix humaine en 1929, et la pièce a été créée par Berthe Bovy en 1930. De nombreuses actrices et cantatrices (pour l’adaptation par Francis Poulenc) se sont mesurées aux exigences de ce texte, au théâtre, à l’opéra ou à l’écran, dont Anna Magnani, Ingrid Bergman, Madeleine Robinson, la soprano Denise Duval, Simone Signoret (qui l’a enregistré sur disque, en exigeant de le lire chez elle, sur son lit, avec son propre téléphone, qui a pleuré en le terminant, et qui a dû être convaincue de laisser diffuser l’enregistrement).

Pour jouer le rôle, toutes ont dû affronter le sujet intime de l’abandon, réel ou craint. Il leur a fallu le courage d’entrer dans la peur atavique d’être laissé seule, cauchemar des enfants, danger perçu ou renié en entrant dans une relation. Etre aimée, puis ne l’être plus. Perdre la dignité, être humiliée.

Pour jouer La voix humaine il n’est pas nécessaire d’avoir vécu le retrait froidement calculé de l’amour. Il faut plutôt ouvrir la porte à ce fantôme universel qui hante l’humain. C’est ce défi-là que relève à son tour Patricia Roland. Comment être la même après s’y être aventurée ?

Selon Jacques Delorme, directeur artistique de la compagnie et metteur en scène de cette pièce, qui a longuement travaillé avec elle, « A la répétition, parfois Patricia pleure, parfois pas. » Son jeu ne devient pas mécanique.

Sur scène, en jouant La voix humaine, Patricia Roland devient le guide pour une visite de la douleur affective humaine.

La voix humaine au Mail les 2 déc. à 20h30 et 4 déc. à 17h15 (Téléthon), et au théâtre St.-Médard le 15 janv. à17h.

[Une version antérieure de cet article est parue dans le Vase Communicant n° 343.]

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