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Livre

Poésie sur la ville

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L'art de la lecture

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Pour marquer le « Printemps des poètes », la librairie Interlignes a non seulement mis en étalage des livres de poésie, elle a accueilli aussi samedi dernier, jour de marché, des élèves volontaires des Classes théâtre du collège Saint-Just. Pendant quinze jours des groupes d’élèves sèment des graines de poésie un peu partout, de maison de retraite en hôpital (même à la cafétéria du personnel), de salles de classe en mairie, de la bibliothèque à la nouvelle Cité de la musique et de la danse.

A Interlignes, ils étaient une douzaine à réciter chacun un poème, parfois deux. Ainsi, ces jeunes poétiques ont donné voix et vie au contenu des livres sur les étagères.

Il ne s’agissait pas d’ânonner maladroitement et timidement des vers à peine compris par leur lecteur. Par leur formation, ces élèves ont appris à s’adresser au public, et à maîtriser leur texte. Ils ne se cachaient pas derrière le papier, mais gardaient le contact avec les auditeurs assis devant eux. La beauté, l’humour et l’émotion émergeaient des mots qu’ils disaient. La tirade des nez de« Cyrano de Bergerac », Prévert, Whitman, et même un poème anonyme en anglais étaient autant d’ouvertures sur un monde chaque fois différent.

Philippe Chatton, coordonnateur de ces classes, explique la démarche. « Nous empilons des poèmes sur une table par thème, et les élèves font leur propre choix. » Nous avons donc entendu des poèmes qui avaient un sens particulier pour chaque lecteur. Pour Emmanuel, lire à haute voix « est une sorte de libération ». En bousculant le langage, en effet, la poésie libère l’esprit, et la lire pour les autres rend ce sentiment de liberté encore plus intense.

Les élèves referont leur lecture publique à Interlignes le samedi 21 mars à 10h.

denis.mahaffey@levase.fr

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Le Vase des Arts

La musique indifférente : Thomas Bernhard et les variations Goldberg

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L'art du concert-lecture

Deux jours après les feux d’artifice et le côté grand spectacle du premier concert du festival qui commémore l’arrivée de Bach à Leipzig en 1723, le public est revenu à la Cité de la Musique de Soissons. La foule de musiciens pour l’Art de la Fugue est remplacée par un pianiste et un comédien. Kit Armstrong joue les Variations Goldberg de Bach, alternant avec la lecture par Didier Sandre d’extraits du Naufragé, roman de l’auteur autrichien Thomas Bernhard.

Les lumières baissent sur le plateau vide qui les attend, et le seul éclairage émerge sous le couvercle ouvert du piano. Y doit-on voir un signe avant-coureur du rôle de la musique dans ce qui suit, sa clarté face à la noirceur du texte ?

Le plateau s’éclaire. Kit Armstrong s’assied au piano. Didier Sandre prend place à son lutrin et lit la première phrase du texte. « Si je n’avais pas fait la connaissance de Glenn Gould, je n’aurais probablement pas renoncé au piano et je serais devenu un pianiste virtuose, et peut-être l’un des meilleurs pianistes virtuoses du monde. »

L’extrait terminé, le pianiste commence par l’Aria qui initie les Variations. Il intervient ensuite douze fois pour jouer l’ensemble des 30 variations, en revenant à l’Aria pour terminer. La musique  alterne avec les extraits d’une sombre histoire de trois brillants étudiants de piano, élèves de Vladimir Horowitz, dont deux, le narrateur et Wertheimer, abandonnent l’instrument, devant le génie du troisième, qui est Glenn Gould,.

Le narrateur ne croit qu’à une perfection inatteignable – et s’il l’atteignait, elle signifierait la stagnation et donc la mort. Wertheimer, qui ne sait que viser ce qui le dépasse, se suicide par pendaison. Le génie illumine et écrase, tire vers le haut et pousse vers le bas.

Le texte, écrit comme une suite de variations pour correspondre aux variations de Bach, raconte l’assombrissement de la situation, du narrateur plongé dans l’écriture frustrée d’un essai sur Gould, de Wertheimer de plus en plus attiré par l’autodestruction.

C’est un thème constant dans l’œuvre de Bernhard. Comme l’écrit le critique Etienne Diemert, « À rebours de l’idée de croissance — germination, éclosion et floraison —, le pessimisme ou la mélancolie de Thomas Bernhard, toujours alliés au grotesque, mettent en valeur l’extinction et le dépérissement, notamment via le thème du suicide qui court à travers son œuvre. » (*)

Cela résume les qualités apparentes dans Le Naufragé. Il s’agit moins d’un récit que d’un commentaire sur ce récit, et l’interjection de l’expression « pensai-je » après presque chaque phrase met une distance supplémentaire entre la réalité et la version qu’en donne le narrateur ; surtout, lu à haute voix, le texte prend une tonalité incantatoire.

Le texte se termine par une question : qui, de Glenn Gould ou de Wertheimer, sera au centre de leur double histoire ?

Cet extrait final est suivi par la dernière fugue de l’Art de la Fugue, Contrapuntus 14 (par lequel le précédent concert s’était conclu aussi). Bach ne l’a pas terminé, ce qui fait qu’il s’arrête sur un accord qui n’atteint pas sa résolution. Ni le texte ni la musique ne mènent à une fin heureuse : ils laissent derrière eux un silence lourd.

Didier Sandre réussit à maintenir la tension à travers ces fragments-variations par la sobriété douce de sa voix, jamais pressée, jamais agitée, mais jamais monotone.

L’interprétation de Kit Armstrong ne se mêle pas de refléter l’ambiance créée par le texte de Bernhard : ses interventions interviennent chaque fois pour rappeler que la musique est indifférente à la parole ambiante. La vitalité, l’intensité, la sérénité, la transcendance de la musique ne sont pas touchées par ce qui les entoure.

(*) Voir TK21 La Revue 135


Présent à la Cité de la Musique en tant que directeur de l’Association pour le Développement des Activités Musicales dans l’Aisne, Jean-Michel Verneiges avait pourtant une raison supplémentaire d’être là, tout en restant très discret quant à son rôle dans Le Naufragé.

A côté de son travail d’organisateur et inspirateur de la vie musicale du Département, il a conçu une série de ce qu’il appelle des « concert-lecture » mariant paroles et musique, dont celui-ci est le plus récent, créé en 2018. Cette activité de création est analysée dans le portrait paru dans le Vase Communicant en 2018.

Abordé avant le spectacle, il a assumé sa responsabilité pour ce qui suivrait, a même admis être « toujours un peu ému quant à l’accueil du public à chaque représentation ». Il a souligné la nécessité d’un lien fort entre ce qui est dit et ce qui est joué. Ni la parole ni la musique ne sont là pour « accompagner » l’autre. Le Naufragé est un exemple particulièrement saisissant, car l’œuvre de Bach est un sujet central du roman de Bernhard.

Les trois autres concerts de cette commémoration auront lieu entre juin et octobre :
* Abbaye Saint-Michel : Bach, Variations Goldberg, Jean Rondeau, clavecin – 18 juin à 14h15
* Cloître Saint-Martin de Laon : Bach, Art de la Fugue, Kenneth Weiss, clavecin – 3 septembre à  17h
* Conservatoire de Laon : Bach’s groove, thèmes des Variations Goldberg et de l’Art de la Fugue, trio Paul Lay – 3 octobre à 20h

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Le Vase des Arts

Gautier de Coinci : un poète à Saint-Médard

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L'art du trouvère

[Grandes Chroniques, BNF, Ms Fr. 2813, folio 394]

C’est une universitaire américaine qui aura fait connaître, au-delà du milieu des médiévistes, et notamment aux Soissonnais, l’existence d’un poète célèbre du début du 13e siècle. Depuis qu’elle a travaillé au service archéologue à Saint-Jean-des-Vignes dans les années 80, Karen Foster partage son temps entre la Nouvelle Angleterre et le village de Tartiers, et elle vient de publier un livre, petit en taille mais grand en résonance historique, Poèmes miraculeux, chants sublimes, qui fait honneur à Gautier de Coinci, prieur de l’abbaye Saint-Médard.

Gautier est né dans une famille modeste à Coincy, près de Fère-en-Tardenois, mais a réussi par ses talents à faire une belle carrière dans l’Eglise.

Karen Polinger Foster signe ici son après sa conférence au service du Patrimoine à l’abbaye Saint-Jean-des-Vignes. L’universitaire américaine invite à partager l’extraordinaire créativité d’un personnage trop peu connu. Spécialiste dans l’art et l’archéologie du Proche-Orient et de la Crète ancienne, elle a publié de nombreux livres et articles érudits. Depuis les années 80, quand elle a participé aux fouilles de Saint-Jean-des-Vignes, elle partage son temps entre le Soissonnais et la Nouvelle Angleterre. Cette expérience l’a menée à écrire Tartiers : portrait d’un village soissonnais et Au secours des enfants du Soissonnais : lettres américaines de Mary Breckinridge 1919-1921 avec Monique Judas.

Moine bénédictin, mais trouvère aussi, il a en même temps consacré dix ans à l’écriture d’un texte majeur de la littérature médiévale, les Miracles de Nostre-Dame. Bien avant l’ordonnance de Villers-Cotterêts au 16e siècle imposant la primauté de la langue française au royaume, Gautier a choisi d’écrire ses vers en « romans », c’est-à-dire vieux français, et non pas « la Lettre », le latin. Dans la tradition des trouvères, il cherchait, non pas des lecteurs savants, mais une écoute populaire.

Le titre pourrait faire penser à une œuvre purement hagiographique avec peu d’intérêt en dehors des milieux religieux. Mais Gautier remplit ses vers de calembours, néologismes, nuances et rimes complexes. Il joue avec les mots.

En douze brefs chapitres le livre raconte l’histoire de Gautier et de son temps, avec une évocation éclatante de « l’âge d’or » de Soissons, transformée, écrit Karen Foster, « en un trésor lumineux d’architecture ». Le texte est illustré par des miniatures traquées dans des archives par l’auteure, qui les a simplifiées et colorées (au feutre !). Le résultat est éclatant, donnant à son livre, de format carré, l’attrait d’un album pour enfants. Mais il contient tout l’appareil bibliographique et iconographique requis pour une œuvre d’universitaire, et l’écriture ne fait pas de concession.

[Codex Manessa, Heidelberg Cod.Pal.Germ. 848, folio 13 recto]

Il inclut des fragments de la poésie de Gautier avec une traduction en français moderne. Mais, au regret de Karen Foster, cette œuvre majeure n’a jamais été traduite dans son intégralité, restant ainsi réservée largement aux spécialistes. Son livre éveillera-t-il une envie parmi les linguistes ? Ce petit livre devrait leur assurer un lectorat déjà conséquent parmi les Soissonnais.


Poèmes miraculeux, chants sublimes (Editions de l’Echelle du Temple, mars 2023) est disponible dans les librairies de Soissons et dans la boutique en ligne (editions-de-l-echelle-du-temple.over-blog.com/). Prix public 10€.

[Une version abrégée de cet article paraît dans le Vase Communicant n°353.]

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Le vrai dilemme du Calife

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L'art du conte

Avant le commencement de la saison 2023, une réflexion
sur le pouvoir de l’imagination humaine.

Le Calife, trompé par son épouse, décida de se venger des femmes en prenant chaque nuit une vierge qu’il fit égorger le matin. Une de ces femmes, Shéhérazade, devint sa dernière épouse en lui racontant, la nuit des noces, une histoire qu’elle interrompit à l‘aube. Le Roi eut tant envie d’en connaître la suite qu’il différa son égorgement d’une journée. Elle lui confia alors la fin de l’histoire… et commença une autre. Après mille et une nuits, le Calife l’épargne et elle fut ainsi sa dernière épouse.

La vraie vie étant pleine d’imprévus sans suite ni forme, les êtres humains sont attirés, comme des phalènes autour d’une chandelle, par des histoires dont le début provocateur, le milieu palpitant et la fin heureuse satisfont un besoin profond.

Pour les enfants, il s’agit des histoires que lisent ou racontent chaque soir les parents. L’égorgement n’étant pas à l’ordre du jour, les rideaux du sommeil se tirent tout seuls sur les yeux de leurs enfants.

°oOo°

Les pages de papier épais, rêche comme du carton bouilli, s’effritaient aux bords, ne tenaient à la couverture que par quelques fils. Avant de nous envoyer au lit, mon frère et moi, ma mère sortait ce livre. Nous étions dans la pièce qui nous servait de séjour, de salon, de bureau, de salle de jeu ; nous dormirions dans une des deux chambres louées à l’étage. La famille propriétaire occupait le reste de la maison. Nous avions été évacués au bord de la mer. Mon père nous rejoignait du vendredi soir au lundi matin.

Elle s’installait dans un fauteuil, ou plutôt se perchait sur le bord. Nous nous calions autour, moi si près que je la gênais, en exerçant mes droits de cadet.

Elle sortait aussi son tricot, et ses doigts partaient dans une course folle dont ma mémoire s’émerveille encore. Elle ne s’arrêtait que pour tourner la page.

C’était un recueil de contes de fée. Ils n’étaient pas longs, mais l’histoire n’était jamais abrégée. Cendrillon allait trois fois au bal, la sorcière venait trois fois tenter Blanche-Neige.

Ma mère nous en lisait plusieurs chaque soir, en terminant par le préféré de mon frère, Jacquot tueur de géants, et le mien, Petit Poucet. Puis nous montions au lit.

Nous connaissions ces contes par cœur : nous n’aurions pas pu les réciter, mais nous suivions mot à mot. Parfois elle essayait de faire l’économie d’une péripétie, mais nous protestions. C’était cette répétition qui nous rassurait dans un monde inquiétant : l’ordinaire menaçait, mais le fantastique restait familier.

Un jour, dans la terre sableuse du chemin derrière la maison, j’ai construit avec des allumettes et du fil de coton un enclos de la taille d’un petit mouchoir. A l’intérieur j’ai placardé un bout de papier sur lequel ma mère avait accepté d’écrire « Entrée interdite ». Un garçon qui passait avec ses amis, voyant la pancarte, a donné un coup de pied au tout. La leçon m’a interloqué : le pouvoir des mots que nous reconnaissions dans les contes ne s’exerçait pas dans la vraie vie.

°oOo°

Mais arrêtons-nous un moment ! Une question s’impose : lisez-vous encore ? Etes-vous pris par ce qui se raconte sur le recueil et son contexte, la pancarte affichée dans mon enclos ? Ou êtes-vous passé à autre chose, à lire ou à faire ? Si vous êtes parti, alors le sortilège qu’essaient de tisser les mots a échoué.

Pour la conteuse Schéhérazade le danger était autrement aigu. Si l’attention de son époux venait à flancher, elle mourrait. Mais le vrai dilemme pour le Calife se posait à l’aube, quand elle s’arrêtait, interrompant sa jouissance. Il aurait pu l’étrangler (il se connaissait en violence conjugale). Mon frère et moi nous serions sentis trahis si ma mère nous avait fait cela, l’aurions boudée quand elle montait nous border.

Seulement, sa vengeance habituelle aurait privé le Calife de la suite de l’histoire, et il ne pouvait pas s’en passer. La nouvelle jouissance qui attendait faisait accepter l’interruption de l’ancienne. Le pouvoir du pourtant tout-puissant Calife cédait devant la parole. Il tenait tout sous sa coupe, sauf les parcelles de mots que lui accordait Schéhérazade.

Tirez-en votre conclusion – si toutefois vous lisez encore.

[Ce texte est paru sous une autre forme dans Marque-page Soissons en 2010]

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