Hélas, le concert de l’ensemble Baroque Le Poème Harmonique à la Cité de la Musique (CMD) a été interrompu par un incident technique. Certes, la panne a mis fin au une course-poursuite engagée, pour des raisons restées obscures, autour du plateau et même au milieu des musiciens plus sérieux qui continuaient à jouer. Des instruments avaient été brandis ; un musicien avait poursuivi un autre en le menaçant avec son théorbe, sorte de grand luth.
En courant, quelqu’un s’était-il pris les pieds dans un câble ? Soudain, avec le « hsssssssss ! » aigu d’un court-circuit, toutes les lumières, de la salle comme du plateau, se sont éteintes, plongeant l’auditorium dans l’obscurité.
Le noir. Le silence. Le public, ne sachant plus quoi penser.
Très lentement, les lampes des pupitres se rallument. Voilà l’ensemble des instrumentistes en place, prêts à jouer, voilà les cinq chanteurs qui attendent de chanter. Comme si rien ne s’était passé. Et rien ne s’était passé. C’était du théâtre.
La spécialité du Poème Harmonique, sous la direction pleine de lumière et d’humour de Vincent Dumestre, est d’abord de jouer et chanter la musique du 17e et début du 18e siècle. Sa réputation l’a précédé, et seules quelques places sont restées vides dans la grande salle. Surtout, deux rangs étaient occupés par des jeunes de classes « Musique » (CHAM) et « Théâtre » (CHAT) (*), dont l’enthousiasme communicatif allait galvaniser la salle, comme à un concert rock, aux moments les plus turbochargés de la soirée.
De g. à dr. Geoffroy Buffière, Romain Bockler, David Tricou et Vincent Dumestre
L’ensemble instrumental et cinq chanteurs, soprano Anna Reinhold, ténors David Tricou et Romain Bockler, et barytons Geoffroy Buffière et Igor Bouin (qui fait le bouffon du groupe), ont présenté Le ballet des Jean-Baptiste. Il marque le 400e anniversaire de la naissance de Molière et célèbre la grande décennie de sa collaboration avec le compositeur Lully. Le titre ? Ils portaient le même prénom.
La musique baroque est élégante, mesurée, loin des tempêtes et pâmoisons des compositeurs Romantiques. Vincent Dumestre maintient cette retenue, mais il n’oublie pas le génie comique de Molière, et le fait ressortir à travers la mise en scène. Il est ressorti du comportement des chanteurs, comme du court-circuitage simulé et d’autres preuves d’inventivité. A un concert, les chanteurs d’extraits de spectacles se limitent généralement à des mouvements simples et quelques gestes. Ici, ils exploitent toutes les possibilités comiques des paroles, dansent, se chamaillent, s’étreignent, se soutiennent, se font de l’ombre. A travers les chants et ballets de Lully et Charpentier, rarement entendus dans les productions de Molière, ils reflètent le comique, parfois burlesque, de ses pièces. Il faut les voir entrer, portant à bout de bras le corps d’Igor Bouin étendu sur un brancard, ou se concertant pour empêcher le même baryton de chanter. Les jeunes des premiers rangs ont traduit l’enthousiasme de toute la salle.
Sur son estrade au milieu du tourbillon, Vincent Dumestre, grand, mince, cheveux blonds aux reflets d’argent, avait un petit sourire aux lèvres en restant serein au milieu de la comédie musicale remuante qu’il avait agencée.
(*) Leur présence reflète le partenariat avec l’Education Nationale, et la médiation culturelle pratiquée par la CMD.