Connectez-vous avec le Vase

Le Vase des Arts

Boieldieu et Mozart : les deux parties d’un concert

Publié

le

L'art de la harpe et de la flûte

Il n’est jamais facile de faire la première partie d’un concert, rock, chanson ou baroque, peu importe, quand une superstar est programmée après l’entracte. Celui qui le précède aura beau avoir du talent, être un honnête créateur, posséder son propre charisme, le public attendra la tête d’affiche pour être époustouflé et ému.

Réuni chaque année pour un concert à la Cité de la Musique à Soissons, l’Ensemble Orchestral de la Cité comprend des professeurs de Conservatoire et d’Ecoles de Musique départementales jouant aux côtés de musiciens de l’orchestre Les Siècles, cette fois sous la direction du chef anglais Harry Ogg. Rappelons que cette disposition reflète l’intention du Département de nourrir des échanges transversaux dans la vie musicale publique.

Au programme, quatre œuvres par deux compositeurs, une ouverture et un concerto de chacun.

D’abord, l’ouverture du Calife de Baghdad et le Concerto pour harpe et orchestre de François-Adrien Boieldieu, un compositeur que le public de la CMD aura eu peu d’occasions d’entendre. Sa musique est irréprochable, tout en étant plus révélatrice des styles, structures et caractéristiques musicaux de son époque que d’une capacité créatrice unique.

Le concerto offre cependant un plaisir particulier, intense et inhabituel, en faisant de la harpe l’instrument soliste, au lieu de la reléguer à son rôle souvent décoratif, réduit à de brefs passages pour ajouter ses tintements en cascade à ce qui se joue ailleurs. La harpiste Valeria Kafelnikov se charge de ce rôle de vedette de son instrument, de passages complexes en cadences éblouissantes. C’est un exploit, de dominer à tout un orchestre avec un instrument connu surtout pour sa délicatesse discrète.

Après l’entracte, l’Ensemble passe à Mozart, avec l’ouverture de l’Enlèvement au sérail et le Concerto pour harpe et flûte, et la différence entre l’artisan et l’artiste, entre l’application et l’envol, apparaît. Mozart est de vingt ans l’aîné de Boieldieu, mais a des airs de jeune rebelle à ses côtés.

Il ne bouscule pas les usages du Classique, il les détourne à sa convenance. Jamais une tournure n’évolue comme l’oreille l’attend, Il se lance dans une mélodie comme une comptine d’enfant, mais l’élabore, la complexifie, crée la surprise en partant sur une voie inattendue. Inattendue ? Une spécialité de Mozart est d’introduire une tournure surprenante mais dont les notes sonnent aussitôt comme inévitables.

Après l’ouverture, pleine d’entrain et de trouvailles, Valeria Kafelnikov est rejointe devant l’orchestre par Gionata Sgambaro, qui se trouve être – à la surprise de ceux qui ne connaissaient pas sa carrière de soliste – un des flûtistes des Siècles.

Le Concerto est très connu mais, comme toujours, l’entendre en direct et en regardant les instrumentistes aiguise l’écoute, révèle l’orchestration par la simple vue des musiciens prenant et déposant leurs instruments. Le mouvement lent, avec sa conversation entre harpe et flûte, n’est jamais moins que sublime, et offre le spectacle fascinant des deux solistes réagissant l’un à l’autre, se retrouvant, se séparant, se fondant.

 

Les solistes partis au milieu des applaudissements, le jeune chef Harry Ogg propose, en bis, la simple reprise de l’ouverture de l’Enlèvement au sérail. L’Ensemble Orchestral de la Cité a pu montrer son homogénéité et c’est, après tout, l’objectif recherché.

Un commentaire ? : denis.mahaffey@levase.com

Continuer la lecture

Histoire

Isaac l’autre Strauss

Publié

le

L'art d'une musicologue

Isaac Strauss est né à Strasbourg en 1808, 18 ans après la levée de l’interdiction de 1389 aux juifs d’y résider. Fils de barbier, il a débarqué à Paris « avec un violon mais les poches vides » et a fait fortune en tant que compositeur de musique de divertissement, chef d’orchestre, jusqu’à devenir directeur des bals de la cour de Napoléon III et de grandes fêtes officielles.

Laure Schnapper, qui séjourne à Dommiers puis à Saint-Pierre-Aigle depuis 30 ans, est musicologue, universitaire, présidente de l’Institut Européen des Musiques Juives, musicienne. Dans sa biographie de l’arrière-grand-père de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, elle retrace les étapes sa vie.

A ne pas confondre avec la dynastie Strauss de Vienne, Isaac est tombé dans l’oubli après sa mort en 1888, reconnu seulement pour sa vaste collection de judaïcas, objets du culte et de la vie quotidienne des juifs de France. Cela peut s’expliquer par le peu de respect pour sa musique festive« fonctionnelle et répétitive », avec ses valses, polkas et quadrilles. D’où l’absence de partitions, ou seulement en transcription pour piano, « pâle reflet d’une musique de bal qui se voulait particulièrement flamboyante et festive ».

Laure Schnapper vise la « biographie sociale », situant Strauss le compositeur dans son époque, celle de l’essor de la musique, de l’intégration des juifs et leur participation à l’émergence de la société moderne.

Quel est l’attrait de ce livre pour les non-spécialistes ? D’abord, comme dans un roman, apprendre l’histoire d’Isaac et de son émancipation exemplaire ; ensuite, pour pénétrer dans le monde oublié de la musique de divertissement et de ses effets sociaux. L’approche est érudite, avec tout un appareil de références, renvois, index (« J’ai mis cinq ans » admet l’auteur), mais l’écriture est claire et élégante, et le texte est illustré de multiples gravures de presse, fragments de partitions et même dessins humoristiques d’époque.

Un livre pour les spécialistes mais aussi pour un lecteur prêt à redécouvrir une société pleine d’élan et de vigueur, disparue dans la confusion du passé mais que l’auteur fait émerger avec conviction et éloquence.

Musique et musiciens de bal : Isaac Strauss au service de Napoléon III. Editions Hermann, Paris 2023.

[Cet article paraît dans le Vase Communicant, édition Villers-Cotterêts/La Ferté-Milon n°19]

Continuer la lecture

Ailleurs

Le tour de France d’un marcheur

Publié

le

L'art de la marche

[Photo : J-M Carré]

Dans le volume 2 de son journal de marche #275 jours autour de la France, Jean-Marie Carré arrive au milieu de son grand voyage à pied. C’est le récit de sa longue marche de Nice à Saint-Nazaire, le long de la côte méditerranéenne, des Pyrénées et de la côte atlantique.

Le premier volume, Soissons-Nice, est sorti en 2022, et le troisième et dernier, Saint-Nazaire à Soissons, est programmé pour 2024.

Il poursuit ainsi le projet conçu en quittant la vie publique du Soissonnais en 2020, après deux mandats à la présidence de Grand-Soissons. « C’était ma raison de vivre » dit-il « mais je ne voulais pas m’y accrocher comme certains hommes politiques. »  C’est après une modeste randonnée à Carnac, qui lui a donné le goût de la marche, qu’il a décidé de relever un défi : faire le tour de la France à pied en trois ans, à raison de 20 à 30km par jour pendant trois mois. Son départ aura lieu juste avant la mise en place du nouvel exécutif municipal. Une nouvelle raison de vivre existe.

Le voyage se fera dans le sens des aiguilles d’une montre pour des raisons corporelles : ne pas avoir le soleil d’été dans les yeux en descendant, puis avoir le vent marin dans le dos en remontant.

Dans son récit il fait le choix radical de numéroter le jour (à partir de 78 pour ce volume) et donner la date, l’heure et lieu de départ et d’arrivée, la référence GR de sa carte, les temps de marche, le dénivelé (cela compte dans les Pyrénées !) et la distance. Le lecteur le suit presque pas à pas, et pourrait se servir du récit comme guide détaillé.

Jean-Marie-Carré est un fin observateur de paysages, de constructions (ayant eu une entreprise de toiture avant d’être homme politique). Les rencontres quotidiennes l’enrichissent ou, rarement, le dérangent, comme le propriétaire de chien menaçant sur une plage des Landes qui le somme de « prendre la route ». L’avant-veille de l’arrivée à Saint-Nazaire, il trouve Annette, une vendeuse d’huîtres qui l’émeut par sa nature généreuse « malgré une blessure profonde qu’elle évoque en termes sibyllins ».

Jean-Marie Carré chez lui à Soissons

Il inclut des encadrés qui donnent le contexte de tel lieu, tel événement, ajoutant une dimension historique au quotidien.

Récit de voyage ; album de photos pleine page aussi, prises avec un téléphone mobile, images qui illuminent ses mots, un trésor de paysages de France.

L’écriture, concise et élégante, fait plaisir. Son style évite de grandes envolées lyriques paysagères, des maladresses et des longueurs. De Saint-Raphaël il dit « C’est jour de marché, à l’ombre des platanes et au pied du clocher pointu en rose et ocres de la petite cathédrale. » Il affectionne les virgules, ces micro-pauses dans l’écrit. La ponctuation française s’en sert pour séparer les propositions d’une phrase ; en anglais elles marquent aussi la diction, et le lecteur sent presque le souffle du marcheur.


#275 jours autour de la France, éd. Editions de l’Echelle du Temple

[Cet article paraît dans le Vase Communicant n°366.]

Continuer la lecture

Le Vase des Arts

L’Arcade et la famille : vies abîmées

Publié

le

L'art du théâtre qui commente

Entre deux répétitions, quelques carrés noirs avaient été ajoutés au revêtement tout blanc de la scène du Mail à Soissons, reproduisant ainsi le sol visible sur la grande photo suspendue sur la toile de fond du plateau. L’image montre, devant une grande cheminée de ferme, un jeune enfant vêtu de blanc entouré de trois hommes, dont deux tiennent debout, par les pattes de devant, un daim mort. Voir le carrelage du sol de la pièce s’étendre sur le plateau créé un malaise flou, comme si le gibier mort, les adultes joviaux et l’enfant souriant vers l’appareil photo sortaient du cadre, empiétant sur l’espace de jeu des comédiens. Autopsie d’une photo de famille est en répétition.

Xavier Czapla et Patrice Gallet

La compagnie de l’Arcade, en résidence au Mail, occupe la grande salle pour les quinze jours précédant la création de son nouveau spectacle, en coproduction avec le Mail. La Première aura lieu le mardi 7 novembre.

Depuis sa première résidence en 2009, l’Arcade ausculte ce qui se passe dans une famille, ce réseau d’influences, de résistances, d’amour et de haine, où les places sont assignées de génération en génération. Lentement mais sûrement, d’année en année,  la compagnie de Vincent Dussart a fait son diagnostic, en convoquant le grand public et le public scolaire à prendre part dans des enquêtes, interventions, spectacles.

Cette fois, sur des textes autobiographiques de Gregory Delacourt et Pierre Creton, elle se tourne vers l’aspect le plus enfoui : l’abus sexuel d’enfants.

En deux parties, l’une chorale, l’autre une série de questionnements à deux, la pièce utilise ces procédés théâtraux pour sonder deux situations. Il n’y ni reconstitution ni image naturaliste ni débordement émotionnel, mais un commentaire clair sur une situation que même les victimes, enfermées dans le noir par leur jeunesse, ne peuvent pas détailler, même devenus adultes. Qu’est-ce qui s’est vraiment passé entre les grands et le petit de la photo, apparemment sans histoire, pour que sa vie soit durablement gâchée ? Comment trouver ce qui a traumatisé l’autre enfant, à la bonne bouille, jusqu’à le convaincre de n’être qu’un déchet ? Les deux hommes ne savent pas quelles ont été les racines de ce qui a les a endommagés ?

L’indicible ne se dit ni s’entend pas, mais au théâtre il peut se présenter, se commenter, ce qui brise déjà une barrière.

Vincent Dussart intervient devant le plateau.

Pendant les répétitions sur la scène éclairée devant la salle noire, comme quand le public la remplira dans quelques jours, Vincent Dussart dirige de son poste monté parmi les fauteuils. Parfois il descend, s’appuie contre le bord du plateau, et donne des indications aux acteurs, en mots et en gestes. Il demande à Patrice Gallet, engoncé dans un fauteuil, de mettre les mains derrière la tête, pour souligner sa détente. L’attention au détail est méticuleuse.

Les sept acteurs sont Guillaume Clausse, Juliette Coulon, Xavier Czapla, Sylvie Debrun, Patrice Gallet, France Hervé et Elodie Wallace. Leurs costumes, la scénographie, dépouillée, avec des meubles mystérieusement emmitouflés : tout donne à penser que, quelques jours plus tard – le compte à rebours est presque accompli – des acteurs sensibles et réfléchis, guidés par un metteur en scène capable de gérer un tel sujet, mettront le public en présence de l’épouvante, mais en le préservant par l’intermédiaire protecteur du théâtre.


Théâtre du Mail, 7 novembre à 20h

DM ajoute : Il vaut mieux qu’un critique déclare un intérêt personnel. En 2009 l’Arcade est arrivée à Soissons et j’ai rencontré Vincent Dussart. L’une des premières activités a été d’organiser des « ateliers » pour permettre aux intéressés d’explorer certains thèmes par le biais du théâtre. Le premier concernait « l’état tragique ». « Je peux passer ? » j’ai demandé à Vincent, pensant à un petit article pour un quotidien local. D’un ton ferme il répond « On ne PASSE pas par mes ateliers ; on y participe ou on ne participe pas. » J’ai participé, et découvert ce qui a largement dépassé le cadre d’un « petit article » : la compréhension des ressources personnelles dans lesquelles un comédien plonge pour « jouer », les sensations corporelles qui lui serviront pour « devenir » un personnage. Ce premier atelier traitait du l’insécurité créée par un manque d’amour qui fait qu’on cherche dans une autre de quoi combler cette absence. L’échec inévitable crée la tragédie. Phèdre de Racine, Hercule de Sénèque : déçus, ils se retournent contre l’être aimé.

J’ai suivi, fréquenté l’Arcade ; j’ai connu et aimé ses comédiens ; je l’ai suivie en écriture. J’aborde cette création dans l’espoir que mes attentes de spectateur, de camarade, de critique de théâtre seront richement satisfaites, qu’en voyant Autopsie d’une photo de famille je deviendrai un peu plus humain.

Continuer la lecture
P U B L I C I T É

Inscription newsletter

Catégories

Facebook

Top du Vase

LE VASE sur votre mobile ?

Installer
×