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L'art de dissiper un mystère

Denis Mahaffey révèle enfin l’histoire du nouveau piano de la Cité de la Musique de Soissons.

Dans l’auditorium vide de la Cité de la Musique de Soissons, un rectangle au milieu du plateau se lève lentement. C’est une trappe utilisée pour monter des charges lourdes sur scène. La plateforme en dessous révèle son contenu : un piano à queue de concert recouvert d’une housse. Arrivée à niveau, la plateforme s’arrête, et le régisseur de la CMD sort le piano sur ses roulettes, sans gros effort apparent. Il fait redescendre la trappe, enlève la housse, ouvre le couvercle, apporte un tabouret. Le nouveau Steinway de la Cité est disponible. Je vais l’essayer pour ce reportage.

Le long secret de ce piano s’approche de son dénouement. Le mystère a commencé quand, au récital de Jean-Philippe Collard en novembre dernier, un accordeur est intervenu à l’entracte pour vérifier le piano, un Steinway (demandé par presque tous les pianistes) et loué pour l’occasion. Questionné à ce sujet, Benoît Wiart, directeur de la Cité, a fait comprendre que l’instrument n’avait pas le même statut que les autres, mais sans plus de précisions « pour l’instant », a-t-il ajouté. C’est devenu une habitude de lui en demander des nouvelles, et d’être invité à attendre. Enfin il confie que « ce sera le nouveau piano de la Cité, mais ce n’est pas encore officialisé. » Toute annonce était mise sous embargo.

En mai nous nous sommes retrouvés avec François Hanse, responsable des affaires culturelles à la Mairie. Le Steinway, un modèle « D », nec plus ultra des pianos de la célèbre firme de Steinway & Sons de New York et Hambourg, a été acheté d’occasion – neuf, il coûte 240 000 €. Il a un passé glorieux : « Il a même été à la salle Gaveau à Paris » selon Benoît Wiart, c’est la confirmation de son excellence.

Pourquoi l’acheter, alors que la CMD a son propre Yamaha, et qu’il est facile de louer le Steinway réclamé par la grande majorité des pianistes ? A cause de ses qualités superbes, dignes de l’acoustique prisée de l’auditorium, et un atout supplémentaire dans le choix de plus en plus fréquent de la salle pour des enregistrements ; aussi pour éviter le coût et la logistique des locations répétées.

En parler, c’est comme discuter de voitures Maserati ou chevaux pur-sang de course – il paraît même que le fabricant est regardant sur la destination de ses pianos. Depuis de longs mois, donc, ce piano est en cours de révision, de restauration et d’acclimatation – littéralement, en partie, car il faut l’habituer à l’hygrométrie de la salle. Il est constamment surveillé par un accordeur extérieur, car tout peut évoluer. Pour Benoît Wiart « si l’on modifie une seule corde, il faut toutes les accorder. D’ailleurs, un piano est accordé trois fois pour chaque concert : avant l’arrivée du soliste, quand il l’a essayé, pour l’ajuster à ses demandes, par exemple dans le choix du diapason, puis juste avant le concert. »

L’acquisition sera annoncée le soir de la présentation de la Saison culturelle le 14 juin. L’événement clef sera une Journée du Piano le 4 février 2024. Un facteur sera alors sur place pour présenter l’instrument, que les spectateurs pourront approcher de près. Sur le thème des compositeurs associés à Vienne, Mozart, Schubert, Beethoven, il y aura un récital l’après-midi et un concert de l’orchestre de Picardie le soir, pour lesquels les solistes seront deux lauréats du Concours International du Piano de Lille 2023.

Enfin, me voilà, à ma demande, enfermé seul dans la grande salle devant le piano. Ma demande : sentir la situation d’un soliste, entendre la qualité sonore de l’instrument.

Il est noir et brillant. Avant de me laisser, Yann Tirel le régisseur a passé un chiffon, comme pour un concert. L’intérieur est une splendeur, le cadre et les cordes dorés et argentés. Les seules traces qu’il garde de sa carrière prestigieuse sont quelques marques derrière, témoins de son histoire et invisibles au public.

Pianiste seulement dans le sens que j’ai pris des leçons dans la jeunesse, je m’assieds, comme un footballeur du samedi après-midi qui se trouverait sur le terrain du Stade de France. J’ose regarder la salle, les centaines de fauteuils vides ; je n’ose pas les imaginer remplis.

Un peu de Bach, encore moins de Piazzolla, un bout de Chostakovitch et, tout le long, le plaisir intense d’entendre le Steinway faire chanter même mes maladresses.

Je ferme le couvercle du clavier, je m’en vais. Je n’entendrai jamais le son de ce piano sans sentir un lien charnel entre ses touches et mes doigts.


Un commentaire ? denis.mahaffey@levase.fr

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