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Musique

Elisabeth Leonskaja : “La qualité du silence”

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L'art du piano

Elisabeth Leonskaja après son récital.

Elisabeth Leonskaja après son récital.

Il était possible d’avoir un petit trac avant d’entendre le récital de la pianiste russe Elisabeth Leonskaja à la CMD. Non pas par crainte d’une défaillance de sa part, mais de peur de manquer de concentration, de laisser l’écoute se diluer et n’entendre que les belles envolées de Beethoven. Car elle allait jouer les trois dernières sonates, que le compositeur a conçues comme un triptyque. Ce serait une rare occasion de vivre en direct, avec une grande musicienne, ce voyage vers les profondeurs de la création musicale, une vision de l’absolu traduite en notes pour le piano.

Elisabeth Leonskaja est entrée en scène, le visage concentré, aimable mais presque sans sourire. A la différence des pianistes qui prennent leur temps en s’asseyant, ajustent le tabouret, marquent un arrêt avant d’attaquer, elle a incliné la tête vers la salle, puis s’est assise et, dans le même mouvement, a mis ses mains sur le clavier et s’est mise à jouer, sans partition.

Que dire de son interprétation ? Elle atteint un niveau de maîtrise où le toucher est à la fois ferme (on a parlé de ses « doigts d’airain ») et délicat, jamais flou. Mais ce qui frappe l’auditeur en écoutant ces œuvres dont la difficulté a découragé beaucoup de pianistes contemporains de Beethoven, et dont la forme, de mouvement en mouvement, et de phrase en phrase, est si complexe, est la capacité d’Elisabeth Leonskaja à « expliquer » ce qu’elle joue.

Deux sonates, un entracte, une sonate, puis trois bis, sans se départir de sa concentration, qui maintenait la nôtre. Les trois morceaux en bis aidaient à remonter des profondeurs et rappeler le plaisir de la gaité, du mélodieux, du rythmé. Enfin elle s’est laissé sourire, mais sans se baigner dans les applaudissements, nourris mais sages, d’ailleurs, sous l’effet du recueillement.

Dans un entretien en allemand dans les archives d’Arte, Elisabeth Leonskaja a parlé du peu d’importance des ovations. « J’écoute la qualité du silence. Si je suis concentrée sur scène, le public s’adapte, et je peux percevoir cette qualité. L’important c’est ce sentiment : oui, cela a été accepté. »

 

Après le concert, Elisabeth Leonskaja a répondu à quelques questions. La première : « Quelle langue vous convient le mieux pour cet échange ? » « Le russe. » Bon, je lui ai admis que la question était idiote : elle est née dans une famille russe en Ukraine et n’a quitté l’Union soviétique qu’en 1978. Nous continuons en anglais. « On dit souvent que vous appartenez à la grande école russe du piano. Entend-on par cela un style de jeu, ou un groupe de musiciens d’une même époque ? » « Vous savez, c’est comme dans chaque pays. Les pianistes français aiment jouer la musique française. La musique russe exige une énorme virtuosité : sinon, comment jouer Rachmaninov ? »

A l’origine, le programme annonçait deux des sonates de Beethoven et la grande sonate de Tchaïkovski. « Je dois jouer les trois sonates à Paris dans quelques jours, alors j’ai voulu les faire ici. » L’expérience vécue laisse penser que nous avons été privilégiés par sa décision. Le seul regret est de ne pas l’avoir entendu jouer de la musique russe, avec toute la virtuosité qu’il faut.

denis.mahaffey@levase.fr

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