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Le Vase des Arts

Les enfants chantent la mer

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L'art de faire chanter

Un voyage scolaire prévu sur la Côte d’Opale pour les élèves de l’école de Chacrise s’est fait longuement, longuement attendre. Alors quand ils ont pu écrire une chanson intitulée La Déferlante, pour le projet Sur Mesure, ils ont laissé exploser leur envie d’échapper aux contraintes de la pandémie :

Nous les écoliers nous voulons quitter le masque,
Ne plus être prisonniers,
Libérés, respirer, s’évader, c’est notre volonté,
Partir à la mer prendre le bon air !

Sur mesure ? Ce projet, qui s’adresse à toutes les écoles du Département, a été lancé par Jean-Philippe Mary, auteur-compositeur-interprète soissonnais, lui-même ancien instituteur, nom de scène « Mary ». « Je viens pour un projet pluridisciplinaire – écriture, langage oral, arts, utilisation d’outils numériques, etc – mais aussi pour présenter aux enfants et leur insuffler une de mes valeurs de vie les plus essentielles : semer du bonheur autour de soi par de petites actions, de petites gouttes d’eau qui ensemble peuvent créer un océan de positivité dans ce monde trop dur. »

Mary fait chanter les enfants de l’école de Chacrise.

A Chacrise, le projet d’une chanson co-écrite « sur mesure » avec Mary a été entériné par le Conseil d’Ecole en octobre dernier, mais les restrictions liées au Covid ont retardé sa réalisation. Il a fallu trouver les finances. Une aide est offerte par la Fondation La Poste et le Crédit Agricole. Agnès Carlier, Directrice de l’école, est prête à utiliser des fonds propres pour cette action mobilisatrice de toutes les énergies.

L’activité est artistique, mais ses étapes sont gérées avec précision. Mary consacre une trentaine d’heures au projet de chaque école. Il rencontre d’abord la classe pour échanger sur son travail d’artiste, tracer les grandes étapes à venir, aborder la composition et l’écriture de chansons. Il prépare le travail autonome que sera l’écriture des paroles par les élèves avec leurs enseignants.

Récemment, les trois classes, réunies dans la salle commune, ont entendu pour la première fois la musique que Mary a composée sur leurs paroles. Agnès Carlier rappelle le travail. « Nous avons travaillé ensemble, tout écrit sur de grandes feuilles au mur. Aucun mot n’a été décidé sans que tout le monde soit d’accord. » Le résultat est une ode à la liberté, à la joie, au voyage.

Ils ont écouté la musique, de style pop-rock comme ils avaient demandé, soit avec un grand sérieux soit, pour quelques-uns, en dansant assis ou à genoux. Ensuite, ils allaient apprendre à chanter leurs propres paroles.

Pour l’étape suivante, une salle sera transformée en studio d’enregistrement, et les élèves deviendront artistes. Ils seront même filmés pour un clip vidéo. Etape finale : répétition en vue d’une présentation publique en version acoustique et de studio, par exemple pour la fête de l’école. Ensuite, chacun reçoit un CD, et les clips sont publiés sur la chaîne Youtube de Mary à partir de la mi-juin.

Mary mène en même temps des projets Sur Mesure à Acy, Chassemy, Chierry, Cœuvres  et Valsery, Crouy, Paars, au regroupement de Seraucourt-Artemps, Hattancourt, Sermoise, aux écoles Albert-Camus de Tergnier et Georges-Bachy de Saint-Quentin. L’école de Rebais en Seine-et-Marne a décidé de composer un Hymne de la Maternelle, qui accueillera les nouveaux élèves chaque année.

Comment Mary arrive-t-il à mettre en musique toutes ces chansons ? « Lorsque je reçois les paroles, je me laisse bercer par elles, je les ressens émotionnellement. Je n’entends pas les notes, mais je sens l’ambiance, l’émotion que l’on va pouvoir transmettre. Je passe alors à la composition. »

La Déferlante chante une soif de liberté après tant de privations. Les derniers vers disent tout :

Avec le bus, filer vers le rivage,
Fini les enfants sages !

 

Informations : http://marymusic.fr/sur-mesure/

[Cet article paraît dans le VaseCommunicant n° 336.]

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Le Vase des Arts

Anatole Jazz Club : s’ouvrir à l’inattendu

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L'art du jazz

Né à Soissons, parti dix ans en Angleterre où il a été professeur de français, de retour juste avant le confinement Covid, Nawfel Hermi a ouvert depuis un an Platinorama, magasin de disques spécialisant dans les années ‘60 à ’80. Guitariste autodidacte, il marque une nouvelle étape en inaugurant l’Anatole Jazz Club au théâtre Saint-Médard le 5 octobre avec son quatuor, Philippe Rak au vibraphone, Stéphane Belloir batterie, Rémi Gadret basse et contrebasse.

Le jazz pour Nawfel ? « L’improvisation. Il faut s’ouvrir à l’inattendu. Il faut connaître les règles, puis se lancer. »

Rémi Gadret, responsable pour ce projet avec la compagnie Acaly, prévoit d’ici juin 2023 9 concerts, conférences et sessions jam (où les jazzmen peuvent faire connaissance et expérimenter sans cérémonie), fondant ainsi un vrai lieu où le jazz peut s’établir, s’enrichir – et enrichir la vie musicale à Soissons.

Pour Rémi comme pour Nawfel, l’improvisation, la spontanéité sont au cœur du jazz. « Mais Bach aussi était un grand improvisateur. L’écrit n’a pris tant d’importance qu’avec les grands compositeurs classiques. »

Enfin, pourquoi « Anatole » ?  C’est un code de structure (comme le « blues »), 32 mesures de type AABA, une grille basée sur « I got rhythm » de Gershwin.  Il suffit de signaler « une anatole en si bémol » et c’est parti.


Nawfel Quartet, théâtre Saint-Médard, 5 oct. Dîners-concerts à 19 et 21h.

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Le Vase des Arts

Art de la fugue : au delà de l’émotion

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L'art de Bach

Le Festival de Laon est actuellement en cours, sur les sites de Laon et de Soissons. Revenons à un récital donné avant son début.

L’habitude est prise : le Festival de Laon 2023, banquet annuel de la rentrée en douze plats, a été à nouveau précédé d’un événement préliminaire, comme une mise en bouche. Cette année, le claveciniste Kenneth Weiss (*) a donné un récital dans le cloître Saint-Martin à Laon, son clavecin installé à un des quatre angles de la galerie, le public assis dans les deux bras qui en partaient, à l’abri du soleil ardent d’après-midi.

Ce concert « hors festival » était aussi le quatrième de la série de cinq commémorant le tricentenaire de l’arrivée de Bach à Leipzig. Kenneth Weiss allait s’y mesurer à l’Art de la fugue, la dernière composition de Bach.

Kenneth Weiss face aux applaudissements du public

C’est pendant l’été 2019 qu’il a s’est mis à explorer en profondeur une œuvre qu’il décrit comme « un monde alternatif empreint de majesté ». Cette longue étude, cette réflexion, ont amené à un enregistrement sur un clavecin de 1782 appartenant au Musée national de musique de Belém au Portugal. Kenneth Weiss explique que sur un clavecin, qui ne permet ni d’augmenter ni de réduire le volume, on « utilise l’articulation, le touché, le tempo et le rythme pour créer une profondeur dimensionnelle ».

L’Art de la fugue comprend 14 fugues et 4 canons (qui utilisent une forme moins complexe du contrepoint). Kenneth Weiss a choisi lui-même l’alternance entre les deux formes. Après le récital, il admet que c’est pour cette raison, puisque sa partition place les quatre canons à la suite des fugues, qu’il a dû la feuilleter vigoureusement pour retrouver sa place, geste intrigant pour les spectateurs.

Chaque « Contrapunctus » commence par le même thème, toujours dans la tonalité ré mineur, poignant ou obsédant selon l’oreille qui l’écoute, puis le transforme et l’élabore.

La dernière fugue, incomplète, est réputée avoir été interrompue par la mort de Bach. La partition a été terminée par plusieurs compositeurs. Mais en mars dernier, pour un concert de l’Orchestre Philharmonique de Radio France autour de la même œuvre, la scène la Cité de la Musique à Soissons remplie de musiciens d’orchestre, de chœurs, de chambristes et d’une cantatrice, le chef Leonardo Garcia Alarcon avait choisi de s’arrêter soudain sur un silence dramatique, une absence de son comme une rupture. Kenneth Weiss s’est simplement arrêté, les doigts au dessus du clavier, le silence un prolongement de l’expérience individuelle de chaque auditeur.

Chacun est seul devant l’Art de la Fugue : ce n’est pas une musique qui rassemble, elle met chacun devant sa propre relation à toute musique, interroge ses attentes. Glenn Gould, célèbre interprète de la même œuvre, la définit comme étant « au-delà de l’émotion ».

L’Art de la fugue est beau, plein de tempérament et de trouvailles, dansant même dans les deux avant-derniers Contrapuncti. Mais son coté implacablement exhaustif et sa longueur (une heure et demi sans interruption, par 26°C à Laon) poussent l’auditeur au-delà du plaisir mélomane, vers une interrogation : qu’est-ce que la musique pour moi, au delà d’un plaisir auditif ? Encore une fois, Glenn Gould a une réponse à la hauteur des intentions de Bach : « L’objectif  de l’art n’est pas le déclenchement d’une sécrétion momentanée d’adrénaline, mais la construction progressive, sur la durée d’une vie entière, d’un état d’émerveillement et de sérénité. »

Pourquoi avoir tant attendu pour présenter ce récital ? C’est qu’un commentateur peut avoir besoin de faire du chemin, réfléchir, répondre à ses propres questions avant d’accomplir sa tâche de critique.


Art de la fugue, Kenneth Weiss sur cd Paraty

(*) Il a joué les Variations Goldberg, autre monument de Bach, à la chapelle Saint-Charles de Soissons en 2010.

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La Ferté-Milon

Maya Minoustchine, la Russe apatride de Violaine

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L'art de traduire le russe

Le contexte de l’écriture de ce portrait, publié dans l’édition Villers-Cotterêts/La-Ferté-Milon du Vase Communicant, est révélé à la suite de l’article.

C’est dans une petite maison de pays à côté du lavoir de Violaine, hameau de Louâtre, que la traductrice de russe Maya Minoustchine s’est mesurée à la littérature russe moderne. Elle a traduit Isaac Babel, Nicolas Erdman, Bulgakov, et Contre tout Espoir, les mémoires volumineuses de Nadejda Mandelstam, veuve du poète tué par Staline.

Maya est née à Gênes en 1927, enfant unique de Marc Minoustchine et d’Olga Protosova, employés au consulat soviétique de la ville. Ses parents ont été rappelés à Moscou. Les années ‘30 étaient l’époque des grandes purges, et ceux qui rentraient de l’étranger, devenus suspects, risquaient une balle dans la nuque. Un oncle de Maya déjà à Paris a encouragé la famille à s’y installer. Maya y est restée apatride, sans nationalité jusqu’à sa majorité quand elle est devenue française.

Son père était originaire de la ville biélorusse de Vitebsk. « Le dimanche après-midi, il m’amenait voir un ami artiste né dans la même ville. C’était Chagall. » Pendant les derniers mois de sa vie dans une maison de retraite sur les hauts de Saint-Cloud, elle a admis un ressentiment tenace envers le peintre : « Son chat avait eu des petits, et il m’en a promis un. Je ne l’ai jamais eu. » Peu lui importait, enfant, le renom de l’artiste : elle voulait son chaton – et a gardé l’amour des chats, dont les paniers l’accompagnaient jusqu’à Violaine et, elle a admis, allait même nourrir les chats errants de son quartier.

Au Centre de Santé d’Etudiants à Chamrousse aux années ’50. Maya au 3e rang, avec des lunettes.

Le père de Maya était juif. Pendant l’Occupation, il a été arrêté par les Allemands et enfermé au camp de Royallieu à Compiègne. Maya et sa mère ont fait et refait le trajet, pour lui parler à travers la clôture du camp. Un jour, il n’était plus là. C’est presque quarante ans plus tard que, dans le Mémorial établi par Serge Klarsfeld, elle a pu dire « Mon père a été dans le dernier train de déportés à quitter Compiègne. »

C’est après sa propre mort en 2015 qu’une recherche a révélé que, loin d’avoir failli échapper à la déportation à un train près, Marc Minoustchine est mort le 19 septembre 1942 à Auschwitz. Le fils de Maya porte son prénom.

Elle vivait avec sa mère en banlieue parisienne, mais elles ont pu échanger leur appartement contre un logement plus petit de la rue des Chantiers au 5e arrondissement, un quartier modeste à l’époque. Elle a donc vécu au milieu des facultés, librairies et étudiants du Quartier Latin. Ancienne Communiste, elle a raconté son exaltation en ’68 à entendre de ses fenêtres la foule chantier «  L’Internationale ».

Elle est entrée à l’Ecole Normale de Musique où elle a été élève de piano de Nadia Boulanger. Avec une licence d’enseignement, elle donnait des cours particuliers. Elle a travaillé dans une NGO internationale s’occupant de la santé animale. Mais son activité principale a été la traduction. Elle savait épouser l’esprit de chaque auteur, et était sollicité par les maisons d’édition.

Après son divorce, privée de la maison de Violaine, elle a trouvé une pension à Ciry-Salsogne où elle s’installait l’été avec chats et machine à écrire.

Maya Minoustchine, photo prise par son mari Gilbert Menant

Maya Minoustchine n’est jamais allée en Russie, mais sa vie a porté l’empreinte de l’histoire russe. Exil, enfance apatride, disparition violente de son père à l’adolescence, comme l’amour de la littérature et de la musique.

« Così è la vita ! » disait sa nounou italienne à Gênes et, arrivée à la vieillesse, elle le répétait encore. « Ainsi va la vie. » Dès l’enfance, elle a conclu que la vie est plus une épreuve à supporter qu’un jaillissement de joie de vivre. Elle avait le goût slave des idées sombres, sans qu’il s’accompagnât des épanchements d’âme tout aussi slaves de la société russe. C’était une intellectuelle. Mais elle avait le culte de l’amitié, même si les amis devaient accepter ses humeurs râleuses. A la fin de chaque visite elle disait « Tu ne m’oublieras pas ? »

Maya avait un passeport français, mais elle est restée apatride de la Russie. Au moins jusqu’à sa mort, quand elle a été enterrée auprès de sa mère au cimetière russe orthodoxe de Ste-Géneviève-des-Bois près de Paris. Pour la trouver, explique son fils Marc, «  Il faut prendre l’allée 8 jusqu’à la tombe de Nouréev, » (recouvert d’une tapisserie extravagante en mosaïque multicolore) «  tourner à gauche, et elle est six places plus loin. »

La maison de Violaine reste inhabitée, même s’il est tentant d’entendre, dans le silence, le claquement d’une machine à écrire.


DM ajouteLe choix de ce portrait pour le Vase Communicant s’explique par l’intérêt du sujet ; mais il y a aussi un aspect personnel. Maya Minoustchine et moi avons été amis à partir des années 60, peu de temps après mon arrivée à Paris, et jusqu’à sa mort.

Elle était sévère dans ses jugements, des autres comme d’elle-même. Peut-être parce que je n’étais pas français, ses critères ont été appliqués moins rigoureusement. Elle avait une grande disponibilité, sa porte m’était toujours ouverte. Quand j’ai voulu apprendre le chant, elle m’accompagnait au piano.

Elle pouvait être crédule, comme si son histoire cahoteuse faussait son jugement. Elle a tellement aimé le livre La vie devant soi d’Emile Ajar, prix Goncourt 1975, qu’elle a contacté et entretenu une correspondance intense avec l’auteur. Elle ne m’a jamais parlé de sa réaction en apprenant que son correspondant était en réalité le petit-neveu de Romain Gary, vrai auteur du livre.

A la fin de sa vie, dans une maison de retraite qui, correspondant à ses moyens, manquait singulièrement de confort, je baissais le volume de Radio Classique, qu’elle écoutait à longueur de journée, et elle me racontait sa vie, Gênes et de sa nounou, Chagall et le détail des circonstances de la disparition de son père. Je remettais la radio en partant.

Je n’ai pas assisté à ses obsèques, étant en voyage. Je me suis donc rendu plus tard sur sa tombe. Le train pour Paris, le RER jusqu’à Sainte-Geneviève-des-Bois, un bus qui zigzaguait dans cette banlieue avant de s’arrêter au cimetière russe. Derrière l’église orthodoxe ornementée c’est un monde à part, où la communauté russe a enterré ses souvenirs d’exil. Le carré des Cosaques, un saupoudrage de titres de prince, princesse, duc, général sur les pierres tombales en caractères cyrilliques à déchiffrer. Une tristesse qui dépasse celle d’un cimetière de village, traduisant la perte, non pas seulement d’individus, mais d’une civilisation.

Une croix russe de bois se dressait au dessus de l’emplacement, un signe qu’elle aurait renié pour elle-même, mais qui marque cette tombe où repose déjà sa mère. J’ai esquissé le signe orthodoxe de la croix, conscient que sa dépouille athée et sardonique devait faire une moue d’énervement sous mes pieds.

Dans les années ’80 Maya avait eu connaissance, par une amie avocate et russe comme elle, d’une petite maison délabrée à vendre dans la vallée de la Crise. Elle me l’a fait voir. Je l’ai achetée, pour le jardin. Un an plus tard j’ai quitté Paris et m’y suis installé avec femme et enfants, et nous y avons fait notre vie. Grâce à Maya.

Un dernier détail : quand j’allais la voir au Quartier Latin, ses avis sévères sur les gens me heurtaient parfois, et je m’énervais. C’est alors qu’elle disait, quand je prenais la porte, « Tu ne m’oublieras pas ? » C’est fait.

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