Pour mêler la musique et les rires comme il le fait, le septet Mnozil Brass (trois trompettes, trois trombones et un tuba) jouit d’un petit avantage par rapport à d’autres instrumentistes : les cuivres sont eux-mêmes déjà un peu comiques. La trompette facilement stridente ; le trombone à coulisse, comme un piston de locomotive ; le tuba si encombrant qu’il cache presque toute la personne qui le joue.
Depuis 1993, quand Mnozil Brass s’est formé dans le Bar Josef Mnozil à Vienne, les musiciens-humoristes autrichiens exploitent à fond ces possibilités, et bien d’autres, pour faire écouter leur musique et faire rire.
Le spectacle à la Cité de la Musique démarre non pas avec la musique, mais par des préparatifs extra-précautionneux de temps de Covid : masques, survêtements blancs, vérification sanitaire stricte des… instruments qui seront joués.
Leonhard Paul joue quatre instruments en même temps… avec de l’aide.
Cette longue entrée en matière débouche sur la première d’une série de longs interludes musicaux, mélangeant brillamment tous les genres : du classique, des standards, de la musique traditionnelle autrichienne, du jazz, musique de films, même du Schlager allemand (c’est-à-dire des airs faciles, répétitifs, rythmés, mélodieux, aux paroles simples, humoristiques ou sentimentaux).
Beaucoup de fragments sont familiers, mais se succèdent souvent trop vite pour qu’un titre puisse leur être attribué. Tout de même : I can’t give you anything but love, chanté délicieusement a cappella, Bohemian Rhapsody de Queen, la Chevauchée des Walkyries. Ma voisine de salle a même reconnu un air joué en son enfance à la fête de son village du Limbourg néerlandais, à quelques kilomètres de l’Allemagne.
Ces assemblages musicaux ne sont jamais pris au sérieux, et donnent l’occasion d’interactions entre les membres du groupe, jamais prévisibles, souvent surréalistes, toujours hilarants. Zoltan Kiss est le plus excessif, se pavanant, grimaçant à faire peur aux premiers rangs, faisant de l’ombre à Gerhard Füssl, qui va bouder en s’asseyant par terre comme un enfant furieux. Robert Rother fait tout avec un sourire de bienveillance jusqu’à dérouter parfois ses co-instrumentistes. Roman Rindberger, le « jeune », s’étonne parfois de se trouver en telle compagnie. Thomas Gansch, tout en rouge, adore éclipser ses camarades. Wilfried Brandstötter n’émerge qu’occasionnellement de derrière son tuba.
Leonhard Paul prend le rôle du vieux, saisissant mal le sens de l’événement. Les applaudissements répétés de la salle, auxquels ses co-équipiers réagissent avec délice, le laissent perplexe, au point de suggérer des prémices de sénilité. Il fait tout sans l’ombre d’un sourire.
Pourtant c’est lui qui, à la fin, laissé tout seul pour jouer un solo mais terrassé par le trac, s’engage dans une longue séquence (avec ses chaussettes, on vous le jure) pour éviter l’inévitable.
Cette soirée de musique, savamment mélangée et jouée avec éclat, a mis la salle debout. Rappel sur rappel. Enfin, Leonhard Paul a abandonné son personnage déconcerté, et a souri.