D’abord, sont-ils de vrais Suédois, les deux blondes et le blond venus chanter au Mail ? Ou émergent-ils de l’imagination enfiévrée de trois chanteurs/humoristes français ? Avec un accent scandinave lourd comme un char d’assaut, ils mitraillent la salle d’« œ » – ou plutôt d’« ø », car le slash s’impose – tout en maîtrisant parfaitement le français. Leurs prénoms, Tø le frère, Mår et Glär les soeurs, seraient-ils inventés pour se møquer du monde ?
Mais des recherches ne révèlent aucune usurpation d’identité de la part des « Blond et blond et blond ». Trois Suédois assument tous les clichés qu’entretiennent à leur égard les peuples qui habitent loin du Cercle polaire.
Mår est fraîche et un peu tarte, Glär fronce en permanence les sourcils pour nous tenir en respect, et Tø est plein de tics et d’hésitations – comment s’en étonner, avec une sœur séductrice et une autre dominatrice ?
Ils entreprennent de servir des chansons de partout – Gainsbourg, Queen, Brel, Simon et Garfunkel – mais à la sauce scandiwégienne qui donne du piquant aux paroles en les déformant. Un petit détournement et tout est risible (« YMCA » devient « J’aime scier » avec le geste approprié de la main).
Certes ils savent chanter, chacun ayant deux ou trois registres à sa disposition. Tø est capable d’un falsetto aigu (il admet à un moment que « ça fait mal »). Mår a une voix de soprano dramatique. Glär est contralto mais peut tout faire : quand la musique de Gainsbourg sert à une campagne anti-tabac, elle met un doigt là où un opéré de l’œsophage aurait un trou, et sort des sons rauques comme une Black & Decker perçant le béton.
Ils voient tout avec une bienveillance ferme, adorent Paris, « les odeurs diverses et variées dans le Métro ». Ils vivent dans un état d’étonnement perpétuel ; l’optimisme scandinave sourd comme le pétrole d’un puits dans le désert.
Cet exercice de style a pu sembler un peu maigre pour quelques spectateurs, mais la salle, presque pleine, a été hiilare devant ces extraterrestres bienveillants. Seuls quelques petits litiges à l’intérieur de la fratrie, entre Tø, Mår et Glär ont troublé l’ambiance.
Encore ces prénoms : un doute résiduel ressurgit quant à leur réalité…
denis.mahaffey@levase.fr