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Le Vase des Arts

Un homme, un piano : Jean-Philippe Collard à la Cité

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L'art du soliste

Ces derniers temps le plateau de la Cité de la Musique s’est si souvent rempli de musiciens d’orchestre, cordes, bois, cuivres, percussions, un chef sur l’estrade, qu’il y a un petit choc à se trouver, pour le récital de Jean-Philippe Collard, face à un Steinway et un tabouret, et c’est tout.

Le pianiste arrive. Sa démarche lente, presque hésitante, son expression aimable annoncent qu’il n’est pas là pour faire montre d’une personnalité flamboyante. C’est la musique seule qui comptera. Il fait quelques ajustements au support de partitions, s’assied, attend un long moment, et commence à jouer des Barcarolles de Gabriel Fauré.

Le titre aurait été imposé par les éditeurs, cherchant à donner une « marque » à ces brefs morceaux, dont la composition s’est étalée tout le long de sa vie. Il est certes vrai que la musique est pleine d’allusions à l’écoulement ou le clapotis de l’eau.

Jean-Philippe Collard joue sans esbroufe, tout pris par le sens des sons qu’il créé. La difficulté technique de ces brefs morceaux ne se fait pas remarquer. Fauré était ambidextre, gaucher autant que droitier, ce qui expliquerait que la ligne mélodique bascule sans cesse d’une main à l’autre, imposant de redoutables souplesses à un pianiste, qui doit constamment changer d’emphase. Un musicologue a vu dans cette alternance un moyen de créer un reflet entre la réalité et son image tremblotante dans l’eau, encore un écho de Venise.

Jean-Philippe Collard parle d’un de ses premiers professeurs de piano.

La musique de Fauré, sous les apparences conventionnelles de son époque, introduit une vague de fond, en variant constamment les tonalités et les modes, produisant une musique qui a remis en question les habitudes de sa génération (et dont la complexité peut encore dérouter des oreilles d’aujourd’hui).

Après Fauré, Chopin, sa 2e sonate, dont le troisième mouvement est la Marche Funèbre, composée plus tôt et incorporée dans cette sonate. Telle que la joue Jean-Philippe Collard, elle devient une incantation, sombre, solennelle, cérémonieuse, pour accompagner la mort ; avant la reprise, un interlude rappelle la sérénité définitive du mort.

Après l’entracte, Jean-Philippe Collard revient et, avant de jouer Scriabine, parle du plaisir d’être là, reconnaît la chance pour les Soissonnais de disposer d’une telle salle de concert, dont « d’autres villes sont jalouses. » Il raconte l’histoire d’un de ses premiers professeurs de piano, une dame dont il ne dit pas le nom, qui habitait Epernay et qui a consacré sa vie à l’enseignement. « Elle est morte il y a cinq jours. » Comme quand il joue, il conjugue intimité et discrétion.

Les compositions de Scriabine au programme sont celles de l’époque où il était encore sous l’influence de Chopin, avant de se tourner vers une musique dont il disait lui-même qu’elle « n’est plus musique mais quelque chose d’autre ».

L’influence est claire, comme dans les montées en puissance qui rappellent les Polonaises de Chopin, sauf qu’elles débouchent ici sur quelque chose de moins définitif, un avant-goût de la période où Scriabine échapperait à toute influence et partirait dans un autre monde.

Le Prélude et nocturne pour la main gauche présente un handicap pour un pianiste, nécessitant des acrobaties pour jouer aux deux bouts du clavier avec la même main.

Dans la « rue » qui traverse la Cité, séparant le Conservatoire de l’auditorium, les derniers albums de Jean-Philippe Collard attendaient les spectateurs sortant de la salle. Sa musique, mais pas l’homme, reparti avec la même démarche, le même demi-sourire, pour éviter la banalité des signatures et dédicaces, les mêmes remarques bien intentionnées. La musique aura suffi.

Commentaires : denis.mahaffey@levase.fr

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Exposition

Les paysages en miniature des tilleuls du bd Victor Hugo

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L'art de la photo

Comme un glacier entre deux pentes boisées

Après avoir rempli la chapelle Saint-Charles l’été dernier de photos de la guerre en Ukraine, villes dévastées, visages hantés, vies en suspens, le photographe Thierry Birrer se tourne vers d’autres vies, celles des mousses, brins d’herbe et insectes qui, inaperçus des passants pressés, occupent les tilleuls le long de l’avenue Victor-Hugo à Soissons.

Des montagnes et falaises rocheuses, fleuves, glaciers, nus ou couverts d’excroissances, d’arbustes, de forêts et fleurs, de créatures vivantes, parfois sous l’eau : c’est ce que perçoit l’œil du visiteur entrant dans la salle d’exposition du café associatif Au Bon Coin. Il faut connaître le vrai sujet pour faire le point avec le regard, se rendre compte de la réalité de son titre : Le Minuscule en Géant.

Des cherche-midi, ainsi désignés pour leur amour du soleil.

Thierry Birrer a photographié en gros plan la surface de troncs de tilleul : les surfaces rocheuses ne sont que leur écorce, la végétation consiste en petites parcelles de mousses vertes, taches créées par d’autres champignons et moisissures, brins d’herbe, de lieux de vie d’insectes. De géologiques les paysages deviennent botaniques.

Son objectif en choisissant les tilleuls de l’avenue Victor-Hugo était de montrer une vie foisonnante ignorée, selon lui, par les foules qui sont intervenues pour protester contre l’abattage de ces arbres dans le cadre d’un projet de développement municipal.

Il voyait autant les avantages de la biodiversité obtenue en plantant diverses essences d’arbre, au lieu de la monoculture du tilleul. « Certains arbres étaient malades » explique-t-il, « d’autres, on le voit, mourants. »

« J’étais choqué par la violence des propos de ceux qui voulaient protéger les tilleuls, sans avoir bien regardé ce qu’ils protégeaient. »  De petites pancartes ont été posées sur tel tronc : « J’aime mon arbre », sans que le protecteur sache en profondeur ce qu’il prétendait aimer. Alors il a pris les photos, sur lesquelles les arbres révèlent le riche habitat qu’ils constituent, comme un geste pédagogique.

Comme sous l’eau : anémone de mer et algues

L’exposition est un voyage de découverte de la vie qui se cache dans le minuscule. C’est un voyage que Thierry Birrer a pris depuis de longues années.

La Ville envisage déjà de transférer l’exposition vers le centre social Saint Crépin, avec 15 images, alors que seules 12 ont trouvé place au Bon Coin. Un autre projet est d’imprimer les photos sur de l’aluminium laqué et de les exposer pour la Fête du Quartier le 24 juin. « Comme ça elles peuvent rester dehors. » Comme les arbres auxquels elles rendent hommage.

Le minuscule en géant, Bon Coin jusqu’au 31 mars.


Paroles d’Ukraine, l’exposition de Saint-Charles, agrandie en nombre de photos et de tableaux de l’artiste Lesia Babliak, est installée dans l’église Saint-Bernard de Reims jusqu’au 15 avril.

[Cet article paraît dans le n°352 du Vase Communicant.]

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Le Vase des Arts

Boieldieu et Mozart : les deux parties d’un concert

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L'art de la harpe et de la flûte

Il n’est jamais facile de faire la première partie d’un concert, rock, chanson ou baroque, peu importe, quand une superstar est programmée après l’entracte. Celui qui le précède aura beau avoir du talent, être un honnête créateur, posséder son propre charisme, le public attendra la tête d’affiche pour être époustouflé et ému.

Réuni chaque année pour un concert à la Cité de la Musique à Soissons, l’Ensemble Orchestral de la Cité comprend des professeurs de Conservatoire et d’Ecoles de Musique départementales jouant aux côtés de musiciens de l’orchestre Les Siècles, cette fois sous la direction du chef anglais Harry Ogg. Rappelons que cette disposition reflète l’intention du Département de nourrir des échanges transversaux dans la vie musicale publique.

Au programme, quatre œuvres par deux compositeurs, une ouverture et un concerto de chacun.

D’abord, l’ouverture du Calife de Baghdad et le Concerto pour harpe et orchestre de François-Adrien Boieldieu, un compositeur que le public de la CMD aura eu peu d’occasions d’entendre. Sa musique est irréprochable, tout en étant plus révélatrice des styles, structures et caractéristiques musicaux de son époque que d’une capacité créatrice unique.

Le concerto offre cependant un plaisir particulier, intense et inhabituel, en faisant de la harpe l’instrument soliste, au lieu de la reléguer à son rôle souvent décoratif, réduit à de brefs passages pour ajouter ses tintements en cascade à ce qui se joue ailleurs. La harpiste Valeria Kafelnikov se charge de ce rôle de vedette de son instrument, de passages complexes en cadences éblouissantes. C’est un exploit, de dominer à tout un orchestre avec un instrument connu surtout pour sa délicatesse discrète.

Après l’entracte, l’Ensemble passe à Mozart, avec l’ouverture de l’Enlèvement au sérail et le Concerto pour harpe et flûte, et la différence entre l’artisan et l’artiste, entre l’application et l’envol, apparaît. Mozart est de vingt ans l’aîné de Boieldieu, mais a des airs de jeune rebelle à ses côtés.

Il ne bouscule pas les usages du Classique, il les détourne à sa convenance. Jamais une tournure n’évolue comme l’oreille l’attend, Il se lance dans une mélodie comme une comptine d’enfant, mais l’élabore, la complexifie, crée la surprise en partant sur une voie inattendue. Inattendue ? Une spécialité de Mozart est d’introduire une tournure surprenante mais dont les notes sonnent aussitôt comme inévitables.

Après l’ouverture, pleine d’entrain et de trouvailles, Valeria Kafelnikov est rejointe devant l’orchestre par Gionata Sgambaro, qui se trouve être – à la surprise de ceux qui ne connaissaient pas sa carrière de soliste – un des flûtistes des Siècles.

Le Concerto est très connu mais, comme toujours, l’entendre en direct et en regardant les instrumentistes aiguise l’écoute, révèle l’orchestration par la simple vue des musiciens prenant et déposant leurs instruments. Le mouvement lent, avec sa conversation entre harpe et flûte, n’est jamais moins que sublime, et offre le spectacle fascinant des deux solistes réagissant l’un à l’autre, se retrouvant, se séparant, se fondant.

 

Les solistes partis au milieu des applaudissements, le jeune chef Harry Ogg propose, en bis, la simple reprise de l’ouverture de l’Enlèvement au sérail. L’Ensemble Orchestral de la Cité a pu montrer son homogénéité et c’est, après tout, l’objectif recherché.

Un commentaire ? : denis.mahaffey@levase.com

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Histoire

Auguste Hiolin, sculpteur soissonnais

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L'art du statuaire

Monument de la pl. de la République à Soissons (photo de P. Ponsart-Ponsart)

L’homme de lettres Pascal Ponsart-Ponsart, de la Société Régionale Historique de Villers-Cotterêts, donnera une conférence sur le sculpteur Louis-Auguste Hiolin au Musée de Soissons le 1er mars.

Louis-Auguste Hiolin est né en 1846 à Septmonts, est mort à Silly-la-Poterie près de La Ferté-Milon en 1910, et est enterré à Septmonts. La conférence de Pascal Ponsart-Ponsart présente sa vie, ses études, sa carrière, ses succès, ses contemporains.

Artisan compétent et appliqué, sa période de célébrité a été brève, et il tient peu de place dans l’histoire de l’art. Cependant, les habitants de Soissons et de ses alentours peuvent croiser ses œuvres tous les jours, sans pouvoir identifier leur auteur. Voici l’occasion de le connaître.

Auguste Hiolin avec la maquette de la statue de Jean Racine enfant

Devenu maçon comme son père à la carrière Lévêque sur les hauteurs de son village natal, il a montré des dons pour le travail de la pierre, a étudié aux Beaux-Arts, et a eu une carrière de « statuaire », c’est-à-dire de sculpteur de statues pour les monuments et bâtiments.

Il n’a pas connu la gloire des grands sculpteurs comme Rodin ou David d’Anger, qui ont atteint une vision plus profonde de leurs sujets ; l’œuvre de Hiolin serait, selon le conférencier, trop académique, trop « Troisième République » ; mais sa « sobriété austère » a été admirée, et il a été très sollicité.

Il a réalisé la statue de Jean Racine enfant au chevet de l’église de La Ferté-Milon, celle de Viollet-le-Duc habillé en Saint Jacques à l’entrée de la chapelle du château de Pierrefonds, et surtout les statues pour le monument de la Défense Nationale sur la place de la République à Soissons : la Génie de la Patrie en bronze au sommet, la figure allégorique de la Ville, et le Défenseur mourant en pierre.

Il était spécialiste de portraits sur médaillons, en a même réalisé un pour orner la tombe de son père à Septmonts. En s’y rendant, Pascal Ponsart-Ponsart s’est aperçu que le médaillon a disparu.

La conférence aidera à comprendre l’empreinte laissée par Hiolin sur la vie publique, de Soissons et ailleurs.


Louis-Auguste Hiolin, sculpteur soissonnais (1846-1910), conférence de Pascal Ponsart-Ponsart. 1er mars à 18h au Musée Saint-Léger. Renseignements et inscriptions : 03 23 59 91 20 ou musee@ville-soissons.fr

Pascal Ponsart-Ponsart, né à Charleville-Mézières, a été marionnettiste, formé au métier des « comédiens de chiffon » à Prague, avant de faire carrière dans la fonction publique à Paris, tout en gardant son intérêt pour le théâtre.
En achetant une maison de campagne dans l’Aisne en 1994, il a été sollicité par les habitants de son village pour les faire jouer. Le Petit Théâtre de Montgobert a été fondé en 2013. Il y est metteur en scène, acteur, et il a écrit plusieurs pièces, notamment pour une collaboration avec le musée Racine de La Ferté-Milon, dont il a été vice-président.
Depuis la retraite il vit à Saint-Pierre-Aigle, où il prépare à présent deux livres d’histoire locale.

[Une version abrégée de cet article paraît dans le Vase Communicant n° 350.]

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