La voix de l’engagement
Nous poursuivons notre série retraçant un engagement fort dans une cause ou activité.
En 1982, sous la présidence Mitterand, une loi a ouvert la profession de sage-femme aux hommes. Yves Monnoyer était étudiant en médecine à Reims, où son père militaire était en poste. « Je ne trouvais pas là ce que je cherchais. Quand j’ai entendu parler de cette nouvelle possibilité, cela m’a semblé une évidence : c’était ça que je voulais faire. Mes années de médecine m’ont valu une année d’équivalence, ce qui fait qu’avec cette avance sur la promotion je suis sorti en 1984, le seul diplômé en France. » Et donc la première sage-femme homme du pays. « La première » : le terme reste au féminin. « On dit aussi « maïeuticien » (*) observe Yves, mais il dit plus souvent « sage-femme » en parlant de son métier. Traditionnellement, c’est une femme apte à aider les autres à accoucher, en les soutenant physiquement, psychologiquement, affectivement.
Nous sommes dans la maison de Vauxbuin qu’habitent Yves et son épouse depuis quelques années. Elle a été infirmière en pédiatrie, puis en maternité, et travaille à présent en maison de retraite. C’est dire qu’ils partageaient les mêmes préoccupations.
Assis sur un canapé, un bras le long du dossier, Yves possède un calme et une assurance tranquille qui font penser qu’il serait un compagnon précieux dans une urgence : tempête en mer, incendie de forêt… ou un accouchement.
Le nouveau diplômé a eu du mal à trouver un poste, face aux réticences des hôpitaux envers un homme. « Un chef de service ne m’a pas voulu – mais a voulu me voir ! »
Enfin il est venu à Soissons. Les sages-femmes tendent à répartir entre elles les différentes fonctions autour de la naissance. Laquelle a-t-il choisie ? « La salle d’accouchement. »
« C’est une profession médicale, pas para-médicale. Les responsabilités sont énormes. Je peux diagnostiquer, prescrire. Je tiens le médecin au courant, c’est tout. Il n’intervient qu’en cas de problème. D’ailleurs, il existe un « code rouge » pour les cas les plus urgents, et à ce moment-là je déclenche l’action. »
Combien de bébés a-t-il accouchés ? « J’ai arrêté de compter à cinq mille. » A un an de la retraite, il a l’intention de chercher à établir un chiffre total. La population d’un gros bourg, de toute façon. Et pourtant chaque naissance est unique. L’hôpital est fait surtout pour les gens qui ne vont pas bien, alors que la maternité, loin d’être un dérèglement, est une preuve que ça va bien.
Etre un homme cela pose-t-il des problèmes ? « Rarement, mais c’est plutôt l’homme dans un couple qui ne veut pas. » Comment réagir ? « Discuter. On arrive à résoudre. »
Que fait cette sage-femme homme quand il n’accouche pas ? « La musique. Je suis bassiste. » Il joue dans deux groupes. Le trio Ozéo a joué à Pic’Arts en 2005, puis s’est dispersé, et a reformé en 2016 ; Syxtoys existe depuis trois ans, et passe cette année à la Fête de la Musique. « Je suis le grand-père dans ces groupes. »
Accoucheur et bassiste ? Yves Monnoyer ne voit pas de contradiction. Il rit. « Un accouchement peut aussi être assez rock’n’roll ! »
(*) Le terme « maïeuticien » fait référence à la méthode philosophique de Socrate, selon laquelle le maître aide l’élève à trouver son propre chemin, à enfanter lui-même sa propre vérité.
denis.mahaffey@levase.fr
[Ce portrait paraît dans Le Vase Communicant n° 231 du 3 juillet. Modifié le 30/06 pour corriger deux coquilles et ajouter une définition de « maïeuticien »]