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Théâtre

L’argent en dictateur

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L'art du théâtre

Denise Darmon, Jean-Marie Winling, Marilyne Fontaine et Robin Renucci fêtent - prématurément - la victoire.

Denise Darmon, Jean-Marie Winling, Marilyne Fontaine et Robin Renucci fêtent – prématurément – la victoire.

La pièce « L’avaleur » illustre un propos : ceux qui n’investissent dans une entreprise que leur argent, à l’exclusion de toute autre considération – travail, intérêt, objectif social ou humain, projet à long terme –sont prêts à toutes les indécences pour augmenter la valeur de leur mise.

Dans cette histoire d’un requin des finances, qui veut s’emparer d’une société familiale efficace et profitable pour monnayer les actifs, la scène cruciale est l’affrontement final entre le président jusqu’alors et le prétendant. Le premier  rappelle les valeurs d’intégrité et d’humanisme qui sous-tendent la réussite de l’entreprise ; le second prend le micro pour dire « Amen, amen, amen » à ce qu’il définit comme une pieuse prière, non fondée dans la réalité des marchés financiers. Il exhorte les actionnaires à ne penser qu’au bénéfice qu’ils s’assureraient en lui vendant leurs parts. Le vote a lieu, et c’est l’ « avaleur » qui gagne. L’argent n’est pas roi, car la royauté fonctionne dans un cadre, mais dictateur, n’acceptant aucune contrainte.

L’éclairage est remonté dans la salle pour l’assemblée générale déterminante, et les orateurs s’adressent au public. Après le premier discours, beaucoup parmi nous applaudissent, assumant ainsi le rôle d’actionnaires émus par ces belles paroles. Ils écoutent en silence l’autre. Les votes sont comptés, le résultat annoncé. L’intrus a gagné. Nous voilà piégés : en acceptant le rôle attribué, nous devons accepter la décision : nos applaudissements n’auront pas changé le choix des actionnaires que nous avons bien voulu être. Derrière une façade humaniste, le profit immédiat seul compte.

Le président paternaliste (joué par Jean-Marie Winling), sa femme (Nadine Darmon), la brillante avocate des affaires (Maryline Fontaine) qui accepte d’aider sa mère et beau-père, et le directeur-général médiocre(Robin Renucci) (*)ne font pas le poids devant le financier. Xavier Gallais joue ce hors-les-lois accoutré d’un bide extravagant qui désigne son appétit. Il veut tout gober, les gens, le pouvoir, le fric. Il veut séduire, humilier. Il gesticule, grimace, danse, manipule, menace. Il a les meilleures répliques : « Les seuls choses qui comptent dans la vie sont les chiens, les pâtisseries et l’argent. Or les chiens chient partout et les pâtisseries rendent obèse, alors… ».

(*) L’après-midi, Robin Renucci avait été au collège Saint-Just lorsque son nom a été donné au théâtre du collège. Aimable et attentif, mais réservé, il a pris la parole pour parler de l’éducation par l’art. « Par l’art, non pas de l’art » a-t-il précisé: il s’agit d’une forme d’éducation populaire où l’art, dont l’art du théâtre, aide à former des citoyens conscients et engagés. Il était plus restreint qu’expansif. Trois heures plus tard nous l’avons vu sur scène, gelé dans une raideur corporelle, éteint, conventionnel dans ses propos mais capable de trahir son équipe ; et pourtant la même personne. Transformé par son rôle, mais convaincant parce que, loin de se cacher, il laisse transparaître ce qu’il est. Ce fut une leçon de théâtre.

Le directeur-général face à l'Avaleur.

Le directeur-général face à l’Avaleur.

Dès son arrivée d’Angleterre, en se moquant de l’accent de là-bas, il est à penser que cette force grotesque de la nature aura gain de cause. Son désir est si grossier, si puissant qu’elle écrasera les pâles désirs des autres. L’avocate qui s’est acharnée contre lui finira par l’épouser.

La production des Tréteaux de France est une adaptation d’une pièce américaine de Jerry Sterner, qui a même été filmée en 1991 (avec Danny de Vito dans le rôle de l’Avaleur). La mise en scène de Robin Renucci y injecte de l’humour et de la distance en traitant l’action comme une bande dessinée : costumes criards et bizarres, postiches qu’un commentateur a appelées « perruques Lego ». Le public pouvait « lire » le spectacle comme une série sautillante de confrontations, de retournements ; par son implication dans l’assemblée il est devenu acteur de cette tendance post-industrielle.

denis.mahaffey@levase.fr

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