Théâtre
Les compagnies du Mail au jour le jour

Publié
il y a 7 ansle
par
Denis MAHAFFEYL'art de la création théâtrale
Ce panorama de “Mail & Compagnies” a été mis à jour au fur et à mesure des spectacles, du 2 au 10 février. Les premiers se trouvent alors en bas de cet article, les derniers en haut.
Vendredi 10 février
La mort s’invite à la fête
Dans la grande salle du Mail « Calyssa en ce jour étoilé », créé quelques jours avant à Vailly, a été un des deux spectacles (avec « L’île aux pirates ») à clôturer en parallèle la semaine « Mail & Compagnies ».
La pièce, écrite par Jean-Louis Wacquiez, touche au sujet délicat de la réaction des enfants à la mort d’un proche, en mêlant, comme sait le faire cette compagnie, marionnettes et acteurs. Les deux personnages principaux, Zoë et son camarade Joachim, sont manipulés par Delphine Magdalena et Sylvain Juret, qui restent visibles et qui leur prêtent leurs voix.
La petite Zoë est fort attachée à son grand-père, ancien marin qui vit en Bretagne, et elle chérit l’objet qu’il lui envoie chaque année pour son anniversaire. Elle lui est liée encore plus dans sa riche vie imaginative. D’étranges « têtards » bien bavards lui rendent visite dans la nuit, et son grand-père y apparaît aussi.
Il n’y a pas de cadeau pour ses huit ans. Son père lui apprend que sa mère est partie au chevet du vieillard ; plus tard il lui annonce qu’il est mort.
Quelles ressources aideront Zoë à faire face à cette mort, qui mettrait autant en danger son autre vie rêvée ?
Sa famille ne fera guère l’affaire. Son père est affectueux, mais incapable de la voir telle qu’elle est – déjà il ne l’appelle que « ma chérie », comme s’il avait oublié son nom (or elle en a deux, Zoë et « Calyssa », celui qui lui est attribué dans son monde imaginaire).
C’est ce monde, dans sa propre tête, qui lui apporte secours. Un Mexicain (Jean-Louis Wacquiez) surgit de nulle part et, devant sa détresse, lui explique que même si « en France on ne parle pas de la mort » pour les Mexicains c’est une occasion de faire la fête. Il installe le cadre pour cette fête de la « muerte », avec des bougies et des objets reçus du grand-père.
Le père retrouve Zoë, Joachim et le Mexicain lancés dans une folle danse et proteste devant cette liesse inconvenable. Le Mexicain le réconcilie à la démarche. Plutôt de s’attrister devant la mort, il s’agit de célébrer toute la vie du défunt, et se réjouir que ceux qui l’aiment soient encore en vie. La mort donne de la force à la vie.
L’éloquence de ce spectacle vient des deux marionnettes, et elle leur est transmise par les deux marionnettistes. Loin d’imiter maladroitement le comportement humain, les marionnettes l’épurent, l’intensifient. Elles émeuvent en attirant l’attention sur les gestes essentiels qui montrent l’émotion.
Le comédien américain W.C. Fields est supposé avoir prévenu : « Ne travaillez jamais avec des enfants ou des animaux. » On pourrait ajouter « ou des marionnettes ». Il est difficile d’égaler leur finesse.
Jeudi 9 février
La piraterie au féminin
De l’énergie, et des masses : c’est l’ingrédient qui ne manque pas dans les spectacles Acaly pour enfants. L’histoire est menée à une vitesse trépidante, les dialogues vont au pas de course, les gestes se multiplient, la musique galope, les lumières scintillent en changeant de couleur. Surtout, les comédiens ne s’économisent pas. Et le jeune public achète chaque fois.
« L’île aux pirates » commence même sous une tempête, représentée un peu dans le style du théâtre du Soleil, par l’éclairage et des voiles qui battent au vent. Le bateau du sanguinaire capitaine Kistabiche (Didier Dordolo), le « Bouddha Volant », s’échoue en route pour l’île aux Souvenirs où un trésor attend. Son mousse Push (Cécile Migout) se trouve confronté à un dilemme : trouver une solution ou chercher un autre emploi. (Disons ici que ces deux acteurs savent occuper magistralement une scène et tenir le regard de la salle, avec une réelle candeur comique.)
Push déniche quelqu’un pour faire les réparations. Seul problème, c’est une femme, alors que le capitaine a une piètre opinion des capacités en général. Allez, une barbichette et l’illusion est parfaite. Florela (Constance Parizot) fait le nécessaire, tire l’élastique de sa barbichette – et Kistabiche doit se rendre à l’évidence de l’égalité des sexes.
Car l’autre ingrédient de tout spectacle Acaly est un message de générosité, un appel au respect du monde. Quand le metteur en scène Fabrice Decarnelle a interrogé les spectateurs après le spectacle, ils ont eu du mal à définir son sens, sans que cela veuille dire qu’à leur niveau le message ne soit pas passé.
Le bateau repart, et Fabrice Decarnelle annonce même une suite à venir au théâtre Saint-Médard en avril, dans laquelle le « Bouddha volant » arrive à la fabuleuse île aux Souvenirs.
Mardi 7 février
Le système solaire pour les tout petits
Un panneau au fond du plateau de la petit salle du Mail contient des trous ronds de différentes dimensions, placés apparemment ici et là sans raison géométrique. Une jeune femme émerge par un de ces trous. Elle saute et sautille, s’étire et s’enroule, s’assied et se lève. Surtout elle regarde et sourit aux enfants devant elle.
Elle cherche dans un grand carton une balle avec laquelle elle joue, puis une autre de taille et de couleur différentes, et une autre et une autre. Chaque balle a son caractère, et l’échange avec la jeune femme est chaque fois une conversation différente.
Sa complicité avec le public est totale. Les enfants ne la quittent pas des yeux, suivent ses mouvements, rient, réagissent à ses questions – applaudissent même le long du spectacle.
Sommée par sa mère (c’est elle-même avec un chapeau) à ranger ses jouets, elle le fait en trouvant, avec les conseils des enfants – c’est évident, elle n’y arriverait pas toute seule – le trou dont la bordure correspond à la couleur et la taille de chaque balle. Elle bouche donc les trous avec les balles l’un après l’autre. Miracle ! Le panneau apparaît comme une représentation du système solaire. C’est magique. Elle nomme les planètes, et c’est fini. Le tout a duré une demi-heure, et les enfants n’ont pas décroché.
Frédérique Bassez joue avec Musithéa pour la « Semaine » chaque année depuis 2012, quand elle a eu un petit rôle dans « Les fourberies de Scapin ». Il y a eu deux spectacles avec d’autres comédiens ; mais surtout elle a créé trois spectacles où elle est seule en scène, réagissant avec le public : « Sorcière la trouille », « Au p’tit poème » et cette année “Boules et balles”.
Elle semble progressivement simplifier et intensifier sa démarche. Elle se comporte avec toute l’exubérance d’une fillette, mais avec une précision dans les mouvements, une souplesse de danseuse et d’acrobate. Elle se met au niveau des enfants qui la regardent, mais en ajoutant une assurance et un mordant d’adulte. Jamais elle ne laisse apparaître la moindre bonhomie condescendante, ni un enthousiasme qui cacherait des approximations.
Dans cette « Semaine » il y a des créations et des reprises. Pour « Balles et boules » il s’agit plutôt d’un vrai lancement après un essai. Frédérique Bassez explique : « J’ai crée ce spectacle l’année dernière, mais ne l’ai joué que pendant une semaine. » Pourquoi ? « Je ne l’ai pas assez vendu. Je sais comment créer les spectacles, pas les vendre. » De toute évidence Musithéa a su faire le nécessaire.
Lundi 6 février
Sous le plus mauvais jour
La seconde semaine de « Mail & Compagnies » a commencé par un spectacle entre création et reprise : la « re-création » par la compagnie du Milempart de « Histoires cachées ». La production date d’il y a deux ans, mais elle a été repensée, revue et remise en scène, et la distribution a changé.
Sans atteindre la pureté acrobatique et abstraite de « Contes de des contes » de la « Semaine » 2016, la production est rapide, nerveuse, les mouvements sont souvent chorégraphiés ou au moins formalisés. Mélanie Izydorczak et Laurent Colin, fidèles du Milempart, Emilie Letoffé, et un nouveau comédien Thibaut Thibaux deviennent tour à tour personnages ou commentateurs, émergent l’un après l’autre d’un vieux coffre avec une tricherie maligne, ou disparaissent dans un placard aux airs de cabine de magicien. Ils se présentent hommes ou femmes selon les besoins de l’intrigue.
Didier Viéville, metteur en scène de la compagnie, a adapté trois contes de Maupassant en prenant des libertés nécessaires pour le passage de nouvelle en théâtre. « La relique » est un conte épistolaire transformé en pièce. Un fiancé qui traite la vérité comme une pâte à modeler s’y englue en essayant de faire passer un vulgaire os d’animal pour une relique de saint. Sa fiancée exige une vraie relique ; il serait prêt à aller jusqu’à Rome, mais craint que même le Saint Père ne puisse l’aider.
« Le parapluie » offre une occasion de cumuler l’avarice, la malhonnêteté et l’humiliation autour d’un parapluie usé jusqu’aux baleines, et d’un autre dont le vil prix explique sa rapide détérioration.
Pour « Le petit fût », la « Mère Magloire » du conte devient le « Père », qui tombe aussi facilement dans le piège qui consiste à l’amener à donner sa maison en viager, puis à l’arroser de « fine » en libre service et jusqu’à l’apoplexie.
Par coïncidence le théâtre amateur du Grenier a choisi le même conte parmi d’autres pour son spectacle « Histoires vraies ». Colette Fourreaux y campe une magistrale soularde dans le rôle de la « Mère ». Didier Colin titube de façon aussi convaincante.
Le public pour ce spectacle dans la grande salle est fait surtout de classes de Quatrième. « C’est parce que Maupassant est à leur programme » explique Didier Viéville, qui regrette cette limitation. Ce n’est pas qu’en Quatrième que les jeunes peuvent s’amuser – et s’instruire – devant le spectacle des faiblesses humaines.
« Histoires cachées » excelle à pointer les dilemmes dans lesquels Maupassant place ses personnages, qui se fourvoient en cédant à leurs instincts les moins élevés. D’éventuelles victoires sont toujours viciées par les moyens adoptés pour les atteindre. La production a la bonne idée, par sa mise en scène, d’éviter une représentation naturaliste de l’abjection. L’humain est vu sous son plus mauvais jour, la marque de Maupassant, mais la présentation stylisée met la distance qu’il faut.
Vendredi 3 février
Une journée gastronomique et fabuleuse
La compagnie Les Muses s’y Collent n’a pas de problème à créer un spectacle chaque année pour la « Semaine de la création théâtrale » Après les cartons vides de « Tangram » en 2016, Karine Tassan et Rémi Gadret reviennent avec une cuisine modulable pour une nouvelle recette théâtrale. « La cuisine de Zélie » montre les préparatifs d’un dîner pour « Monsieur Gourmand ». La cuisinière suit les recettes pour une « soupe aux bulles », un « soufflé sifflant » et un « gâteau à comptines ». Ce menu traduit une loufoquerie gastronomique constante, où chaque geste est traduit par son commis musicien en sons, de percussion ou autres.
La musique et la sonorisation du spectacle sont élaborées et éloquentes. Après une introduction tirée, selon Rémi Gadret, de la partition écrite par Bernard Herrmann pour « Citizen Kane », tout consiste en sons générés sur divers instruments et objets. L’idée la plus spectaculaire est une contrebasse improvisée à partir d’une poubelle retournée, une ficelle et une manche à balai. Non seulement elle marche, mais un système de looping permet à la musique de se poursuivre encore après le démontage.
C’était la « deuxième » du spectacle, créé la veille. Karine et Rémi admettent avoir besoin encore de le rôder, de synchroniser les sons et mouvements. Sous ses apparences ludiques, la pièce est complexe, et demande un jeu bien synchronisé.
Beaucoup de spectateurs dans la salle étaient assez jeunes pour réagir, non pas avec un regard critique posé et pesé, mais avec des sensations. Felix, trois ans, de l’école de Chacrise, par exemple, ne voudrait plus voir cette pièce « parce que je n’aime pas la soupe au crapaud ». En effet, après avoir collecté des bulles émises par des poissons pour sa soupe, à laquelle elle ajoute du savon râpé, la cuisinière sort un pot rempli d’une matière verte, visqueuse et, elle l’avoue elle-même, puante, dont elle ajoute un bloc gluant à la marmite ; la recette n’exigeait-elle pas « de la bave de crapaud » ? Voilà le pouvoir du théâtre, convaincre sans avoir besoin d’être crû.
Pass’ à l’Acte, qui tient aussi à présenter chaque fois une création, a joué la suite de « La Fontaine à fables » de l’année dernière, sous le titre logique de « La suite à fables ». Le principe, une relecture de certaines fables de La Fontaine par Eric Tinot et Fabrice Ply, mise en scène par Mario Gonzalez, est maintenu, et le décor, un grand panneau couvert de 1 800 fleurs de dentelle blanche, revient aussi.
Les acteurs masqués ou des marionnettes jouent au dessus de ce panneau, qui sert d’écran de projection. Pour certaines histoires, telle « Le chat et le renard », les marionnettes émergent par des fentes dans ce panneau. Un poisson y nage, une fourmi passe la tête.
Le texte de La Fontaine est parfois respecté, parfois adapté. Le traitement peut être mis à jour aussi. Au lieu de s’enfler, la grenouille qui veut être aussi grosse qu’un bœuf fréquente des salles de musculation, augmentant son tour de poitrine comme son tour des biceps, mais le résultat est pareil : crevaison spontanée.
Le spectacle déploie une grande énergie bien ciblée, et une complicité est construite avec le public, souvent invité à répondre et à commenter. Le public pour cette séance matinale était très jeune ; la veille les acteurs et metteur en scène avaient répondu longuement aux questions de spectateurs plus âgés.
denis.mahaffey@levase.fr
Jeudi 2 février – 1er jour
Une création et une reprise
“Mail et Compagnies”, la semaine de la création théâtrale, a commencé par une création et une reprise.

Entre Mario Gonzalez (à dr.) et Fabrice Ply, Eric Tinot répond aux questions des jeunes spectateurs après le spectacle.
Dans la petite salle en bas, la compagnie Pass’ à l’Acte a dévoilé la suite de « La fontaine à fables » de l’année dernière : “La suite à fables”. Mario Gonzalez a mis en scène ce spectacle de marionnettes manipulées par Eric Tinot et Fabrice Ply. Il en sera dit davantage après la séance de vendredi matin.
Dans la grande salle – trop grande pour l’échelle du spectacle – Arts et nuits blanches a repris, à la demande des organisateurs, « Eléonore et l’ancêtre » de Gérard Blaud. La pièce garde toute sa pertinence dans ces années du centenaire de la Grande guerre.
Une jeune fille retrouve un soldat dans son grenier. D’où surgit-il ? D’où vient son uniforme bleu horizon ? Comment expliquer son ignorance de tout ce qui fait le monde moderne ?
L’incompréhension est totale entre lui et la fille, comme s’ils ne parlaient pas le même langage. Il s’avère que c’est l’arrière-grand-père d’Eléonore, revenu à la vie on ne saura pas comment. Les générations apprennent difficilement à se connaître, à se comprendre, à approfondir leur relations, alors que l’ancêtre raconte sa vie avant et pendant la guerre à son arrière petite-fille.
Ghislaine Ferrer et Sébastien Lalu ont affiné leur jeu depuis la création. Eléonore en particulier s’est intériorisée, et les relations initiales entre elle et le soldat sont moins un affrontement qu’un questionnement de chaque côté. Quand le soldat repart dans l’inconnu, un regret palpable flotte dans l’air.
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Le Finistère se donne en spectacles

Publié
il y a 1 moisle
15 août 2023par
Denis MAHAFFEYL'art de l'été breton

Un récit de voyage culturel en Bretagne qui ne s’impose pas la concision habituelle aux chroniques du Vase des Arts. Il est divisé en trois épisodes, pour ceux qui préfèrent ne pas trâiner trop longuement devant leur écran.
Le Finistère, là où l’Europe prend fin sur les plages, rochers, baies et promontoires de la Bretagne, est semé de petites églises, village par village, sans parler de chapelles isolées vouées à tel saint. Bâties de granit, elles constituent chacune une anthologie de détails architecturaux, flèches, frontons et piliers hérités de temples grecs, tourelles dont des marins auraient pu rapporter les formes de pays lointains.
A l’intérieur l’espace nécessairement réduit est partagé par la nef, les bas-côtés, le chœur, l’abside, les chapelles particulières, parfois une salle du « trésor » où les objets liturgiques sont exposés, le tout dans une pénombre apaisante.
On a appelé ces églises « les boudoirs de Dieu », où on imagine le Tout-Puissant, las de vastes cathédrales, basiliques et églises surdimensionnées, Se refugiant pour être reçu en petit comité.
Même les cathédrales sont compactes. Celle de Tréguier, derrière sa petite place, a du mal à contenir l’assemblage de volumes nécessaires à ses fonctions épiscopales.
Presque toutes les églises du pays témoignent encore d’une vie paroissiale. Par ailleurs, dans une région où les touristes cherchent moins des plages à rangées de transats, ou des rues bordées de bout en bout de bars et boîtes, que des sorties culturelles, ces églises, à côté de leur rôle religieux, accueillent des spectacles, avec une prépondérance de musique classique ou bretonne traditionnelle. Le rock se niche ailleurs, dans les festivals par exemple.
Mais il y a d’autres formes de spectacle. Parfois l’extérieur d’une église sert de toile de fond. C’est sur la place devant Saint-Pierre de Plougasnou que des vacanciers, les enfants aux premiers rangs, attendaient Street coffee, un spectacle du clown italien Claudio Mutazzi.

Claudio le clown avec son adjointe du jour
Il arrive, tirant derrière lui un petit chariot, qui lui servira de boîte content ses équipements et un amplificateur pour de soudaines illustrations musicales.
Il suit un scénario, les fragments reliés par un clap en bois, comme pour des prises de vue ; mais à chaque instant Claudio adhère aux principes classiques en s’adaptant à ce qui se passe autour de lui. Voyant un passant qui n’assiste pas au spectacle, il le suit comme une ombre malicieuse. En singeant sa démarche, ses gestes, il les rend comiques. S’en apercevant, le passant, de bonne humeur, devient spectateur.
Claudio interpelle ses spectateurs, les faisant participer, parfois malgré eux mais de bon cœur (surtout les enfants). En vrai clown il reproduit, grossit, prolonge, élargit les comportements, créant une marge entre la réalité de la personne et le clownesque. Ce qui semblait ordinaire, banal, quotidien vire au bouffon. Il établit une complicité avec les enfants qu’il choisit pour l’aider, les ragaillardissant pour qu’ils se prêtent avec enthousiasme au jeu.
Le bouquet final de Street coffee est un mariage, mis en scène avec la participation de quatre spectateurs. Claudio dirige tout, même les gestes de séduction échangés. Est-ce à dessein ou par confusion que l’union du couple heureux se trouve être entre les deux hommes, les femmes étant réduites au rôle de demoiselles d’honneur ?
°o0o°
Le lendemain soir, pour changer, l’ensemble Capriol & Cie venu de Lannion a donné un récital de musique de la Renaissance à Primel-Trégastel, près de Plougasnou, dans la chapelle Notre-Dame-de-Lourdes. Bâtie en pierre du pays en 1927 mais avec une flèche en béton, la façade un peu comme une fusée sur sa rampe de lancement, c’est une singularité à côté des églises médiévales. Depuis sa restauration en 2010, une association y organise des événements, dont plusieurs concerts de Capriol.
Les cinq membres de ce groupe, spécialistes du répertoire Renaissance, sont Isabelle Diverchy, soprano et épinette, Ingrid Blasco, vielles à roue, Nathalie Le Gaouyat, viole de gambe et vielle, Martine Meunier, contralto, et Mathias Mantello, percussions. Ils ont choisi un programme avec une vingtaine de compositions, intitulé Va voir si la rose. A part six danses instrumentales, toutes les autres mettent en musique des poèmes de Ronsard car, après avoir été poète de renom de son vivant, Ronsard a eu une seconde carrière posthume en tant que parolier. C’est un face à face entre l’inspiration du poète de la sensibilité, du lyrisme et des amours, et la grande diversité des accompagnements, avec des compositeurs célèbres comme Clément Janequin et Josquin des Prés, ou moins connus, Pierre Claireau ou Guillaume Boni. Seule apparition d’un autre poète : Mille regrets de Clément Marot.

Mathias Mantello le percussionniste de Capriol
Dans la musique de la Renaissance, instruments et voix s’interpellent, s’intercalent, s’interrogent, comme des fils de couleur d’une tapisserie, émergeant, disparaissant, créant une image en avançant. Une musique distante de nous, qui nous atteint encore.
Isabelle Diverchy est aussi le porte-parole de Capriol, présentant et accompagnant le programme avec de précieux commentaires sur les œuvres, les compositeurs, et parfois les instruments et le déroulement de la soirée, une autre façon d’ancrer la musique dans la réalité de son exécution. « C’est merveilleux, ce qu’on peut faire avec des bouts de bois. »
Le récital ne s’est pas déroulé sans incident. Ingrid Blasco a dû expliquer les arrêts fréquents pour accorder sa vielle à roue. « C’est trop humide ici pour les cordes. » La vielle y serait particulièrement sensible. Au milieu d’une musique détachée de tout matérialisme, la réalité matérielle.
Les chansons de la Renaissance peuvent paraître loin des préoccupations modernes. Mais J’espère et crains de Ronsard, mis en musique par Pierre Certon et interprété par Capriol, met chaque auditeur devant ses propres contradictions intimes.
J’espère et crains, je me tais et supplie,
Or je suis glace, et ores un feu chaud,
J’admire tout, et de rien ne me chaut,
Je me délace, et puis je me relie.
°o0o°
La veille du départ du Finistère, passage par Saint-Jean-du Doigt, voisin de Plougasnou, et visite, comme à chaque séjour, de son église, exception frappante aux boudoirs exigus. Quand un natif du village de Traou Meriadec y est revenu avec le bout de l’index de Saint Jean Baptiste, qui l’avait levé pour indiquer le Christ (« Ecce homo ! »), la relique a eu un tel succès pour traiter les maladies des yeux que le village a changé de nom. La Reine Anne de Bretagne est venue et, guérie, a fait des dons permettant l’érection d’une grande église pour accueillir les pèlerins (*). Ses dimensions sont d’autant plus appréciables qu’un incendie en 1955 a détruit presque tout le mobilier, dégageant l’espace entier.
Devant l’autel, dans l’église vide, un homme essaie quelques passages de jazz sur son saxophone, puis une femme chante une toute autre musique, plus ancienne, plus mystérieuse. Entre ces extraits ils se parlent de ce qu’ils préparent.
Abordés, Baptiste Boiron et Marthe Vassalo expliquent qu’ils donneront un concert le lendemain soir, mélangeant du jazz à des chants bretons anciens.
Derrière un clown et la Renaissance, voilà quelques enchaînements de notes qui réunissent la musique contemporaine et une autre musique, venue du granit dont le Finistère est fait, comme un bruit mystérieux et archaïque émergé de ces terres, avant de se fondre, comme elles, dans l’Océan.
(*) Est-ce vrai ? Les Bretons, comme d’autres Celtes, fusionnent volontiers la légende et la réalité historique, et il n’est même pas sûr qu’Anne soit venue pendant sa tournée du royaume de Trégor.
Le Vase des Arts
La douleur de Dominique Blanc

Publié
il y a 4 moisle
2 juin 2023par
Denis MAHAFFEYL'art de jouer

Une femme, l’air abandonnée par elle-même, est assise à une table. Elle parle. « Face à la cheminée, le téléphone, il est à côté de moi. À droite, la porte du salon et le couloir. Au fond du couloir, la porte d’entrée. Il pourrait revenir directement, il sonnerait à la porte d’entrée : “Qui est là — C’est moi”. »
A travers La Douleur, la comédienne Dominique Blanc vit depuis plus de dix ans avec la douleur en tant que comédienne. En 2010, elle a d’abord fait une lecture du texte de Marguerite Duras, puis l’a joué dans un spectacle mis en scène par Patrice Chéreau. C’est dans cette même mise en scène, revue par Thierry Thieû Niang, qu’elle a repris le rôle, d’abord à Paris, ensuite pour une tournée qui l’a amenée au théâtre du Mail à Soissons.
Le texte relate l’attente fébrile d’une femme dont le mari a été déporté dans un camp de concentration allemand en 1944, et son retour. La situation reflète celle de l’auteure elle-même, face à la déportation de son mari Robert Anthelme, et le texte de la nouvelle est adapté d’un journal intime qu’elle aurait gardé pendant cette période d’attente.
La femme sur scène subit l’attente insoutenable, dans une impuissance qui n’est pas exceptionnelle mais celle « de tous les temps, celle des femmes de tous les temps, de tous les lieux du monde : celle des hommes au retour de la guerre »
Etant donné la matière du texte, le public pouvait s’attendre à une performance, dans le sens d’un déploiement de sentiments extrêmes, des crises d’angoisse, des larmes ; un corps à l’agonie, des émotions qui débordent.
Dominique Blanc choisit une autre approche, qui est un défi aux conventions du théâtre. C’est celle de la transparence. Comédienne, elle transmet ce qui se passe, mais sans jamais forcer le trait. La douleur passe par son corps et sa voix sans jamais devenir paroxysme : ils servent de messagers entre le plateau et la salle, sans rien ajouter. C’est au spectateur, pourrait-on dire, de faire ce qu’il veut, ou peut, de ce qu’il voit et entend.
L’aspect physique de la comédienne contribue à cette transmission, son corps en retrait, son regard légèrement tombant, son grand front comme un écran blanc. Dominique Blanc établit une sorte de vide que chaque spectateur remplit par son accueil de ce qu’elle dit et fait.
Pour ceux dans la salle qui ne la connaissaient que par le cinéma, la rencontre en chair et en os a pu confirmer que c’est une artiste dont la force est d’autant plus étonnante qu’elle ne la met pas en avant. Tout est réserve, tout est transparence. Dans La douleur, au lieu de faire voir sa douleur, elle la laisse voir.
Un commentaire ? denis.mahaffey@levase.fr
Le Vase des Arts
La sociologie des banlieues au théâtre

Publié
il y a 4 moisle
23 mai 2023par
Denis MAHAFFEYL'art du théâtre appliqué

Sortis à peine de Les Coquettes (titre laconique et même coquet pour trois humoristes débordant d’énergie et d’à propos sur les sujets qui préoccupent et fâchent les femmes), les spectateurs du Mail – certes peut-être pas les mêmes, et en moins grand nombre – ont pris place dans la même grande salle pour un spectacle de la compagnie Légendes Urbaines : Et c’est un sentiment qu’il faut déjà que nous combattions je crois. Comme, Ce que je reproche le plus résolument à l’architecture française, c’est son manque de tendresse, venue à Soissons en 2021 (*), le titre est tout un programme, un brin provocateur, une façon d’éviter de coller une étiquette rapide sur le sujet abordé.
Le sujet, une constante pour la compagnie, est l’environnement urbain, celui des « quartiers », des « banlieues » populaires. Il s’agit de repérer, derrière les représentations courantes de ces milieux, la vie de ceux qui y trouvent ou ne trouvent pas leur épanouissement, et les raisons matérielles – la conception des grands ensembles – des ratés sociaux.
Le point de départ de la nouvelle pièce est un reportage sensationnel diffusé à la télévision, montrant entre autres l’absence générale de femmes dans certains quartiers, dans les rues et de façon encore plus flagrante dans les cafés. La pièce examine l’origine du reportage, son degré de vérité ou de manipulation, et démonte les mythes autour de tels quartiers portés par les média.
Une question purement théâtrale se pose aussitôt : comment rendre « dramatique » un tel thème, éviter une étude sociologique qui n’accrochera pas le public dans la salle ?

David Farjon est David Pujadas.
La réponse est aussi théâtrale : utiliser tous les ressorts dramatiques pour illustrer les propos. Les six acteurs maîtrisent parfaitement un style naturaliste pour changer de rôles, multiplier les personnages. Ils font des numéros époustouflants, tel le rappeur qui se raconte, ou David Farjon, fondateur de Légendes Urbaines, en parfait interprète du présentateur David Pujadas, dans les coulisses de son émission.
Il y a des mises en abyme, comme quand les journalistes, assis autour d’une table pour discuter, apparaissent en même temps sur un grand écran.
L’imagination est illimitée : pour revenir dans le montage de la discussion filmée, les comédiens se lèvent et font marche arrière en accéléré jusqu’au point à éditer.
Ainsi, même un spectateur peu concerné par le sujet de l’environnement urbain est attiré en impliqué par les astuces du théâtre. A nouveau, Légendes Urbaines met en scène une étude sociologique en la rendant fascinante et inattendue. Un acteur « interprète » un texte ; Et c’est un sentiment qu’il faut que nous combattions je crois interprète la vie des quartiers qu’il met en scène.
(*) Jouée dans la petite salle du Mail, qui a l’avantage de la proximité entre acteurs et spectateurs, et le désavantage d’imposer à presque tout le monde de voir seule une partie de la scène entre les deux têtes devant.
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