Semaine de la création théâtrale, au Mail du 2 au 9 février
Pour avoir la sensation d’être Gulliver «l’homme-montagne» au pays de Lilliput, il suffit d’être assidu aux spectacles de la 5ème «Semaine de la création théâtrale». Quelques grandes personnes sont entourées par les groupes scolaires qui remplissent les trois salles du Mail du matin au soir, pour les huit spectacles de cinq compagnies professionnelles de Soissons. Il y a des collégiens et autres adolescents, mais le public est surtout composé d’enfants de la maternelle au CM2, certains pour la première fois au théâtre.
Ces spectateurs sont réactifs, rient, s’émerveillent bruyamment, répondent aux questions («Voulez-vous entendre cette histoire ?» «Ouuuuiiiiii !»), et lèvent une forêt de doigts pour en poser après le spectacle.
Aucun des spectacles n’est un récit narratif naturaliste. Même «Récit d’un autre front», des Muses s’y Collent, qui raconte deux femmes en fuite pendant la Grande guerre, utilise les ressorts du music-hall, chants et changements de registre. La préoccupation de toutes les compagnies a été d’appeler le jeune public à une cérémonie à la fois distante de la réalité et intime par l’échange.
«L’enfant et l’arbre» des Nomades est l’histoire bruitée mais sans parole d’une profonde amitié. L’arbre reste plantée, l’enfant vient, s’en va, grandit, abandonne, revient, vogue sur les océans, et rentre mourir sur la souche.
Dans «L’autre bout du monde» un clown est rejeté par sa troupe. Les spectacles d’Acaly marchent par la folle énergie qu’ils génèrent. Le clown clignote de partout, se démène dans la joie de retrouver un public ami. L’action se bouscule autant dans «En avant Courteline», des mini-pièces où les personnages, de bonne ou de mauvaise foi, se chipotent pour des malentendus.
Pour «Au p’tit poème» de Musithéa, la comédienne invite différents enfants à choisir un plat – un poème – et une sauce – le ton. Elle dit donc «Le dormeur du val» dans une colère noire ; elle fait du rap pour Prévert. Spectacle élastique à de multiples versions potentielles, un exploit de gestion à chaque fois.
«Maîtres et valets» de Pass’ à l’acte pioche dans Molière pour illustrer cette relation faite de complicité et d’antagonisme. Deux comédiens changent d’habits, de masques et de corpulence à une déroutante vitesse. C’est encore l’énergie qui prime.
La Semaine sert aussi de vitrine pour les programmeurs. Stéphane Vilaire, responsable Jeunesse et culture de la CC Vallons d’Anizy, a vu presque tous les spectacles. «Mon coup de cœur va pour l’instant à «Au p’tit poème», pour le jeu de la comédienne».
La semaine était pleine d’humour, toutes les facettes du comique. Mais le clown abandonné et l’arbre abattu évoquent les tristesses de la vie, et la chanson allemande à la fin du «Récit d’un autre front» rappelle que ces deux réfugiées pouvaient autant être de l’autre côté du front.
denis.mahaffey@levase.fr