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Le Vase des Arts

Les yeux dans les yeux

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L'art de survivre au confinement

Vincent Dussart, directeur artistique de l’Arcade, en résidence au Mail de Soissons, s’exprime sur les effets du confinement pour sa compagnie, les dispositifs virtuels adoptés pour assurer une présence pendant les restrictions, et ses espoirs pour une reprise des activités.

La première résidence soissonnaise de l’Arcade de 2009 à 2012 avait montré la différence entre les passages éclair de compagnies arrivant de Paris l’après-midi pour préparer leur spectacle, jouant le soir et, souvent, repartant aussitôt. Une compagnie en résidence entre dans la vie de la ville, donne une continuité à la vie théâtrale, élargit la fréquentation, lance des activités annexes. C’est un ferment. L’Arcade a organisé des répétitions publiques et des ateliers, a accompagné des spectacles venus d’ailleurs. Elle a tout fait pour lever le mystique dont le théâtre s’entoure – en révélant le « jeu » par lequel un acteur entre dans un « rôle ».

Un thème a marqué cette première résidence : la famille, sa complexité, ses forces, ses faiblesses. De multiples activités, enquêtes, entretiens se sont terminées par un spectacle, Ca va la famille ?, réunissant les comédiens de l’Arcade et des non-professionnels.

L’Arcade est revenue en 2015 pour une seconde résidence autour de plusieurs thèmes : la brutalité du monde du travail, le « regard des autres » et son impact sur l’image que chacun a de lui-même, la honte qui ronge l’amour propre. Par les actions visant les scolaires et dans les centres sociaux les participants ont appris à reconnaître le phénomène, ce qui change déjà les perspectives.

Depuis 2019 un nouveau cycle, Les fantômes de l’intime, aborde les répercussions de grands traumatismes sociétaux : guerres, épidémies, révolutions… « Que portons-nous de notre histoire et de l’Histoire ? Ne pas s’interroger, ce serait se condamner à ne pas nous comprendre. »

Un spectacle, Ma forêt fantôme de Denis Lachaud, était en répétition, d’autres pièces étaient en tournée, les activités scolaires et autres en cours, quand le couperet est tombé en mars. Vincent Dussart décrit la situation :

« Toute l’activité artistique de l’Arcade s’est interrompue brusquement. Arrêt des ateliers au sein des écoles, des collèges, des lycées, du Conservatoire… Arrêt des tournées de deux spectacles en cours, arrêt des répétitions de la prochaine création, puis l’annulation du festival d’Avignon où nous devions jouer…

« Ce fut d’abord un temps de sidération pour moi. Puis un temps d’inquiétude : comment protéger les artistes, dont les carrières sont déjà fragiles ? Comment protéger la Compagnie ? Nous avons avant tout travaillé à mettre en place les mesures de protection qui étaient possibles, nous avons fait le tour des partenaires de la compagnie. Ils nous ont assurés de leur soutien, au premier rang desquels la Ville de Soissons.

« Une fois cette sécurité un peu renforcée, nous pouvions penser. Prendre un peu de distance, ne plus rester à l’affut de chaque information, qui de toute manière était soit alarmante, soit confuse. Nous avons cherché à consolider les projets à venir, développer de nouveaux partenariats, répondre à des appels à projet… et renouer le lien avec nos publics. »

Avec Sabrina Guédon, directrice du Mail, il a décidé de lancer des lectures quotidiennes sur Internet, 28 au total. Il y en aura d’autres, mais plus espacées. Elles restent accessibles sur les pages Facebook du Mail et de l’Arcade.

Il a enregistré ces lectures chez lui à Paris ou il a vécu le confinement dans 40 mètres carrés.

 « Ces lectures d’extraits de théâtre ou de romans ne répondaient pas à une thématique. Chaque jour, je choisissais un extrait au gré de mes envies, à la manière dont ils résonnaient avec l’actualité. Certains ont résonné particulièrement avec la crise sanitaire, d’autres permettaient au contraire de s’échapper de ce climat anxiogène. »

Peter Brook, Rainer Marie Rilke, Guillaume Touze, Colum McCann, même un extrait de Ma forêt fantôme : en les lisant les yeux dans les yeux du spectateur, sans se cacher derrière des personnages, Vincent Dussart confirme sa vision du comédien. C’est simple, direct, percutant. A travers les auteurs il fait une brèche dans l’isolement.

Un lien, virtuel mais fort, s’est renoué avec les élèves du lycée Nerval, du Conservatoire, de la « classe théâtre » du collège Saint-Just. Des projets sont en cours, d’autres sont déjà en ligne sur le site de la CMD.

« Aujourd’hui, nous allons enfin pouvoir relancer les répétitions de Ma Forêt fantôme que nous créerons au Mail en novembre. Elles risquent d’être étranges, traversées par les odeurs de gel hydro-alcoolique, les comédiens gardant leurs distances, protégés par des visières… mais un nouvel horizon s’ouvre enfin, où nous pourrons retrouver le public soissonnais. »

Danse

Le ballet sans danse

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L'art de l'orchestre

Tamara Karsavina est la Jeune Fille, Vaslav Nijinski est le Spectre.

Sans danseurs, la musique de ballet perd de son côté spectaculaire, mais gagne en écoute. Présents, les danseurs accaparent les regards, and la musique devient un accompagnement. Les musiciens sont cachés dans la fosse d’orchestre – ou remplacés, de plus en plus, par une bande sonore qui sort d’amplificateurs.

L’orchestre Les Siècles, sous la direction de François-Xavier Roth, a changé l’angle d’approche en choisissant, pour son retour à la Cité de la Musique, trois partitions pour des ballets créés par les Ballets Russes à Paris. Neuf jours après le concert ce serait le cent-dixième anniversaire de la création mouvementée du Sacre du printemps, composé par Igor Stravinsky ; au nouveau théâtre des Champs-Elysées. Au même programme de 1913 deux autres ballets, Prélude à l’après-midi d’un faune, créé un an avant sur la musique de Debussy, et Le spectre de la Rose, créé en 1911 sur celle de Weber. Ce parallèle a permis au directeur des Siècles, avec sa verve habituelle, de définir la soirée de « la Première de ces trois ballets à Soissons ».

Ecoutées au lieu d’être simplement entendues, à l’avant-plan au lieu de l’arrière-plan, les trois partitions ont révélé leur richesses, en rendant la structure du jeu des musiciens visible. Un concert orchestral est dans ce sens un spectacle : le célèbre thème d’ouverture du Prélude à l’après-midi d’un faune prend toute son importance quand la flûtiste a levé son instrument pour entraîner l’orchestre derrière elle, comme le Flûtiste de Hamelin du conte.

Invitation à la danse de Weber, orchestrée par Berlioz, sert de partition pour Le Spectre de la Rose, adaptation d’un poème de Théophile Gautier. Une jeune fille s’endort dans un fauteuil après son premier bal, une rose à la main, et rêve. . La Rose, devenue jeune homme, la fait danser, part, et elle s’éveille. Sur le plateau, c’est un violoncelle, rejoint par des cordes, qui accompagne son endormissement et qui, en solo après le paroxysme de la danse, son doux réveil. (*)

Dans le Sacre du printemps, Stravinsky a rendu fous furieux ses adversaires qui ont troublé la Première, par ses rythmes sauvages, ses dissonances, ses ruptures, ses changements de tempo et arrêts soudains. Ce qui leur semblait être du terrorisme musical était simplement sa volonté novatrice d’abandonner les conventions mélodiques et d’harmonie auxquels les mélomanes paresseux s’étaient depuis si longtemps habitués.

Même la composition de l’orchestre a reflété les intentions différentes des trois compositeurs (ou de Berlioz) : la soirée a commencé avec environ quatre-vingts instrumentistes sur scène pour Debussy ; ils ont été rejoints par une dizaine d’autres pour Weber ; pour Stravinsky ils étaient une centaine. Sous les projecteurs : dans une salle d’Opéra chacun aurait été dans la pénombre et seuls les pupitres auraient été éclairés.

L’incident

La fin du Spectre de la Rose a été interrompue par des applaudissements prématurés. La danse qui est au cœur de la composition, entre l’introduction et le coda, se termine dans une valse retentissante. Quand elle a pris fin une partie du public, comme parune réaction physique, a commencé à applaudir. Sans se retourner, François-Xavier Roth a levé la main gauche pour arrêter les applaudissements, mais sans effet. Enfin, ceux qui applaudissaient se sont rendu compte que quelque chose n’allait pas, et les uns après les autres ils se sont arrêtés. Trop lentement quand même, et le violoncelliste a commencé courageusement les dernières mesures, alors que le silence n’était pas entièrement rétabli. L’œuvre terminée, le chef, encore sans se retourner, a fait un geste, cette fois pour autoriser et encourager le public à montrer son enthousiasme.

L’incident a des échos dans l’histoire de ce ballet. Ceux qui l’ont vu savent que quand le danseur sort, au moment culminant de la valse, le public peut rarement s’empêcher de saluer l’exploit acrobatique. Mais l’histoire raconte que chaque fois que le ballet était dansé par ses créateurs, Tamara Karsavina et Vaslav Nijinski, la puissance du jeu dramatique de la ballerine était telle que, quand son partenaire la quittait en semblant flotter à travers la fenêtre ouverte, le public retenait ses applaudissements pour ne pas rater le réveil de la Jeune Fille émerveillée par ce qu’elle avait vu en rêve.

(*) Chaque œuvre est détaillée avec érudition et finesse dans la feuille qui a accompagné le programme en papier, par la Classe d’analyse du Conservatoire du Soissonnais.

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Le Vase des Arts

La douleur de Dominique Blanc

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L'art de jouer

Une femme, l’air abandonnée par elle-même, est assise à une table. Elle parle. « Face à la cheminée, le téléphone, il est à côté de moi. À droite, la porte du salon et le couloir. Au fond du couloir, la porte d’entrée. Il pourrait revenir directement, il sonnerait à la porte d’entrée : “Qui est là — C’est moi”. »

A travers La Douleur, la comédienne Dominique Blanc vit depuis plus de dix ans avec la douleur en tant que comédienne. En 2010, elle a d’abord fait une lecture du texte de Marguerite Duras, puis l’a joué dans un spectacle mis en scène par Patrice Chéreau. C’est dans cette même mise en scène, revue par Thierry Thieû Niang, qu’elle a repris le rôle, d’abord à Paris, ensuite pour une tournée qui l’a amenée au théâtre du Mail à Soissons.

Le texte relate l’attente fébrile d’une femme dont le mari a été déporté dans un camp de concentration allemand en 1944, et son retour. La situation reflète celle de l’auteure elle-même, face à la déportation de son mari Robert Anthelme, et le texte de la nouvelle est adapté d’un journal intime qu’elle aurait gardé pendant cette période d’attente.

La femme sur scène subit l’attente insoutenable, dans une impuissance qui n’est pas exceptionnelle mais celle « de tous les temps, celle des femmes de tous les temps, de tous les lieux du monde : celle des hommes au retour de la guerre  »

Etant donné la matière du texte, le public pouvait s’attendre à une performance, dans le sens d’un déploiement de sentiments extrêmes, des crises d’angoisse, des larmes ; un corps à l’agonie, des émotions qui débordent.

Dominique Blanc choisit une autre approche, qui est un défi aux conventions du théâtre. C’est celle de la transparence. Comédienne, elle transmet ce qui se passe, mais sans jamais forcer le trait. La douleur passe par son corps et sa voix sans jamais devenir paroxysme : ils servent de messagers entre le plateau et la salle, sans rien ajouter. C’est au spectateur, pourrait-on dire, de faire ce qu’il veut, ou peut, de ce qu’il voit et entend.

L’aspect physique de la comédienne contribue à cette transmission, son corps en retrait, son regard légèrement tombant, son grand front comme un écran blanc. Dominique Blanc établit une sorte de vide que chaque spectateur remplit par son accueil de ce qu’elle dit et fait.

Pour ceux dans la salle qui ne la connaissaient que par le cinéma, la rencontre en chair et en os a pu confirmer que c’est une artiste dont la force est d’autant plus étonnante qu’elle ne la met pas en avant. Tout est réserve, tout est transparence. Dans La douleur, au lieu de faire voir sa douleur, elle la laisse voir.


Un commentaire ? denis.mahaffey@levase.fr

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Danse

La Passion selon Piazzolla

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L'art du tango

[Photo Axonance]

Le compositeur argentin Astor Piazzolla, déjà célèbre pour son œuvre inspiré par les rythmes du tango, passe à un autre niveau de renommée en devenant le sujet d’une composition d’un autre compositeur, argentin aussi. Martin Palmeri a écrit la Pasíon segun Astor qui sera chanté et joué au concert donné par l’ensemble choral Axonance à la Cité de la Musique de Soissons le 27 mai. Avec le compositeur au piano, Axonance et son directeur Stéphane Candat seront accompagnés par le quintette à cordes’ensemble de chambre Ad Libitum, le bandonéoniste Jeremy Vannereau, et même deux danseurs du tango. Il y aura des pièces et chants solos du compositeur, dont Libertango et Adios Nonino, adieu déchirant à son père.

Stéphane Cantat, fondateur et directeur d’Axonance [Photo Axonance]

Axonance a été créé en 2017 pour pallier à la disparition du Studio choral de l’Aisne, privée de sa subvention départementale. Il a commencé à se faire une réputation par ses récitals et concerts, dont celui du Nouvel An dans le cellier nouvellement aménagé de l’abbaye Saint-Jean-des-Vignes. Il vise à donner trois ou quatre concerts par an – financés, il faut dire, par les recettes et les cotisations des membres.

Même dans les chorales où les membres chantent surtout pour le plaisir, ils s’impliquent beaucoup. Axonance visant une qualité quasi-professionnelle, avec des choristes déjà de bon niveau, l’engagement doit être soutenu et fort. Chaque choriste vise à travailler la pratique chorale dans un environnement vocal réduit, pour assurer une homogénéité et un son adapté à chaque esthétique musicale. Ils se retrouvent deux demi-journées par mois et le répertoire s’étend des débuts du Baroque au XXIe siècle. L’ensemble se dirige vers des programmes chambristes, à capella ou accompagné de l’orgue ou du piano. Le concert Piazzolla est donc exceptionnel.

Axonance recrute des chanteurs venus de chœurs de la Marne, de l’Aisne et de l’Oise, mais il est soissonnais, créé dans la ville quelques heures après la destruction de la Rose de la cathédrale par la tempête Egon – et il a chanté lors de l’inauguration du nouveau vitrail en 2022.

La musique de Piazzolla et son bandonéon ont pris leur place parmi le plus grands dans les salles de concert, mettant les sens en émoi, communiquant ses rythmes langoureux  aux mêmes publics que Mozart et Beethoven. Destin prestigieux pour le tango, né dans les bordels de Buenos Aires, et dont le rythme subvertit la bienséance en y glissant une sensualité entêtante.


La Pasíon segun Astor, 27 mai à 20h à la CMD ; 28 mai à 16h, église Saint-Maurice, Reims.

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