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Théâtre

Ouvrez les vannes !

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L'art de taquiner les femmes

Olivier de Benoist lance sa réunion de chantier avant la chirurgie esthétique de sa femme.

Réunion de chantier avant la chirurgie esthétique de sa femme.

Au marché, les étals ne se confondent pas. Chez le poissonnier pas de légumes ; chez le marchand de quatre saisons pas de fromage. C’est pareil pour certains humoristes, chacun son fonds de commerce. Celui d’Olivier de Benoist est les vannes dirigées contre les femmes. Il en fait carrière. « On me dit que pour comprendre une femme » annonce-t-il en entrant en scène « il faut se mettre dans sa tête. Au moins il y a de la place. » Pendant plus d’une heure les blagues se suivent, se bousculent, se recouvrent. Il érige sa belle-mère en ogre sanguinolent, fait une oraison funèbre dévastatrice à son égard, tient une « réunion de chantier » avant la chirurgie esthétique que subira sa femme.

On imagine une salle purement masculine pour se gausser avec lui. Pas du tout. Il y a autant de femmes que d’hommes. Et elles rient de bon cœur. Comment expliquer qu’elles acceptent ses railleries ?

Olivier de Benoist possède une bonne bouille bordée d’une barbe mousseuse, un sourire franc, un regard clair. Il n’a rien d’une brute sexiste.

Au début du spectacle il confie un pistolet à eau à une spectatrice du premier rang, une sorte de kalachnikov à eau à une autre (d’authentiques détentrices de billet ou collaboratrices plantées, nous ne le saurons pas). Il les invite à l’asperger s’il dépasse une ligne rouge. Il la dépasse aussitôt, elles envoient des jets d’eau qui font luire son costume noir. Il continue, elles continuent.

C’est une façon de se désarmer littéralement devant les victimes de ses plaisanteries. Ne serait-ce pas son secret ? Désarmé, il est autant désarmant. Il prend constamment une petite distance par rapport à ses blagues affreuses, en se cachant le visage, faisant un geste comme pour dire « Je n’ose presque pas m’entendre parler ainsi. »

 Paul-Marie Debrie

En première partie de soirée est passé Paul-Marie Debrie, qui s’annonce débutant, débite maladroitement quelques plaisanteries en se tordant les mains, gêné comme un écolier. Et la salle rit. Il a trouvé son filon, et reviendra peut-être un jour au Mail en seconde partie de spectacle.

Vrai misogyne qui cache son jeu sous ces tics rassurants, ou faux qui fait semblant d’accabler ? Il commémore le centenaire du premier permis de conduite obtenu par une femme : « Elle a passé le permis en 1908. » Et le centenaire, alors ? « Elle l’a eu en 1916. »

En fait, marchand d’humour, Olivier de Benoist vend sa salade.

denis.mahaffey@levase.fr

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La douleur de Dominique Blanc

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L'art de jouer

Une femme, l’air abandonnée par elle-même, est assise à une table. Elle parle. « Face à la cheminée, le téléphone, il est à côté de moi. À droite, la porte du salon et le couloir. Au fond du couloir, la porte d’entrée. Il pourrait revenir directement, il sonnerait à la porte d’entrée : “Qui est là — C’est moi”. »

A travers La Douleur, la comédienne Dominique Blanc vit depuis plus de dix ans avec la douleur en tant que comédienne. En 2010, elle a d’abord fait une lecture du texte de Marguerite Duras, puis l’a joué dans un spectacle mis en scène par Patrice Chéreau. C’est dans cette même mise en scène, revue par Thierry Thieû Niang, qu’elle a repris le rôle, d’abord à Paris, ensuite pour une tournée qui l’a amenée au théâtre du Mail à Soissons.

Le texte relate l’attente fébrile d’une femme dont le mari a été déporté dans un camp de concentration allemand en 1944, et son retour. La situation reflète celle de l’auteure elle-même, face à la déportation de son mari Robert Anthelme, et le texte de la nouvelle est adapté d’un journal intime qu’elle aurait gardé pendant cette période d’attente.

La femme sur scène subit l’attente insoutenable, dans une impuissance qui n’est pas exceptionnelle mais celle « de tous les temps, celle des femmes de tous les temps, de tous les lieux du monde : celle des hommes au retour de la guerre  »

Etant donné la matière du texte, le public pouvait s’attendre à une performance, dans le sens d’un déploiement de sentiments extrêmes, des crises d’angoisse, des larmes ; un corps à l’agonie, des émotions qui débordent.

Dominique Blanc choisit une autre approche, qui est un défi aux conventions du théâtre. C’est celle de la transparence. Comédienne, elle transmet ce qui se passe, mais sans jamais forcer le trait. La douleur passe par son corps et sa voix sans jamais devenir paroxysme : ils servent de messagers entre le plateau et la salle, sans rien ajouter. C’est au spectateur, pourrait-on dire, de faire ce qu’il veut, ou peut, de ce qu’il voit et entend.

L’aspect physique de la comédienne contribue à cette transmission, son corps en retrait, son regard légèrement tombant, son grand front comme un écran blanc. Dominique Blanc établit une sorte de vide que chaque spectateur remplit par son accueil de ce qu’elle dit et fait.

Pour ceux dans la salle qui ne la connaissaient que par le cinéma, la rencontre en chair et en os a pu confirmer que c’est une artiste dont la force est d’autant plus étonnante qu’elle ne la met pas en avant. Tout est réserve, tout est transparence. Dans La douleur, au lieu de faire voir sa douleur, elle la laisse voir.


Un commentaire ? denis.mahaffey@levase.fr

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La sociologie des banlieues au théâtre

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L'art du théâtre appliqué

Sortis à peine de Les Coquettes (titre laconique et même coquet pour trois humoristes débordant d’énergie et d’à propos sur les sujets qui préoccupent et fâchent les femmes), les spectateurs du Mail – certes peut-être pas les mêmes, et en moins grand nombre – ont pris place dans la même grande salle pour un spectacle de la compagnie Légendes Urbaines : Et c’est un sentiment qu’il faut déjà que nous combattions je crois. Comme, Ce que je reproche le plus résolument à l’architecture française, c’est son manque de tendresse, venue à Soissons en 2021 (*), le titre est tout un programme, un brin provocateur, une façon d’éviter de coller une étiquette rapide sur le sujet abordé.

Le sujet, une constante pour la compagnie, est l’environnement urbain, celui des « quartiers », des « banlieues » populaires. Il s’agit de repérer, derrière les représentations courantes de ces milieux, la vie de ceux qui y trouvent ou ne trouvent pas leur épanouissement, et les raisons matérielles – la conception des grands ensembles – des ratés sociaux.

Le point de départ de la nouvelle pièce est un reportage sensationnel diffusé à la télévision, montrant entre autres l’absence générale de femmes dans certains quartiers, dans les rues et de façon encore plus flagrante dans les cafés. La pièce examine l’origine du reportage, son degré de vérité ou de manipulation, et démonte les mythes autour de tels quartiers portés par les média.

Une question purement théâtrale se pose aussitôt : comment rendre « dramatique » un tel thème, éviter une étude sociologique qui n’accrochera pas le public dans la salle ?

David Farjon est David Pujadas.

La réponse est aussi théâtrale : utiliser tous les ressorts dramatiques pour illustrer les propos. Les six  acteurs maîtrisent parfaitement un style naturaliste pour changer de rôles, multiplier les personnages. Ils font des numéros époustouflants, tel le rappeur qui se raconte, ou David Farjon, fondateur de Légendes Urbaines, en parfait interprète du présentateur David Pujadas, dans les coulisses de son émission.

Il y a des mises en abyme, comme quand les journalistes, assis autour d’une table pour discuter, apparaissent en même temps sur un grand écran.

L’imagination est illimitée : pour revenir dans le montage de la discussion filmée, les comédiens se lèvent et font marche arrière en accéléré jusqu’au point à éditer.

Ainsi, même un spectateur peu concerné par le sujet de l’environnement urbain est attiré en impliqué par les astuces du théâtre. A nouveau, Légendes Urbaines met en scène une étude sociologique en la rendant fascinante et inattendue. Un acteur « interprète » un texte ; Et c’est un sentiment qu’il faut que nous combattions je crois interprète la vie des quartiers qu’il met en scène.


(*) Jouée dans la petite salle du Mail, qui a l’avantage de la proximité entre acteurs et spectateurs, et le désavantage d’imposer à presque tout le monde de voir seule une partie de la scène entre les deux têtes devant.

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Les Coquettes : trois sommets d’un triangle

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L'art de l'humour au féminin

Marie Facundo interpelle Lola Cès, devant Mélodie Molinaro.

Dans quelques jours le public du Mail se repenchera sur les problèmes de l’urbanisme dans Et c’est un sentiment qu’il fait déjà que nous combattions je crois, de la compagnie Légendes urbaines, déjà venue au Mail en 2018, et qui poursuivra, avec la même intelligence et verve, son exploration de la vraie vie des quartiers populaires.

Les Coquettes, le spectacle qui l’a précédé, adopte une autre forme théâtrale pour aborder des sujets aussi fondamentaux, mais en déployant d’autres moyens, ceux de l’humour, de la dérision, de la provocation et de la musique. Mais au fond, derrière le sérieux de l’un, et la crânerie de l’autre, le regard des deux spectacles est aussi tendre, aussi empreint d’humanité.

La salle était pleine jusqu’au dernier fauteuil pour Marie Facundo, Mélodie Molinaro et Lola Cès (« la brune hargneuse, la blonde idiote et la ronde rigolote »), confirmation du succès de leur précédent spectacle à Soissons en 2018, dans une configuration un peu différente. Des spectateurs en parlaient encore.

Les trois humoristes jouent et chantent sur des sujets qui comptent pour les femmes, avec une énergie physique et vocale qui tient la salle en éveil. Le déroulement est calibré dans le dernier détail, mais elles savent aussi improviser leurs réactions aux spectateurs, qu’elles interpellent sans l’agressivité de bien des comiques hommes. Personne n’est dévalorisé.

La grande réussite du spectacle est son rythme finement modulé, ses changements constants de ton – Lola, seule en scène, chante même un air triste et désabusé. Une courbe est décrite du début à la fin, le point culminant étant une réflexion (le mot est bien plat par rapport à l’explosion sur scène) sur le fonctionnement du… clitoris, avec un grand panneau explicatif brandi par leur pianiste, Thomas Cassin, et une danse par six marionnettes lumineuses sur le même modèle, manipulées par Lola, Mélodie et Marie.

L’énergie est comme un grand souffle qui se communique à la salle dans une grande jouissance comique partagée. Cependant, au lieu d’être la fin du spectacle, laissant le public dans un état de surexcitation, la courbe marque ensuite un adoucissement, un ralentissement, une descente en douceur, sans perdre le souffle généré.

Elles ont expliqué le titre du spectacle : Merci Francis. Il y a quelques années « ça n’allait pas du tout, pas du tout » entre elles. Francis, un ami dans le monde du spectacle – « tout le monde le connaît » selon elles, sans qu’elles le nomment (quelques efforts sur Internet suffisent pour l’identifier), vient les voir après une représentation, leur dit tout le bien qu’il pense d’elles, et précise « Vous formez un triangle, et dans un triangle il y a trois sommets. » Cela a suffi pour les ressouder et relancer le moteur. Ce serait donc grâce à Francis que Lola, Marie et Mélodie se sont retrouvées au Mail, devant une salle debout qui applaudit leur humour et leur énergie, mais aussi, au fond, leur tendresse.

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