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Théâtre

Une semaine explosive de théâtre

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L'art du théâtre pour jeune public

Depuis six ans la « Semaine de la création théâtrale » génère une explosion d’énergie dans les trois salles du Mail, celle des compagnies professionnelles soissonnaises qui y jouent, mais aussi celle des publics surtout scolaires qui viennent voir leurs spectacles, d’autant plus réactifs qu’ils sont jeunes.

Cette année, sous un nouveau nom, « Mail et Compagnies », sept troupes ont présenté neuf spectacles. L’âge des spectateurs allait de la Moyenne section de la Maternelle aux lycéens. Les quelques adultes se faisaient petits, d’autant plus facilement qu’ils étaient assis à la hauteur d’un coussin dans la petite salle du bas.

Quatre nouveaux spectacles ont été joués pour la première fois. Cela dépend de la programmation et du budget de chaque compagnie. Pour Mario Gonzalez, metteur en scène de Pass’à l’acte, « Ca donne une structure à notre année : c’est la Semaine, on crée un spectacle. » Cette année, il a dirigé « La Fontaine à fables », adaptation pour marionnettes de plusieurs fables. D’adorables petites créatures, renard, tortue, fourmis et cigale émergent par des ouvertures dans un grand panneau couvert de 1 800 fleurs de dentelle blanche. Les enfants dans la salle ont adoré, et l’ont montré.

L’autre spectacle de cette compagnie, « Les jalousies du Barbouillé » de Molière, avait été présenté dans la « Semaine » de 2011. Il garde tous les excès de la Commedia dell’arte, des acteurs masqués descendant dans la salle, cassant l’écran entre scène et public.

Musithéa a présenté une création, « Patati et Patata », une fantaisie opposant Patati la sage, maniaque même (jouée par Frédérique Bassez, terrifiante sorcière malgré elle en 2013) à Patata, virevoltant énergumène qui ne rêve que de la déranger. Un violon magique s’en mêle.

La compagnie Les Muses s’y collent, arrivée dans la « Semaine » en 2015, a créé « Tangram ». Karine Tassan et Rémi Gadret, dans un décor de cartons vides, utilisent le jeu de ce nom, un carré formé de sept formes géométriques redisposées pour devenir des animaux, des personnages. Lorsque deux cartons se sont articulées pour découvrir une bouche dentée, plusieurs spectateurs se sont réfugies en pleurant sur les genoux de leurs maîtresses.

Dans « Bananes et brocolis » de la compagnie Acaly, l’inénarrable Cécile Migout en conférencière chapeautée en fait des tonnes pour apprendre aux élèves (de l’école d’Acy ce jour-là) le « bien manger », mais surtout pour donner une leçon de théâtre. Elle essaie de calmer l’excitation qu’elle a suscitée, sans succès car les enfants voient bien qu’il ne s’agit pas d’une « vraie » maîtresse, mais d’un personnage. Le spectacle finit par une distribution de salade de fruits, préparée sur scène par des volontaires devenus acteurs eux-mêmes. Le second spectacle d’Acaly était « Aladin ».

Une nouvelle arrivée, le Théâtre du Milempart, a présenté « Contes et des contes » un petit miracle d’humour chorégraphié mis en scène par Didier Viéville. Mélanie Izydorcsak et Laurent Colin interprètent des fabliaux du Moyen Age, habilléavec une impressionnante coordination de mouvements et gestes, dans une scénographie minimaliste. « Si je ne peux pas jouer » explique Mélanie « personne ne peut me remplacer. » Nous avons vu la version scolaire, délestée de quelques contes… plus lestes.

La compagnie Arts et nuits blanches a rejoint les compagnies cette année, avec une création, « Eléonore et l’ancêtre ». Une jeune fille en révolte se réfugie dans son grenier et y trouve un étrange soldat qui ne connaît rien au monde moderne : « Une ardoise ? » demande-t-il en voyant sa première tablette. C’est l’arrière-grand-père d’Eléonore, revenu à la vie on ne saura pas comment. Après une période d’incompréhension mutuelle, presque d’animosité, leurs retrouvailles s’approfondissent dans l’évocation de l’horreur de la guerre. L’auteur, Gérard Blaud, qui admet avoir pris modèle sur sa propre petite-fille, voit cette pièce comme le premier chapitre d’une trilogie.

« Carnets de guerre » de la compagnie des Nomades, pièce écrite par Jean-Louis Wacquiez à partir de textes rassemblés par Anne-Marie Natanson à la Bibliothèque de Soissons, est un cri de rage contre la guerre, les guerres, à commencer par 14-18. La vie au front de deux soldats joués par Jean-Louis Wacquiez et Jean-Bernard Philippot est chorégraphiée par une étrange narratrice en noir, neutre, bien- ou malveillante selon la situation.

Après chaque spectacle, les jeunes spectateurs ont posé des questions aux acteurs, sortis de leur rôle pour expliquer ce qu’ils venaient de jouer. Ainsi la « Semaine » a initié ou habitué ses jeunes spectateurs au mystère du théâtre, cette cérémonie qui a lieu devant eux, sans écran interposé. La relation est humaine, non pas médiatique.

denis.mahaffey@levase.fr

[Modifié le 18/02/16 pour corriger plusieurs coquilles.]

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La douleur de Dominique Blanc

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L'art de jouer

Une femme, l’air abandonnée par elle-même, est assise à une table. Elle parle. « Face à la cheminée, le téléphone, il est à côté de moi. À droite, la porte du salon et le couloir. Au fond du couloir, la porte d’entrée. Il pourrait revenir directement, il sonnerait à la porte d’entrée : “Qui est là — C’est moi”. »

A travers La Douleur, la comédienne Dominique Blanc vit depuis plus de dix ans avec la douleur en tant que comédienne. En 2010, elle a d’abord fait une lecture du texte de Marguerite Duras, puis l’a joué dans un spectacle mis en scène par Patrice Chéreau. C’est dans cette même mise en scène, revue par Thierry Thieû Niang, qu’elle a repris le rôle, d’abord à Paris, ensuite pour une tournée qui l’a amenée au théâtre du Mail à Soissons.

Le texte relate l’attente fébrile d’une femme dont le mari a été déporté dans un camp de concentration allemand en 1944, et son retour. La situation reflète celle de l’auteure elle-même, face à la déportation de son mari Robert Anthelme, et le texte de la nouvelle est adapté d’un journal intime qu’elle aurait gardé pendant cette période d’attente.

La femme sur scène subit l’attente insoutenable, dans une impuissance qui n’est pas exceptionnelle mais celle « de tous les temps, celle des femmes de tous les temps, de tous les lieux du monde : celle des hommes au retour de la guerre  »

Etant donné la matière du texte, le public pouvait s’attendre à une performance, dans le sens d’un déploiement de sentiments extrêmes, des crises d’angoisse, des larmes ; un corps à l’agonie, des émotions qui débordent.

Dominique Blanc choisit une autre approche, qui est un défi aux conventions du théâtre. C’est celle de la transparence. Comédienne, elle transmet ce qui se passe, mais sans jamais forcer le trait. La douleur passe par son corps et sa voix sans jamais devenir paroxysme : ils servent de messagers entre le plateau et la salle, sans rien ajouter. C’est au spectateur, pourrait-on dire, de faire ce qu’il veut, ou peut, de ce qu’il voit et entend.

L’aspect physique de la comédienne contribue à cette transmission, son corps en retrait, son regard légèrement tombant, son grand front comme un écran blanc. Dominique Blanc établit une sorte de vide que chaque spectateur remplit par son accueil de ce qu’elle dit et fait.

Pour ceux dans la salle qui ne la connaissaient que par le cinéma, la rencontre en chair et en os a pu confirmer que c’est une artiste dont la force est d’autant plus étonnante qu’elle ne la met pas en avant. Tout est réserve, tout est transparence. Dans La douleur, au lieu de faire voir sa douleur, elle la laisse voir.


Un commentaire ? denis.mahaffey@levase.fr

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La sociologie des banlieues au théâtre

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L'art du théâtre appliqué

Sortis à peine de Les Coquettes (titre laconique et même coquet pour trois humoristes débordant d’énergie et d’à propos sur les sujets qui préoccupent et fâchent les femmes), les spectateurs du Mail – certes peut-être pas les mêmes, et en moins grand nombre – ont pris place dans la même grande salle pour un spectacle de la compagnie Légendes Urbaines : Et c’est un sentiment qu’il faut déjà que nous combattions je crois. Comme, Ce que je reproche le plus résolument à l’architecture française, c’est son manque de tendresse, venue à Soissons en 2021 (*), le titre est tout un programme, un brin provocateur, une façon d’éviter de coller une étiquette rapide sur le sujet abordé.

Le sujet, une constante pour la compagnie, est l’environnement urbain, celui des « quartiers », des « banlieues » populaires. Il s’agit de repérer, derrière les représentations courantes de ces milieux, la vie de ceux qui y trouvent ou ne trouvent pas leur épanouissement, et les raisons matérielles – la conception des grands ensembles – des ratés sociaux.

Le point de départ de la nouvelle pièce est un reportage sensationnel diffusé à la télévision, montrant entre autres l’absence générale de femmes dans certains quartiers, dans les rues et de façon encore plus flagrante dans les cafés. La pièce examine l’origine du reportage, son degré de vérité ou de manipulation, et démonte les mythes autour de tels quartiers portés par les média.

Une question purement théâtrale se pose aussitôt : comment rendre « dramatique » un tel thème, éviter une étude sociologique qui n’accrochera pas le public dans la salle ?

David Farjon est David Pujadas.

La réponse est aussi théâtrale : utiliser tous les ressorts dramatiques pour illustrer les propos. Les six  acteurs maîtrisent parfaitement un style naturaliste pour changer de rôles, multiplier les personnages. Ils font des numéros époustouflants, tel le rappeur qui se raconte, ou David Farjon, fondateur de Légendes Urbaines, en parfait interprète du présentateur David Pujadas, dans les coulisses de son émission.

Il y a des mises en abyme, comme quand les journalistes, assis autour d’une table pour discuter, apparaissent en même temps sur un grand écran.

L’imagination est illimitée : pour revenir dans le montage de la discussion filmée, les comédiens se lèvent et font marche arrière en accéléré jusqu’au point à éditer.

Ainsi, même un spectateur peu concerné par le sujet de l’environnement urbain est attiré en impliqué par les astuces du théâtre. A nouveau, Légendes Urbaines met en scène une étude sociologique en la rendant fascinante et inattendue. Un acteur « interprète » un texte ; Et c’est un sentiment qu’il faut que nous combattions je crois interprète la vie des quartiers qu’il met en scène.


(*) Jouée dans la petite salle du Mail, qui a l’avantage de la proximité entre acteurs et spectateurs, et le désavantage d’imposer à presque tout le monde de voir seule une partie de la scène entre les deux têtes devant.

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Les Coquettes : trois sommets d’un triangle

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L'art de l'humour au féminin

Marie Facundo interpelle Lola Cès, devant Mélodie Molinaro.

Dans quelques jours le public du Mail se repenchera sur les problèmes de l’urbanisme dans Et c’est un sentiment qu’il fait déjà que nous combattions je crois, de la compagnie Légendes urbaines, déjà venue au Mail en 2018, et qui poursuivra, avec la même intelligence et verve, son exploration de la vraie vie des quartiers populaires.

Les Coquettes, le spectacle qui l’a précédé, adopte une autre forme théâtrale pour aborder des sujets aussi fondamentaux, mais en déployant d’autres moyens, ceux de l’humour, de la dérision, de la provocation et de la musique. Mais au fond, derrière le sérieux de l’un, et la crânerie de l’autre, le regard des deux spectacles est aussi tendre, aussi empreint d’humanité.

La salle était pleine jusqu’au dernier fauteuil pour Marie Facundo, Mélodie Molinaro et Lola Cès (« la brune hargneuse, la blonde idiote et la ronde rigolote »), confirmation du succès de leur précédent spectacle à Soissons en 2018, dans une configuration un peu différente. Des spectateurs en parlaient encore.

Les trois humoristes jouent et chantent sur des sujets qui comptent pour les femmes, avec une énergie physique et vocale qui tient la salle en éveil. Le déroulement est calibré dans le dernier détail, mais elles savent aussi improviser leurs réactions aux spectateurs, qu’elles interpellent sans l’agressivité de bien des comiques hommes. Personne n’est dévalorisé.

La grande réussite du spectacle est son rythme finement modulé, ses changements constants de ton – Lola, seule en scène, chante même un air triste et désabusé. Une courbe est décrite du début à la fin, le point culminant étant une réflexion (le mot est bien plat par rapport à l’explosion sur scène) sur le fonctionnement du… clitoris, avec un grand panneau explicatif brandi par leur pianiste, Thomas Cassin, et une danse par six marionnettes lumineuses sur le même modèle, manipulées par Lola, Mélodie et Marie.

L’énergie est comme un grand souffle qui se communique à la salle dans une grande jouissance comique partagée. Cependant, au lieu d’être la fin du spectacle, laissant le public dans un état de surexcitation, la courbe marque ensuite un adoucissement, un ralentissement, une descente en douceur, sans perdre le souffle généré.

Elles ont expliqué le titre du spectacle : Merci Francis. Il y a quelques années « ça n’allait pas du tout, pas du tout » entre elles. Francis, un ami dans le monde du spectacle – « tout le monde le connaît » selon elles, sans qu’elles le nomment (quelques efforts sur Internet suffisent pour l’identifier), vient les voir après une représentation, leur dit tout le bien qu’il pense d’elles, et précise « Vous formez un triangle, et dans un triangle il y a trois sommets. » Cela a suffi pour les ressouder et relancer le moteur. Ce serait donc grâce à Francis que Lola, Marie et Mélodie se sont retrouvées au Mail, devant une salle debout qui applaudit leur humour et leur énergie, mais aussi, au fond, leur tendresse.

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