Les chiffres sont impressionnants pour le projet de théâtre qui vient d’aboutir au Mail Scène Culturelle de Soissons : 7 mois depuis son début avec 15 jours de résidence d’écriture d’un dramaturge dans 4 écoles et collèges de Soissons et Tergnier, où 100 élèves contribuaient à l’élaboration d’un texte théâtral, mis en forme ensuite par le dramaturge ; 6 ateliers de répétition de cette pièce, animés par 6 acteurs professionnels pour 85 collégiens et lycéens du Département appartenant à 8 établissements, qui ont ensuite joué la pièce devant 500 spectateurs, dont les 100 élèves auteurs. Le cadre a été la 17e édition des Journées Scolaires Départementales du Théâtre Contemporain de l’Aisne. Le projet, organisé par les services départementaux de l’Education nationale, a été coordonné, comme depuis toujours, par Philippe Chatton.
Mais ces chiffres pâlissent devant un autre : entre le début des ateliers et la première sur la scène du Mail ne se sont passés que 3 jours, dont une dernière ½-journée pour assembler les fragments, intense au point qu’entre la fin de cette « générale » et la première les jeunes acteurs n’ont eu le temps que d’avaler un sandwich.
La pièce, qui s’intitule Le garçon invisible, a été écrite par Luc Tartar, auteur connu du théâtre pour la jeunesse (plusieurs de ses pièces ont été jouées au Mail ces dernières années), et publiée par la maison d’édition belge Lansman Editeur.
Les ateliers ont été menés par Anne de Rocquigny, Jean-Pierre Bélissent, Louis-Marie Audubert, Nathalie Yanoz et France Hervé, comédiens de la compagnie de l’Arcade en résidence au Mail. Vincent Dussart, directeur artistique de l’Arcade, a fait la mise en scène et géré la dernière après-midi d’ajustements.
La pièce s’inscrit dans une thématique plus large, Le regard de l’autre. De tels sujets sont une longue préoccupation de l’Arcade : le sens de l’identité, la relation avec les autres, le besoin d’un autre et, peut-être le plus épineux, la honte de soi-même devant l’autre.
Dans Le garçon invisible, les passants ne veulent plus voir un enfant sans domicile fixe, expulsé de son logement avec sa famille. Une camarade, fille des propriétaires, tente d’attirer l’attention sur sa détresse, et de réconcilier les deux familles. Deviendra-t-il visible ? Plus précisément, son existence sera-t-elle reconnue, ou même seulement admise ?
A l’avenir, cette histoire sera probablement jouée par quelques comédiens, chacun y jouant un des rôles. Vincent Dussart n’avait pas ce choix. Cependant, toute la force du spectacle vient de la démarche collective et chorale, dans laquelle les 85 stagiaires partagent les rôles, un individu émergeant ici et là pour prononcer une phrase. Les effets sont renforcés.
Le début est éloquent à cet égard. Les acteurs entrent individuellement des deux côtés jusqu’à remplir la scène, en avançant rapidement, se croisant, se retournant, dans une chorégraphie de marche évocatrice de la société contemporaine : les gens n’arrêtent pas de se déplacer sans définir un but, se croisent trop vite pour se rencontrer.
Cette puissance est maintenue jusqu’à la fin. Les mouvements d’ensemble font penser à ceux de West Side Story, coordonnés parfois jusqu’à devenir menaçants.
Individuellement, les participants ont appris à se montrer, à se laisser voir tels qu’ils sont, assumant leur rôle sans se cacher derrière le personnage. Pour présenter cette histoire dérangeante d’invisibilité sociale, chacun est parfaitement visible sur scène.
denis.mahaffey@levase.fr