Les révolutionnaires s’entendent.
Le Théâtre Populaire Nantais, qui vient de se lancer dans l’aventure d’un nouveau théâtre dans un ancien garage Renault de la ville, est venu au théâtre du Mail avec sa production de Les Justes d’Albert Camus, mise en scène par Régis Florès, qui y joue aussi. Ecrite en 1949, la pièce, fondée sur des faits historiques, traite d’un attentat contre un grand-duc oncle du tsar par un groupe de révolutionnaires en 1905. Jusqu’où peuvent-ils, et veulent-ils aller dans la violence, sans compromettre leurs idéaux sociaux ?
Il s’agit pourtant moins de s’engager dans un débat d’idées, une réflexion philosophique, que de scruter les idées et émotions du groupe, dont deux membres, Dora et Kaliayev, s’aiment, introduisant un autre dilemme. Ces justes cherchent moins la justice que d’être, précisément, justes.
Les acteurs incarnent bien chacun son rôle et maîtrisent le texte très écrit. La scénographie est minimaliste et éloquente : quatre grilles verticales amovibles encadrent l’action, deviennent les fenêtres à barreaux à travers lesquels les révolutionnaires guettent le passage de la calèche archiducale, puis sont rapprochées pour former la cellule dans laquelle Kaliayev est emprisonné.
Le Théâtre Populaire Nantais a choisi son nom parce qu’il veut être ouvert à un public populaire, celui qui n’a pas l’habitude de fréquenter les salles de théâtre.
La difficulté est que derrière ses envolées le texte de Camus reste bien intellectuel. Ce serait donc à la mise en scène de traverser le pont entre ce texte et un public qui n’a pas l’habitude de suivre patiemment ses arguments. Or la pièce est mise en scène avec précision mais sagement. L’intrigue ne prend pas feu, n’embrase pas la salle. Un critique qui suit assidûment son déroulement de l’intrigue peut facilement laisser s’égarer son attention, et imaginer une production qui, comme celles du Théâtre du Soleil, prend deux ou trois ans pour créer, non pas une pièce, mais un monde dans laquelle cette pièce est placée. Ce serait celui de la fin de l’empire russe qui s’approche, ses couleurs, sa société, ses peurs et espoirs. Le texte, traité sans naturalisme, voire déclamé, s’élèverait au milieu de cette civilisation menacée et condamnée.
denis.mahaffey@levase.fr