Le printemps c’est aussi le Printemps des Poètes, et sa Brigade d’Intervention Poétique (BIP) est revenue à Soissons pour faire des incursions dans les classes des écoles choisies pour l’opération. Le nom donné à l’équipe intervenante indique qu’il ne s’agira pas d’une lecture sage et convenue de poésies éthérées sur des sujets « poétiques ». Les brigades entendent plutôt bousculer la routine scolaire en faisant de la poésie un élément de rupture. Elles surprennent, elles font rire, elles interpellent. La poésie est présentée comme une porte d’entrée dans un monde où la logique compte moins que l’éclat des images. Un poème n’est pas réglé comme du papier à musique, et il rappelle que la vie ne l’est pas non plus – la vie est plutôt la musique elle-même.
Le thème donné à l’opération cette année est « L’ardeur ». Aux brigades individuelles de le décliner. Trois comédiennes de la compagnie de l’Arcade en résidence au Mail, Anne de Rocquigny, Virginie Deville et Sophie Torresi, avaient préparé leurs interventions en s’appuyant sur trois aspects du sujet. Pour les trois visites dans chaque classe elles ont cherché des poèmes pour un programme sur l’ardeur en tant que chaleur (soleil, lumière, feu, vie…), un autre sur l’ardeur en amour, et un troisième sur l’ardeur d’engagement, la ferveur.
Virginie Deville appelle à résister, Anne de Rocquigny à braver.
En partageant le travail, elles sont chaque fois deux à aller trois fois dans 38 classes de trois écoles, celles du Centre, Galiléé et Jean-Moulin. Le premier jour elles entrent soudain, au milieu d’un cours, à l’étonnement des élèves, se mettent à dire des extraits de poèmes. Elles se déplacent, s’adressent directement aux enfants, les yeux dans les yeux ; aussi soudainement, elles repartent. Le deuxième jour elles répètent l’opération, en passant cette fois au deuxième aspect du thème, et en repartant aussi brusquement.
C’est le troisième jour, à Jean-Moulin. Anne et Virginie, chacune avec un petit foulard en serre-tête, font d’abord voir, à travers les vitres du couloir, leurs pancartes portant les mots « Résister », « Persister », « Braver ». Nous sommes au troisième stade du thème.
Elles ouvrent la porte et entrent (suivies par un représentant de la presse, ce qui explique que le récit puisse en être fait ici). Elles interpellent joyeusement les élèves, qui réagissent déjà en habitués du processus, bouillonnants mais attentifs. Cette fois ils doivent prendre un mot dans un panier, en grimpant chacun sur sa chaise pour le déclamer à haute voix.
Anne et Virginie sont comédiennes, et elles font du théâtre. Les gestes, les sourires, les froncements de sourcils, les regards étonnés ou complices rendent intelligibles des vers qui auraient pu rester étrangers, car ce ne sont pas du tout des poèmes pour enfants. Les élèves sont admis dans la cour des grands, poètes et écrivains comme Hugo, René Char, Jean-Pierre Siméon, Jean Malrieu et Peter Bakowski. Celui-ci écrit des poèmes qui n’ont rien d’éthéré. L’un deux, dit par Anne de Rocquigny comme une proclamation, commence :
Moi, j’aime
ecrire des poèmes,
faire claquer mon fouet de Monsieur Loyal
pour faire grimper les mots
tout en haut du trapèze volant.
Dans le théâtral et le rire, les élèves touchent à l’apprentissage d’un autre monde de langage que celui du quotidien scolaire. C’est la poésie qui leur fait signe, les invite à suivre sans chercher à tout saisir.
Les élèves ne perdent pas une syllabe. Puis, soudain, les récitantes ouvrent la porte et disparaissent. Les élèves ne savent pas qu’elles ne reviendront plus.
Décidément, la poésie ne fait rien comme tout le monde.
denis.mahaffey@levase.fr