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Théâtre

VO jour le jour 2018

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L'art du festival

Un spectacle a lieu en temps réel ; la réflexion qui permet d’en rendre compte se mesure en temps écrit, notion difficile à préciser. Le navire de VO en Soissonnais 2018 a disparu du quai et même de l’horizon, cette chronique à terre revient encore sur ses qualités. Voici les dernières critiques.
Le choix des spectacles a été heureux : jamais une production vite faite, routinière, suivant une recette trop connue. Les voir l’un après l’autre a été remuant, excitant, émouvant, hilarant. Le théâtre des petites formes est vigoureux, et la longue expérience des prospecteurs VO les aide à savoir où il faut creuser pour trouver de l’or.
Les salles n’ont pas toujours été pleines et les sièges vides laissent la place à un petit vent froid. Espérons que nous pourrons encore nous réchauffer ensemble l’année prochaine.

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Bruxelles / Brüssel

La qualité qui a fait de Poupette in Bruxelles un choix retentissant pour clore VO en Soissonnais 2018 est sa transparence. Dans ce « spectacle de marionnettes, musical et vidéo », comme il est défini dans le programme, tous les moyens, de la manipulation de marionnettes à la musique, des séquences vidéo aux ombres chinoises, du déplacement d’éléments de la scénographie aux effets spéciaux artisanaux, sont déployés et employés en pleine vue des spectateurs. Rien n’est caché : les marionnettistes restent visibles, une vidéo d’un bus se précipitant dans les rues de Bruxelles vient d’une série de maquettes montées sur une bande en boucle actionnée par une grande poignée d’essoreuse sur scène.

Loin de réduire l’impact, cette transparence l’intensifie, en attirant l’attention sur la coordination minutieuse des acteurs. Ils sont toujours là où il le faut, dans une chorégraphie complexe. La coordination de chaque mouvement, chaque geste donne du brillant à l’histoire.

Poupette in Bruxelles est adaptée du roman Deesje de l’auteure néerlandaise Joke van Leeuwen, mais l’action est transposée à la ville de la diversité culturelle et linguistique qu’est Bruxelles. Un père envoie sa jeune fille seule dans un train à la ville pour rester chez sa mère, dont le nouveau compagnon la cherchera à la gare. Mais ce néerlandophone comprend mal les consignes en français du père au téléphone. La fillette se trouve toute seule dans la grande ville, où elle a beaucoup d’aventures et fait face à beaucoup de dangers avant d’être retrouvée par son beau-père.

Ils sont deux Flamands et trois Wallons – twee Vlamingen en drie Walen – sur le plateau. Ces Belges se sont identifiés eux-mêmes en tant que francophones ou néerlandophones dans la « rue » de la CMD après le spectacle. Cela a du sens pour un pays aussi divisé par la langue et la culture que la Belgique : deux compagnies, Froe Froe de la région flamande et Théâtre des 4 mains de la région wallonne, se sont associées pour cette production, dont l’action est située dans la troisième région, Bruxelles-Capitale bilingue.

Le résultat est clair : quand deux cultures se rencontrent ainsi dans la créativité, au lieu de donner lieu à une stérile lutte pour prédominer elles se nourrissent, se fécondent. L’imagination, l’adresse et l’humour entrent en ligne de compte, et les gens peuvent rire des autres, d’eux-mêmes et tous ensemble.

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Les derniers rites

Une vieille femme au dos voûté, le visage déformé par l’âge, s’affaire dans son logement obscur, à peine éclairé par de petites lampes de table qu’elle n’arrête pas de mettre et d’éteindre. En silence, elle répare ses lunettes avec un morceau de bande de masquage.

Elle se lève, regarde de près le public du Petit Bouffon, retourne à ses occupations. Ce regard soutenu n’est pas curieux, ne cherche pas le contact ; c’est plus une dernière prise de conscience de son appartenance à l’humanité. La vieille dame se prépare à partir.

C’est le début de Go !, écrit, mis en scène et joué en « marionnette habitée » par Polina Borisova, marionnettiste d’origine et de formation russe.

La vieille prendra son départ devant ceux qui la regardent. Elle n’est pas triste, exécute même de petits pas de danse de temps en temps, guillerette, apparemment soulagée de s’approcher de la fin. Elle ne dit pas un mot.

Avec d’infinies précautions elle verse des granulés dans le bol du chat resté invisible. Elle amène une boîte et en sort des papiers, une lettre, une médaille. La musique de fond laisse entendre qu’il s’agirait d’articles datant de l’époque soviétique. Qu’en fera-t-elle ?

C’est là que le spectacle cesse d’être une étude naturaliste de la vieillesse et la fin de vie, et prend son envol théâtral et imaginatif. La réparation des lunettes du début en était un signe avant-coureur.

La vieille dame prend son rouleau de bande de masquage, en colle un bout en courbe sur le rideau de fond de scène, puis deux longueurs droites. Petit à petit il émerge la forme d’un poêle, avec une petite porte. Elle prend ses souvenirs, les entoure de bande pour faire un paquet, l’approche de la porte de poêle et le colle en place. Elle ajoute un tuyau et de la fumée qui en échappe. Elle a brûlé les objets et papiers.

Elle revient ainsi sur sa vie, ses souvenirs, l’homme qu’elle a aimé. Chaque épisode est illustré par des images sur le rideau. L’effet est éloquent : qu’une bande adhésive puisse être si éloquente est un vrai coup de théâtre.

Le vieille dame dessine une porte, avec trois longueurs de bande. Elle vide la boîte de granulés, qui débordent du bol, tombent par terre. C’est son dernier geste. Elle va à la porte, ajoute deux morceaux de bande pour en faire une porte entrouverte, et fait un pas. La scène est plongée dans l’obscurité. Elle est partie, littéralement et selon l’euphémisme utilisé pour parler de la mort.

L’éclairage revient, et voilà, son masque enlevé et son corps redressé, une jeune femme rayonnante. Elle propose de répondre aux questions. Les spectateurs n’en posent aucune, comme pour ne pas interrompre l’expérience qu’ils ont vécue.

Interrogée le lendemain tard sur le titre, Polina Borisova précise c’est simplement le mot anglais, qu’elle interprète comme « On y va ! » « Vas-y » ou « Départ ! ». Elle explique : « J’aime l’idée que ce que l’on croit la fin d’un voyage, le long voyage qui est la vie, n’est qu’un départ, une libération en quelque sorte. »

Polina Borisova a crée un spectacle d’une grande profondeur sur la fin de vie, avec une époustouflante économie de moyens. Avec sa bande de masquage elle fait rire et émeut.

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Curriculum vitae

Les cinéphiles dans la salle Prestige de Cuffies qui connaissaient déjà Riton Liebman pour avoir vu son jeune visage doux entouré de longs cheveux dans Préparez vos mouchoirs de Bertrand Blier ont dû s’ajuster à la vue de l’homme de 54 ans sur scène. Trapu, fort, même un peu trop au ventre (qu’il a exhibé en se changeant), il laisse voir l’usure du temps sur le corps et le visage. Belge et juif, il raconte, dans La vedette du quartier, son aventure enfantine, qui a fait de lui une célébrité dans son quartier de Bruxelles. On le harcelait de questions : « Gérard Depardieu et Patrick Dewaere, comment ils sont ? » ou, vu sa scène avec Carole Laure nue, « Est-ce que tu as… ? »

Un beau début, suivi, il le dit avec franchise, d’une carrière sans autre sommet, des écueils, des écarts, des esclandres, « vingt-cinq ans de psychanalyse à raison de neuf séances par semaine » (il est quand-même humoriste).

Riton se raconte avec un humour parfois féroce, souvent railleur, rejoue les incidents marquants de sa vie, danse, imite le Johnny national français né en Belgique. Soudain, au milieu d’une anecdote sur une sortie au restaurant avec Claudia Cardinale, il s’arrête, découragé, s’adresse aux spectateurs pour demander si cela vaut la peine de continuer. L’abîme sous les pieds du comédien est visible.

En conclusion, il résume en annonçant « Ca va. » Oui, ça va. Il a trouvé un équilibre, à se réconcilier avec lui-même.

Il reste pourtant une chose qu’il n’accepte pas, admet-il pour conclure. Quel comportement honteux ou inacceptable, quelle rancune ou agressivité ? Il s’agit plutôt d’un mauvais coup du destin, que n’adoucit pas le fait d’être largement partagé, surtout parmi les hommes. Il se tourne, et pointe du doigt… le début de calvitie au sommet de la tête. Revenant recevoir les applaudissements, il couvre le trou dans sa chevelure avec une main.

Au début du spectacle il était arrivé si discrètement sur scène qu’on pouvait facilement le prendre pour un technicien venu vérifier un dernier détail d’éclairage. Puis il s’était adressé au public, engageant une conversation presque timide, qui est devenue ce récit d’une vie, dit avec une dose d’autodérision.

« J’ai pleuré » dit un spectateur en sortant sur le parvis.

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De Beckett à Kafka

VO sait trouver des spectacles de cirque/d’acrobates (« arts du mime et du geste » dit le programme VO) dans lesquels les prouesses physiques s’accompagnent d’une réflexion, une évocation de la complexité humaine qui sous-tend le corps. Notamment, il y a eu Quien soy ? en 2015, avec deux acrobates dont l’aîné guidait, encourageait et retenait le plus jeune.

Les boîtes, les acrobates et les papiers

Encore une heure si courte commence comme une pièce de Beckett, trois hommes émergeant de boîtes dans lesquelles ils ont dû être comprimés comme un diable à ressort. L’absurdité est dans l’air.

Le milieu qui les attend les mystifie. Ils cherchent, à l’aide d’un plan, à s’y retrouver. Peu à peu, l’inquiétude et la frustration les envahissent. Ils parlent de temps en temps, mais dans une langue étrange qu’ils ne semblent pas comprendre eux-mêmes. Leurs exploits acrobatiques n’y font rien.

Pour finir, ils vident des boîtes de papiers, alors que des paquets tombent des cintres. Le plateau en est recouvert, comme si le plan qui devait les guider s’était multiplié. Comment trouver le chemin ? Comment reconnaître quelque chose ? Où sont-ils, où vont-ils ? Kafka n’est pas loin.

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Scènes de ménage

Si le théâtre est un projecteur dirigé sur les comportements humains, alors Moi je crois pas ! remplit bien sa fonction. Une série de saynètes examine le dernier stade d’une relation conjugale, en reprenant, chaque fois d’un autre angle, le désaccord fondamental qui divise un couple, tout en rehaussant les paroles et l’action pour éviter un plat naturalisme.

Une soirée à la maison

Cécile Soudé et Jean Boulanger ont mis en scène et jouent les deux rôles de la pièce de Jean-Claude Grumberg. Un couple, marié depuis longtemps – trop, penseraient certains – ne change pas sa routine du soir. Lui rentre du travail, elle l’attend sans l’accueillir ; lui annonce tout de go ce à quoi il ne croit pas, comme l’existence des yetis ou la vie après la mort. Sa femme prend chaque fois le contrepied, soit directement (et les empreintes de pieds géants dans la neige ?) ou indirectement (au contraire, c’est avant la mort qu’il n’y a pas de vie). C’est un rituel : lui s’énerve, s’emporte, s’agite ; elle s’énerve, reste implacable et assise. Quand l’affrontement a duré le temps qu’il leur faut pour arriver à l’impasse, il demande soit ce qu’il y a à la télé, soit ce qu’ils bouffent ce soir.

Jean Boulanger est tout en gesticulations, Cécile Soudé est toute serrée.

L’enfer domestique ? Alors pourquoi ils ne se quittent pas ? Ce couple a trouvé un vocabulaire pour maintenir la relation sans laquelle chacun serait seul. La pièce traite de ce qui suit le déclin de l’amour romantique et de la bienveillance quotidienne qui en fait partie. Il reste l’engagement mutuel. Tout en se battant par argument interposé, ils le respectent. En retour, les querelles les maintiennent en forme. L’apathie est loin.

L’humour sature la pièce, et le public rit, même de bon cœur, devant le combat de catch marital sur scène.

Seul le dénouement est frustrant. Dans la dernière saynète l’homme a perdu la tête, reste immobile, ne peut plus articuler. La pièce aurait pu se conclure en les laissant tous les deux poursuivre fidèlement leurs confrontations.

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La fièvre du samedi soir

                                                                              Photo Véronique Baudoux

Des échos reviennent encore de la folle soirée Zazuza.

« Un très bon groupe. » « Tout le monde participait. » « Moi et ***, alors que cela faisait une éternité que nous n’avions pas dansé ensemble, nous voilà sur la piste. » Le Madison semble avoir particulièrement plu.

La petite salle du Mail, redevenue spectaculairement salle des fêtes, a hébergé tous les guincheurs, spectateurs soudain sur scène. La soirée, une innovation pour VO en Soissonnais, montre son ouverture sur de nouvelles formes de spectacle.

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Un numéro sur le dos

Absent de Welcome à Bienvenue, du chorégraphe Xavier Lot et du danseur Bienvenue Bazié, j’ai demandé à Martine Besset de faire part de sa réaction :

La scène est à peine éclairée par une douzaine de lumignons ; pendant de longues minutes, on ne distingue, sous la lueur de l’un d’eux, qu’un dos : un dos imprimé de lettres et de chiffres blancs, un numéro de visa si l’on en croit le programme. Au rythme lent d’une musique lancinante, les muscles jouent sous la peau brune et les signes blancs. Puis la scène s’éclaire, la musique enfle, et le dos se rassemble avec un corps qui danse.

Bienvenue a un corps d’athlète, la grâce d’un chat, et une technique époustouflante qui n’altère jamais l’émotion.

Je n’ai pas tout compris, et les quelques paroles psalmodiées dans une langue inconnue ne m’ont pas éclairée…Mais c’était très beau !

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Les mains dans la terre

Alice découvre le gâteau en chocolat/gadoue.

Alicia Le Breton a-t-elle fait de longues études de psychologie enfantine avant de concevoir son spectacle La gadoue ? Elle rit. « Plutôt d’histoire. Mais ma mère était institutrice et j’ai beaucoup appris d’elle. Puis j’ai observé. » Elle a déjà fait deux autres spectacles sur les éléments : l’eau et l’air.

Comme j’ai déjà fait lors de spectacles pour petits enfants, je me suis fait accompagner par un spectateur dans la fourchette d’âge concernée. Maya a tout juste deux ans, et c’était sa deuxième sortie au théâtre.

A partir d’un gâteau en faux chocolat, la comédienne entre par petites touches dans le monde de la transgression. Elle en prend sur les doigts, l’étale sur les deux mains, et laisse l’empreinte de ses mains sur toutes les surfaces et même – l’osée ! – sur son tablier.

Tout est subtile dans son jeu. Il s’agit d’accepter les maladresses des enfants qui jouent avec des matières salissantes, mais elle ne fait pas n’importe quoi : ses gestes sont précis, et son application de gadoue est créative, faisant penser aux dessins préhistoriques dans les grottes du Périgord.

La manieuse de gadoue est étonnée et enchantée par ce qui se passe, et maintient toujours un contact souriant avec ses spectateurs. Ses actions sont accompagnées d’une jolie musique et un petit chant sur « la gadoue » où j’ai crû entendre, cachés dans la ritournelle, le mot « caca ». Mais je devrais peut-être me laver les oreilles, comme on faisait se laver la bouche aux enfants proférant de gros mots à l’école.

Les spectateurs mettent les mains dans la terre.

Pour finir elle s’essuie, et se lave les mains, les genoux et les pieds. L’ordre est rétabli après ces dérives boueuses. Ensuite, elle invite l’assistance à venir toucher à la gadoue qui recouvre une partie de la scène. Ils viennent, mais sont très précautionneux : les parents sont derrière.

Ma critique adjointe ? Elle avait eu un moment de flottement, d’incompréhension au tout début, puis a regardé attentivement. Elle a même fait une interjection lorsque la taupe dans la boîte, qui avait déjà envoyé des jets de terre en l’air, a sorti sa tête et une patte. En rentrant à la maison je l’ai sollicitée. Je voulais son exégèse du spectacle… Mais elle était déjà passée à autre chose.

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Mille et un ans c’est long ?

Le texte de Quand j’aurai mille et un ans ayant été retrouvé un extremis (voir Un grand éclat de théâtre pour commencer ci-dessous), la compagnie des Lucioles, venue en voisin de Compiègne et familière du Mail (dernièrement avec Qui rira verra), a pu faire entrer les centaines de jeunes scolaires dans la grande salle du Mail dans le mystère de l’âge, de la durée de vie des humains, voire de l’immortalité.

Le propre de Jérôme Wacquiez, directeur des Lucioles, est de travailler avec un auteur, dans ce cas Nathalie Papin, auteure de Qui rira verra. Elle déclare être entrée dans une nouvelle étape d’écriture. Au lieu de partir de l’imaginaire, elle veut prendre pour base le réel.

Parlant de cette nouvelle pièce elle a écrit : « J’ai demandé à des enfants s’ils aimeraient avoir, à côté d’eux, une personne de leur âge d’une autre époque. Et un enfant m’a dit : « Moi, j’aimerais être à côté d’un enfant du futur… ». Et voila, c’est parti de cette phrase simple. Qu’est-ce que c’est un enfant du futur, comment peut-on se le représenter ? Une jeune femme m’a dit aussi : « De toute façon, l’enfant qui aura mille ans est déjà né… »

La fille entre le garçon qui vivra 1001 ans et la femme qui en a déjà vécu 125.

Cendi, s’échappant d’une guerre un vieux bateau, se sauve du naufrage parce elle sait retenir son souffle pendant vingt-deux minutes – et se trouve dans un étrange couloir sous-marin. Elle qui a onze ans et qui rêve d’atteindre 117 ans y rencontre un garçon qui doit vivre mille et un ans, et une femme déjà âgé de 125 ans. A la fin, elle prend un grand souffle, quitte le sous-marin et nage vers la surface de la mer.

Dans une scénographie de Benoît Szymanski à la fois éloquente et symbolique, faite de cerceaux formant quelque chose comme une station de Métro, avec des images de l’océan et ses extraordinaires créatures projetées au fond, trois comédiens-danseurs portent l’histoire et ses réflexions. Basile Yawanké bondit avec l’énergie qu’il faudra à son personnage pour arriver à son mille-et-unième anniversaire. Makiko Kawai, au visage à la japonaise et dont la longue chevelure blanche (une perruque, peut-on penser) devient presque un quatrième personnage, ne dit pas un mot, mais émet des sons chantés et, comme si elle vivait simultanément les différents âges de ses 125 ans, alterne une vieille femme au dos voûté et à la démarche difficile et une naïade dansante.

Il est notoirement difficile pour un adulte de jouer un enfant, de montrer la franchise énergie et la naïveté sans tomber dans les facilités de l’espièglerie et des gestes saccadés. Alice Benoit (un des inspecteurs de la chasse au livret de la veille) s’en sort honnêtement. Elle a bien observé les comportements enfantins ; ses propres sensations pourraient encore l’enrichir.

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Un grand éclat de théâtre pour commencer

VO en Soissonnais pouvait difficilement démontrer avec plus de certitude son ambition de former le futur public de théâtre qu’avec Valises et versa, production collective de la compagnie des Lucioles. Le premier jour du festival a même été réservé au public écolier, plus précisément les élèves de l’école Raymonde-Fiolet, avec cinq séances sur deux jours.

Deux inspecteurs enquêtent.

Deux inspecteurs un peu bizarres de la PJ, sous les traits élastiques d’Alice Benoit et Nicolas Chevrier, arrivent devant le public dans l’espace polyvalent de l’école, pour enquêter sur la disparition du texte de la pièce de Nathalie Papin Quand j’aurai mille et un ans (qui sera jouée le lendemain au Mail, dans une belle mise en abyme).

Devant un tas de vieilles valises délabrées par une vie de voyages, ces inspecteurs demandent l’aide des spectateurs pour ce qui devient une chasse au trésor, avec indices, cartes et codes secrets à deviner.

Chaque valise qu’ils ouvrent révèle une nouvelle étape de la quête, jusqu’à la dernière, qui contient le livret de la pièce – et un sac de bonbons, que ces vilains inspecteurs essaient de cacher sous leur pardessus de détectives, avant d’avoir honte et de les distribuer aux spectateurs, jeunes, instituteurs/rices, la bénévole de service de VO… et la presse !

La carte du trésor à décoder

Chaque valise contient des objets étonnants, une couronne, des pots de confiture, un cercueil avec un squelette. Chaque fois, l’enquête avance.

Deux comédiens, donc, mais qui pratiquent le théâtre participatif au point que les élèves dans la salle deviennent une partie de la distribution. C’est un grand éclat de théâtre : les acteurs encouragent la participation jusqu’à déclencher des explosions de cris. L’énergie est enthousiasmante, pour les jeunes et les adultes présents. Ce qui est admirable est la capacité des acteurs à gérer – sans jamais brider – ces éclats, et de ramener les spectateurs à leur rôle d’apprentis policiers.

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En cinq jours d’intensité théâtrale, le festival annuel de théâtre VO en Soissonnais présentera douze spectacles, dont un qui est prévu pour le jeune public à partir de un an, et deux réservés aux élèves du primaire. En plein milieu il y a même le bal endiablé du samedi soir, où les spectateurs occuperont la piste de danse et deviendront eux-mêmes le spectacle.

Ceux qui connaissent VO savent combien grisante est la compression en si peu de temps de tant de formes théâtrales. Mais au lieu de ne plus savoir où on en est, le spectateur attentif et sensible commence à construire un panorama, dans lequel chaque événement reste distinct, mais éclaire les autres, et en est éclairé.

Pendant le festival, le Vase des Arts entend suivre le programme au jour le jour, comme c’est devenu son habitude. La chronique sera un panorama personnel. Elle sera mise à jour de spectacle en spectacle. Il s’agit d’une réaction plus qu’un jugement, une tentative, comme le terme l’indique, de traduire l’éclairage de VO en Soissonnais.

Les réactions, commentaires et contestations des lecteurs du Vase des Arts ne pourraient qu’enrichir son contenu.

denis.mahaffey@levase.fr

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Le Finistère se donne en spectacles

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L'art de l'été breton

[Photo fournie par Capriol]

Un récit de voyage culturel en Bretagne qui ne s’impose pas la concision habituelle aux chroniques du Vase des Arts. Il est divisé en trois épisodes, pour ceux qui préfèrent ne pas trâiner trop longuement devant leur écran.  

Le Finistère, là où l’Europe prend fin sur les plages, rochers, baies et promontoires de la Bretagne, est semé de petites églises, village par village, sans parler de chapelles isolées vouées à tel saint. Bâties de granit, elles constituent chacune une anthologie de détails architecturaux, flèches, frontons et piliers hérités de temples grecs, tourelles dont des marins auraient pu rapporter les formes de pays lointains.

A l’intérieur l’espace nécessairement réduit est partagé par la nef, les bas-côtés, le chœur, l’abside, les chapelles particulières, parfois une salle du « trésor » où les objets liturgiques sont exposés, le tout dans une pénombre apaisante.

On a appelé ces églises « les boudoirs de Dieu », où on imagine le Tout-Puissant, las de vastes cathédrales, basiliques et églises surdimensionnées, Se refugiant pour être reçu en petit comité.

Même les cathédrales sont compactes. Celle de Tréguier, derrière sa petite place, a du mal à contenir l’assemblage de volumes nécessaires à ses fonctions épiscopales.

Presque toutes les églises du pays témoignent encore d’une vie paroissiale. Par ailleurs, dans une région où les touristes cherchent moins des plages à rangées de transats, ou des rues bordées de bout en bout de bars et boîtes, que des sorties culturelles, ces églises, à côté de leur rôle religieux, accueillent des spectacles, avec une prépondérance de musique classique ou bretonne traditionnelle. Le rock se niche ailleurs, dans les festivals par exemple.

Mais il y a d’autres formes de spectacle. Parfois l’extérieur d’une église sert de toile de fond. C’est sur la place devant Saint-Pierre de Plougasnou que des vacanciers, les enfants aux premiers rangs, attendaient Street coffee, un spectacle du clown italien Claudio Mutazzi.

Claudio le clown avec son adjointe du jour

Il arrive, tirant derrière lui un petit chariot, qui lui servira de boîte content ses équipements et un amplificateur pour de soudaines illustrations musicales.

Il suit un scénario, les fragments reliés par un clap en bois, comme pour des prises de vue ; mais à chaque instant Claudio adhère aux principes classiques en s’adaptant à ce qui se passe autour de lui. Voyant un passant qui n’assiste pas au spectacle, il le suit comme une ombre malicieuse. En singeant sa démarche, ses gestes, il les rend comiques. S’en apercevant, le passant, de bonne humeur, devient spectateur.

Claudio interpelle ses spectateurs, les faisant participer, parfois malgré eux mais de bon cœur (surtout les enfants). En vrai clown il reproduit, grossit, prolonge, élargit les comportements, créant une marge entre la réalité de la personne et le clownesque. Ce qui semblait ordinaire, banal, quotidien vire au bouffon. Il établit une complicité avec les enfants qu’il choisit pour l’aider, les ragaillardissant pour qu’ils se prêtent avec enthousiasme au jeu.

Le bouquet final de Street coffee est un mariage, mis en scène avec la participation de quatre spectateurs. Claudio dirige tout, même les gestes de séduction échangés. Est-ce à dessein ou par confusion que l’union du couple heureux se trouve être entre les deux hommes, les femmes étant réduites au rôle de demoiselles d’honneur ?

°o0o°

Le lendemain soir, pour changer, l’ensemble Capriol & Cie venu de Lannion a donné un récital de musique de la Renaissance à Primel-Trégastel, près de Plougasnou, dans la chapelle Notre-Dame-de-Lourdes. Bâtie en pierre du pays en 1927 mais avec une flèche en béton, la façade un peu comme une fusée sur sa rampe de lancement, c’est une singularité à côté des églises médiévales. Depuis sa restauration en 2010, une association y organise des événements, dont plusieurs concerts de Capriol.

Les cinq membres de ce groupe, spécialistes du répertoire Renaissance, sont Isabelle Diverchy, soprano et épinette, Ingrid Blasco, vielles à roue, Nathalie Le Gaouyat, viole de gambe et vielle, Martine Meunier, contralto, et Mathias Mantello, percussions. Ils ont choisi un programme avec une vingtaine de compositions, intitulé Va voir si la rose. A part six danses instrumentales, toutes les autres mettent en musique des poèmes de Ronsard car, après avoir été poète de renom de son vivant, Ronsard a eu une seconde carrière posthume en tant que parolier. C’est un face à face entre l’inspiration du poète de la sensibilité, du lyrisme et des amours, et la grande diversité des accompagnements, avec des compositeurs célèbres comme Clément Janequin et Josquin des Prés, ou moins connus, Pierre Claireau ou Guillaume Boni. Seule apparition d’un autre poète : Mille regrets de Clément Marot.

Mathias Mantello le percussionniste de Capriol

Dans la musique de la Renaissance, instruments et voix s’interpellent, s’intercalent, s’interrogent, comme des fils de couleur d’une tapisserie, émergeant, disparaissant, créant une image en avançant. Une musique distante de nous, qui nous atteint encore.

Isabelle Diverchy est aussi le porte-parole de Capriol, présentant et accompagnant le programme avec de précieux commentaires sur les œuvres, les compositeurs, et parfois les instruments et le déroulement de la soirée, une autre façon d’ancrer la musique dans la réalité de son exécution. « C’est merveilleux, ce qu’on peut faire avec des bouts de bois. »

Le récital ne s’est pas déroulé sans incident. Ingrid Blasco a dû expliquer les arrêts fréquents pour accorder sa vielle à roue. « C’est trop humide ici pour les cordes. » La vielle y serait particulièrement sensible. Au milieu d’une musique détachée de tout matérialisme, la réalité matérielle.

Les chansons de la Renaissance peuvent paraître loin des préoccupations modernes. Mais J’espère et crains de Ronsard, mis en musique par Pierre Certon et interprété par Capriol, met chaque auditeur devant ses propres contradictions intimes.

J’espère et crains, je me tais et supplie,
Or je suis glace, et ores un feu chaud,
J’admire tout, et de rien ne me chaut,
Je me délace, et puis je me relie.

°o0o°

La veille du départ du Finistère, passage par Saint-Jean-du Doigt, voisin de Plougasnou, et visite, comme à chaque séjour, de son église, exception frappante aux boudoirs exigus. Quand un natif du village de Traou Meriadec y est revenu avec le bout de l’index de Saint Jean Baptiste, qui l’avait levé pour indiquer le Christ (« Ecce homo ! »), la relique a eu un tel succès pour traiter les maladies des yeux que le village a changé de nom. La Reine Anne de Bretagne est venue et, guérie, a fait des dons permettant l’érection d’une grande église pour accueillir les pèlerins (*). Ses dimensions sont d’autant plus appréciables qu’un incendie en 1955 a détruit presque tout le mobilier, dégageant l’espace entier.

L'église de Saint-Jean-du DoigtDevant l’autel, dans l’église vide, un homme essaie quelques passages de jazz sur son saxophone, puis une femme chante une toute autre musique, plus ancienne, plus mystérieuse. Entre ces extraits ils se parlent de ce qu’ils préparent.

Abordés, Baptiste Boiron et Marthe Vassalo expliquent qu’ils donneront un concert le lendemain soir, mélangeant du jazz à des chants bretons anciens.

Derrière un clown et la Renaissance, voilà quelques enchaînements de notes qui réunissent la musique contemporaine et une autre musique, venue du granit dont le Finistère est fait, comme un bruit mystérieux et archaïque émergé de ces terres, avant de se fondre, comme elles, dans l’Océan.


(*) Est-ce vrai ? Les Bretons, comme d’autres Celtes, fusionnent volontiers la légende et la réalité historique, et il n’est même pas sûr qu’Anne soit venue pendant sa tournée du royaume de Trégor.

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Le Vase des Arts

La douleur de Dominique Blanc

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L'art de jouer

Une femme, l’air abandonnée par elle-même, est assise à une table. Elle parle. « Face à la cheminée, le téléphone, il est à côté de moi. À droite, la porte du salon et le couloir. Au fond du couloir, la porte d’entrée. Il pourrait revenir directement, il sonnerait à la porte d’entrée : “Qui est là — C’est moi”. »

A travers La Douleur, la comédienne Dominique Blanc vit depuis plus de dix ans avec la douleur en tant que comédienne. En 2010, elle a d’abord fait une lecture du texte de Marguerite Duras, puis l’a joué dans un spectacle mis en scène par Patrice Chéreau. C’est dans cette même mise en scène, revue par Thierry Thieû Niang, qu’elle a repris le rôle, d’abord à Paris, ensuite pour une tournée qui l’a amenée au théâtre du Mail à Soissons.

Le texte relate l’attente fébrile d’une femme dont le mari a été déporté dans un camp de concentration allemand en 1944, et son retour. La situation reflète celle de l’auteure elle-même, face à la déportation de son mari Robert Anthelme, et le texte de la nouvelle est adapté d’un journal intime qu’elle aurait gardé pendant cette période d’attente.

La femme sur scène subit l’attente insoutenable, dans une impuissance qui n’est pas exceptionnelle mais celle « de tous les temps, celle des femmes de tous les temps, de tous les lieux du monde : celle des hommes au retour de la guerre  »

Etant donné la matière du texte, le public pouvait s’attendre à une performance, dans le sens d’un déploiement de sentiments extrêmes, des crises d’angoisse, des larmes ; un corps à l’agonie, des émotions qui débordent.

Dominique Blanc choisit une autre approche, qui est un défi aux conventions du théâtre. C’est celle de la transparence. Comédienne, elle transmet ce qui se passe, mais sans jamais forcer le trait. La douleur passe par son corps et sa voix sans jamais devenir paroxysme : ils servent de messagers entre le plateau et la salle, sans rien ajouter. C’est au spectateur, pourrait-on dire, de faire ce qu’il veut, ou peut, de ce qu’il voit et entend.

L’aspect physique de la comédienne contribue à cette transmission, son corps en retrait, son regard légèrement tombant, son grand front comme un écran blanc. Dominique Blanc établit une sorte de vide que chaque spectateur remplit par son accueil de ce qu’elle dit et fait.

Pour ceux dans la salle qui ne la connaissaient que par le cinéma, la rencontre en chair et en os a pu confirmer que c’est une artiste dont la force est d’autant plus étonnante qu’elle ne la met pas en avant. Tout est réserve, tout est transparence. Dans La douleur, au lieu de faire voir sa douleur, elle la laisse voir.


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Le Vase des Arts

La sociologie des banlieues au théâtre

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L'art du théâtre appliqué

Sortis à peine de Les Coquettes (titre laconique et même coquet pour trois humoristes débordant d’énergie et d’à propos sur les sujets qui préoccupent et fâchent les femmes), les spectateurs du Mail – certes peut-être pas les mêmes, et en moins grand nombre – ont pris place dans la même grande salle pour un spectacle de la compagnie Légendes Urbaines : Et c’est un sentiment qu’il faut déjà que nous combattions je crois. Comme, Ce que je reproche le plus résolument à l’architecture française, c’est son manque de tendresse, venue à Soissons en 2021 (*), le titre est tout un programme, un brin provocateur, une façon d’éviter de coller une étiquette rapide sur le sujet abordé.

Le sujet, une constante pour la compagnie, est l’environnement urbain, celui des « quartiers », des « banlieues » populaires. Il s’agit de repérer, derrière les représentations courantes de ces milieux, la vie de ceux qui y trouvent ou ne trouvent pas leur épanouissement, et les raisons matérielles – la conception des grands ensembles – des ratés sociaux.

Le point de départ de la nouvelle pièce est un reportage sensationnel diffusé à la télévision, montrant entre autres l’absence générale de femmes dans certains quartiers, dans les rues et de façon encore plus flagrante dans les cafés. La pièce examine l’origine du reportage, son degré de vérité ou de manipulation, et démonte les mythes autour de tels quartiers portés par les média.

Une question purement théâtrale se pose aussitôt : comment rendre « dramatique » un tel thème, éviter une étude sociologique qui n’accrochera pas le public dans la salle ?

David Farjon est David Pujadas.

La réponse est aussi théâtrale : utiliser tous les ressorts dramatiques pour illustrer les propos. Les six  acteurs maîtrisent parfaitement un style naturaliste pour changer de rôles, multiplier les personnages. Ils font des numéros époustouflants, tel le rappeur qui se raconte, ou David Farjon, fondateur de Légendes Urbaines, en parfait interprète du présentateur David Pujadas, dans les coulisses de son émission.

Il y a des mises en abyme, comme quand les journalistes, assis autour d’une table pour discuter, apparaissent en même temps sur un grand écran.

L’imagination est illimitée : pour revenir dans le montage de la discussion filmée, les comédiens se lèvent et font marche arrière en accéléré jusqu’au point à éditer.

Ainsi, même un spectateur peu concerné par le sujet de l’environnement urbain est attiré en impliqué par les astuces du théâtre. A nouveau, Légendes Urbaines met en scène une étude sociologique en la rendant fascinante et inattendue. Un acteur « interprète » un texte ; Et c’est un sentiment qu’il faut que nous combattions je crois interprète la vie des quartiers qu’il met en scène.


(*) Jouée dans la petite salle du Mail, qui a l’avantage de la proximité entre acteurs et spectateurs, et le désavantage d’imposer à presque tout le monde de voir seule une partie de la scène entre les deux têtes devant.

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