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Théâtre

Un monde pour quelqu’un d’autre

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L'art de la dernière

Jean Personne est mort.

La compagnie de l’Arcade a créé « Sous la glace » de Falk Richter à Saint-Quentin en 2014. Trois ans et une centaine de représentations plus tard, sa dernière a eu lieu dans la grande salle du Mail devant un public majoritairement jeune. Alors sans crainte de commettre un « spoiler », c’est-à-dire de divulguer l’intrigue à ceux qui n’auraient pas encore vu le spectacle, il peut être révélé que quand Jean Personne apparaît au début, ne portant qu’un minislip noir, il est déjà mort ; et que la glace sous laquelle il crie « Quelqu’un m’entend, est-ce que quelqu’un m’entend ? » est le monde des morts.

Dans l’autre monde des vivants, personne ne l’a jamais vraiment entendu non plus. Ses parents ne faisaient pas attention à lui, ses collègues de travail n’entendaient pas sa parole intime, seulement le vocabulaire forcément agressif du commerce qu’il devait déployer. Evaluer, être évalué, constamment, c’est détruire ce qu’une personne tente de construire en menant sa vie, c’est-à-dire le sentiment d’exister en elle-même, sans jugement.

Xavier Czapla est Jean Personne, le visage tordu par un rictus alors qu’il entend sourire. L’enfant devenu adulte, son nounours redoutable toujours au fond de la scène, reste invisible derrière l’homme d’affaires. Par son métier, il voulait se débarrasser de ses concurrents ; vieilli, ils se débarrassent de lui. Patrice Gallet et Stéphane Szestak sont ces concurrents faussement affables se liguant pour l’effacer. Il finit par se jeter de la fenêtre du vingtième étage

Aurélien Papon (Patrice Gallet) charrie Charles Soleillet (Stéphane Szestak). Jean (Xavier Czapla) est hors jeu.

Les voix sont sonorisées par de petits micros de tête. Ainsi, la parole, déclamée ou chuchotée, stridente ou poignante, devient une matière malléable, un produit à traiter comme un autre. La communication devient un commerce de bruits, loin de l’entente qui est le sens de la parole échangée.

En parallèle à la précipitation furieuse du texte tel que les comédiens le disent, avec une maîtrise formidable, Vincent Dussart offre comme un second spectacle, celui des corps. Sa clarté éblouit. Ils racontent en images simples ce les mots qui inondent la scène et débordent dans la salle rendent preque inintelligible. Les oreilles peuvent être dépassées par le tintamarre, mais les yeux suivent ce que racontent les corps comme dans un album d’images.

« Sous la glace » se termine par un questionnement paroxystique, en mots et en mouvements, d’une société telle que le génère le monde du travail actuel. L’aliénation est profonde : ce monde est « fait pour quelqu’un d’autre ».

Pendant une rencontre avec des spectateurs après le « rideau » final de la pièce, Vincent Dussart a présenté un projet pour une centaine de scolaires, et qui culminera par un spectacle au Mail en avril. Le titre : « Utopies ». Le sujet : « imaginer un monde dans lequel vous voudriez vivre ».

denis.mahaffey@levase.fr

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