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Les Hystériques selon Francis Bérezné : le mouvement de déraison

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L'art de peindre la folie

Ce que Francis Bérenzé voit dans le célèbre tableau d'André Brouillet, Une leçon clinique à La Salpétrière

En 2010 le peintre et sculpteur Salim Le Kouaghet d’Arcy-Sainte-Restitue a pu inviter son ami Francis Bérezné à exposer, dans la galerie d’art du lycée Léonard-de-Vinci à Soissons, des tableaux des vingt années précédentes, peints après sa sortie de plusieurs longs séjours en établissement psychiatrique. « Je ne suis plus fou » a-t-dit simplement.

On mesurait le chemin parcouru pour sortir du chaos en regardant, d’abord deux tableaux où de petits personnages s’agitent dans tous les sens, et puis l’autoportrait en triptyque de 2010, où il pose dans une robe « de nombreuses couleurs » comme celui de Joseph devant ses frères dans la Bible. Francis Bérezné s’entendait bien avec les couleurs, par lesquelles il illuminait des sujets parfois difficiles d’accès. Il rompait ainsi la lisse façade des visages, révélait le trouble, le frémissement, les élans qui nous habitent.

Six mois après cette exposition, et les signes d’espoir qui pouvaient – peut-être à tort – s’y percevoir, Francis Bérezné s’est pendu.

En février 2017, l’impact de son art, vu à Soissons, a mené à un second article dans le Vase des Arts au sujet d’une exposition d’une vingtaine de ses toiles à la Halle Saint-Pierre à Paris, sous le titre Les Hystériques. Pendant la décennie précédente Francis Bérezné avait peint des tableaux à partir de photos prises au 19e siècle à l’hôpital de La Salpêtrière pendant les renommées leçons publiques de Charcot, mettant en scène des patientes « hystériques ».

Sa mise en couleurs des sujets de ces images sépia a remis en question la lecture de ses « nombreuses couleurs » : plutôt que la joie de vivre, elles représenteraient le trouble.

Francis Bérezné devant deux panneaux de son autoportrait en triptyque en 2007.

Le Vase des Arts a appris au cours de l’année dernière que Guy et Jean Bérezné, les deux frères de Francis, travaillaient sur un catalogue détaillant la totalité des 143 œuvres inspirées par les photos du livre L’iconographie photographique de La Salpêtrière de Bourneville & Regnard. Le catalogue comprendrait aussi des textes de Francis Bérezné, et quelques commentaires (dont le compte rendu de l’exposition de la Halle Saint-Pierre paru dans Le Vase des Arts).

Les Hystériques de La Salpêtrière selon Francis Bérezné vient d’être mis en ligne en janvier dernier en accès libre. C’est une richesse pour ceux qui connaissaient certains aspects de l’artiste, une découverte pour ceux qui ne le connaissaient pas. Il révèle la profondeur de ses recherches et leurs résultats. Pour une seule vignette, la planche XXIX, montrant une femme alitée, la tête émergeant des couvertures et la langue pendante, et que la légende identifie comme souffrant d’hystéro-épilepsie, il a fait 84 croquis, dans lesquels il explore les moyens de traduire le sens de l’image par des moyens artistiques, c’est-à-dire des traits et des couleurs. Ces pages du catalogue éclairent avec éloquence la démarche artistique. Son regard simplifie ce qu’il regarde, mais pour aller plus loin vers la vérité qu’il y voit.

Il est loin de s’apitoyer sur ces femmes, percevant, non pas des loques humaines perdues dans la folie, mais « des femmes extraordinairement vivantes, noyées dans un flot de draps, de linges blancs, [qui] souffrent, jouissent, rient, se lamentent, s’extasient, tirent la langue, les yeux révulsés, prennent parfois la pose devant l’objectif. »

Y aurait-il un lien entre les difficultés psychiatriques de Francis Bérezné et son intérêt pour des images de la folie ? Dans un écrit du catalogue il raconte sa première crise d’hystérie, le « mouvement de déraison » qui l’y a conduit.

Plutôt que d’identifier une telle déraison comme une perte de conscience il conclut, en abordant les images, qu’il y a « quelque chose de sublime à voir dans ces corps en crise d’hystérie, non pas bien sûr pour celui qui la subit, encore que pour autant que je me souvienne, le corps et l’esprit sont tout entier confondus dans le même état, la douleur certes du corps convulsé, mais la présence aussi à quelque chose qui dépasse, qui transcende, qui est plus que le corps malade et que le délire réunis. »


Pour trouver : Les Hystériques de La Salpêtrière selon Francis Bérezné, Guy et Jean Bérezné, janvier 2019.

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