« Nous basculons d’un climat tempéré à un climat méditerranéen »
Ingénieure en hydraulique et hydrologue, Christelle Jullien travaille depuis 30 ans sur la question de la gestion de l’eau au sein des collectivités. La spécialiste livre un constat alarmant sur une accélération du réchauffement climatique et la succession des périodes de sécheresse qui fragilisent la ressource en eau potable. Elle livre également des clés pour mieux protéger cette eau moins abondante que par le passé. Christelle Jullien évoquera ces sujets le samedi 17 juin prochain à Soissons lors d’une conférence.
Le sujet eau potable en France et dans l’Aisne, elle connaît. Christelle Jullien, hydrologue, a travaillé sur le sujet à la préfecture de l’Aisne au début des années 2000 et dans diverses collectivités dont l’agglomération du Pays de Laon en 2020 où elle dirigeait le service eau et assainissement. Celle qui est par ailleurs maire de Louâtre, entre Soissons et Villers-Cotterêts, travaille aujourd’hui encore sur ces questions au sein d’un établissement public de l’Est-parisien. Elle prépare une conférence intitulée « Sécheresses, pollutions, usages agricoles et industriels : allons-nous manquer d’eau ? », qu’elle donnera le 17 juin à l’espace Simone-Veil de Soissons, à l’invitation de l’association « Soissonnais en Transition ».
Pour bien cerner la problématique de l’eau aujourd’hui, elle rappelle les usages qui en sont faits. « Aujourd’hui, environ 50 % des prélèvements dans les milieux naturels sont destinés à l’industrie dont une partie sert au rafraîchissement des centrales nucléaires, un quart à l’agriculture, un quart aux habitants, expose-t-elle. Quand nous sommes en vigilance sécheresse comme actuellement et qu’on demande aux usagers de faire des efforts pour limiter leur consommation, c’est bien, c’est un bon signal bien sûr mais nous n’agissons que sur un quart de la consommation d’eau. »
Cette vigilance sécheresse décrétée dans l’Aisne dès le 21 avril dernier est révélatrice selon elle d’un changement profond de climat qui s’accélère. « Cet arrêté tombe plus tôt que d’habitude puisqu’on le prenait auparavant en juin ou juillet et surtout, il n’y avait pas lieu de le prendre chaque année alors que depuis 2020, nous y sommes obligés, constate-t-elle. Les pluies sont non seulement moins abondantes en quantité mais elles tombent moins régulièrement tout au long de l’année et notamment sur la période de recharge des nappes entre octobre et mars. Avant, la recharge se faisait beaucoup en février et mars, et là, à cette période, il n’y a pas eu de pluies dites efficaces. Nous étions dans un climat tempéré où il tombait régulièrement de la pluie, là nous basculons sur un climat méditerranéen où il va tomber beaucoup d’eau d’un seul coup sur des sols secs, ce qui n’est pas favorable à l’infiltration, puis plus rien pendant un certain temps. »
Des pistes pour préserver l’eau
Face à ce constat alarmant, l’hydrologue avance des pistes pour mieux préserver la ressource eau tant en qualité qu’en quantité. « La protection de la qualité de l’eau passe par la mise en place de périmètres de protections et aires de protections des champs de captage, ce qui se fait depuis les années 1970 mais plus encore depuis 20 ans et par un traitement et une réutilisation des eaux usées, explique Christelle Jullien. Certaines agglomérations comme celle de Laon ont mis en place des programmes assez aboutis pour par exemple aider les agriculteurs à réduire les pesticides et herbicides allant vers les nappes. »
Concernant la quantité, l’hydrologue appelle à rétablir le cycle de l’eau et faire en sorte que les eaux de pluie s’infiltrent davantage. « Il faut que les projets urbains de rénovation de voirie par exemple, intègrent des matériaux nouveaux qui permettent de désimperméabiliser les sols et puis il faut replanter des arbres en nombre suffisant, préconise-t-elle. Les arbres, cela impacte le cycle de l’eau parce qu’un arbre respire, permet à l’eau de s’infiltrer et peut aider à maîtriser les températures lors des périodes de fortes chaleurs. » Ces solutions peu employées il y a plusieurs années quand le problème de la quantité de la ressource ne se posait pas encore, se développent encore timidement. La question du coût plus élevé de ces matériaux novateurs peut parfois poser problème. De plus, aucune disposition légale n’oblige les collectivités à fournir des efforts en la matière. « Des incitations financières importantes notamment de l’agence de l’eau », existent néanmoins selon Thomas Campeaux, préfet de l’Aisne. Lequel incite aussi les collectivités à créer davantage d’interconnexions entre les réseaux. Des solutions à mettre en place sans tarder, qui nécessitent des investissements lourds mais indispensables afin d’assurer l’avenir et les besoins en eau.