J’ai également croisé des gens en pagaille qui fuient du nord-est vers l’ouest (d’où je viens) et le sud (où je vais demain). Identifiés très souvent par la signification “enfant” en ukrainien sur le pare-brise. En passant de la campagne profonde au cœur des villes, Lviv et Ivano-Frankivsk hier et Vinnytsia aujourd’hui, respectivement 750 000, 240 000 et 400 000 habitants, je passe du noir au blanc. La guerre est omniprésente en campagne (alors qu’il n’y a pas un soldat russe à moins de 200 km) et semble ne pas exister au cœur des villes. On déambule, on vadrouille, on boit aux terrasses, on s’aime. Et pas un check-point une fois dans la ville. Alors qu’au cœur de certains villages, il y en a plusieurs. Dans les moments un peu particuliers, je retiens en fin de matinée l’alerte à rejoindre les abris à Terebovlia (15.000 hab.) où personne ne semble s’en préoccuper. J’interroge une dame police qui me répond : “Il y en a souvent du fait d’une base aérienne militaire dans les parages. Au début, les gens quittaient les rues. Comme il n’y a jamais eu une bombe, les gens font confiance à la défense anti-aérienne et ne s’en soucient plus”. Bon, et moi ?…. Je suis resté dehors. J’ai filmé pour pouvoir montrer la séquence lors de mes interventions en milieu scolaire.
Dans les moments encore plus particuliers, je retiens le survol de ma voiture durant une dizaine de secondes par un hélicoptère à un moment où je me trouvais au milieu de nulle part avec un véhicule tous les quarts d’heure. Il n’a pas tiré, j’en déduis qu’il était ukrainien. D’ailleurs, deux-trois minutes plus tard j’ai été survolé par un Mig 29 ukrainien en rase-motte absolu puisqu’à même pas 25 m de hauteur. J’ai pu voir le pilote parce qu’il longeait l’endroit où je m’étais arrêté. Là, j’avoue ça déchire les tympans et ça laisse un peu sonné.
Au sud de Vinnytsia, ce qui dénote, ce sont les stations-service fermées. Fermées parce que vides. Certaines n’ont plus que du diesel. Ou plus que de l’AdBlue. Dans ce cas, pour que les automobilistes comprennent bien, les pompes sont emballées, comme l’étaient les panneaux routiers hier. Ce qui manque quasiment partout, c’est le 95 SP – E10. Je pense que j’ai été très avisé de prendre une réserve de 60 litres. La surprise du soir, c’est le lieu où je loge. Pas un chat nulle part pourtant la ville compte plus de 15 000 habitants. Peut-être parce que l’on n’est qu’à 50 km de la 14e armée russe basée en Transnistrie. Étonnamment, on ne parle que russe dans l’établissement.
J’y suis seul avec deux familles qui ont fui Kyiv et qui se sont installées là parce qu’elles ont de la famille dans la région. Une des deux mamans, Eleanea, est venue me remercier d’être venu là pour raconter ce qui se passe. Elle n’avait jamais vu de voiture française en Ukraine. Son mari est venu me serrer la main. Je ne sais quoi dire. Trop d’émotions. Il est peut-être temps que je rentre. »