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Der Tannenbaum

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L'art de Noël

Depuis le printemps cette chronique a réagi au silence imposé au monde du spectacle en s’écartant de son rôle de commentateur culturel pour proposer quelques écrits plus personnels. Voici un regard sur un Noël lointain et son solstice d’hiver. A propos : que  les fêtes de fin d’année des lecteurs soient lumineuses, elles aussi.

Ce serait le premier Noël où je ne me joindrais pas à la grande transhumance des Irlandais d’Angleterre vers la mère patrie ; ne me trouverais pas sur un paquebot de nuit, les femmes et enfants agglutinés dans tous les recoins et même sur les escaliers, les hommes rôdant et buvant. Je n’aurais pas à éviter les flaques de vomi, n’en aurais pas son odeur âcre dans les narines. Surtout, je ne courrais pas le risque d’être sur le pont, se remuant sous mes pieds, à vider mes repas récents dans les lames noires.

Je passerais les fêtes de Noël, sans famille, à Londres, ville vibrante, libérale, où je goûtais chaque jour ma liberté – et en abusais.

J’allais faire la fête avec un ami sans le sou, comme moi. Nous menions une vie de bohême, mais John, par son rang social plus élevé, avait ses entrées partout, dans la grande bourgeoisie et la petite noblesse. Il m’introduisait dans des milieux où, avec mes origines plus humbles (à deux générations près ouvrières) et mon accent irlandais, je n’étais accepté que parce que j’étais avec lui.

La veille de Noël, l’après-midi, nous sommes passés dire bonjour à une de ses connaissances, directeur d’un centre de logement pour de jeunes Allemands à Londres. Il nous a demandé si nous aimerions voir le sapin de Noël. Ce symbole éculé ? Mais pourquoi pas.

Il nous a fait traverser son bureau et suivre un couloir jusqu’au réfectoire, où la lumière de jour commençait à céder devant le crépuscule d’hiver.

Un petit sapin bardé de lucioles criardes, clignotantes, sa base entourée de faux paquets-cadeaux ? Non. Le grand arbre de Noël remplissait tout un coin de la salle et montait jusqu’au plafond. Aucune décoration autre que de petites boules blanches accrochées partout. Tout semblait attendre. Nous aussi.

Le directeur a touché un interrupteur au mur. Les boules se sont éclairées, et le monde n’était plus le même. La vie a été soudain illuminée par ces points qui brillaient comme plusieurs constellations réunies, mettant en lumière l’excitation de vivre le tourbillon de Londres, le défi de fréquenter le monde de John, l’attente du réveillon (même avec ce qui pouvait se préparer sur le brûleur à gaz d’une pièce meublée).

Le quotidien s’est ouvert sur l’éternel, le sens contextuel de Noël : à côté du Dieu nouveau-né, cette autre naissance annuelle au cœur de l’obscurité hivernale, accueillie avec bonheur et soulagement depuis que l’humanité existe. C’est celle du Soleil que, par nos festivités joyeuses, nous remettrions sur le lent chemin de reconquête de la lumière.

Tout cela à la simple vue du sapin de Noël, du Tannenbaum sorti, il me semblait, de denses forêts teutoniques remplies de légendes fondatrices.

Dans les faits, ma réaction, à côté de John et du directeur, n’était ni aussi définie ni aussi documentée que dans ces explications : j’ai vécu un émerveillement. Un émerveillement pur et simple, à un détail près. J’avais un regret confus, et que je ne voulais pas admettre, celui de ne pas avoir fait le pèlerinage inconfortable qui m’aurait amené à la maison, avec ses inévitables vides, irritations et maladresses de sentiment, mais où j’aurais vécu Noël en famille.

[Ce texte est adapté d’un écrit pour Scribus, déc. 2019.]

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