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Irlande : retour au grand nord (I)

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L'art d'aller voir ailleurs

Récit en deux parties d’un séjour à Belfast, ville irlandaise du nord.

Il y a de l’intensité dans l’air à Belfast. Il ne s’agit pas directement des séquelles du long conflit qui continue à diviser cette province d’Irlande, restée partie autonome du Royaume Uni il y a presque cent ans, alors que les trois autres provinces avaient choisi l’indépendance. L’intensité reflète autant une vitalité dans les relations quotidiennes. Dans les pubs et les cafés, comme dans la rue et les maisons, les échanges sont animés, comme si tout sujet importait. Par la voix, le choix des mots, le regard il faut convaincre. S’il n’y a pas d’interlocuteur il faut le trouver, assis à côté dans le bus ou attendant à l’arrêt, à la table voisine ou le long du bar. Les gens n’ont pas la couche de compromis et d’indifférence qui peut lisser les rapports ailleurs.

L’opéra de Belfast                            Photo agence

Même l’animation météorologique y contribue. On ne peut jamais s’installer tranquillement dans la durée, sous les nuages qui cachent ou jouent à cache-cache avec le soleil. En dehors des jours d’été, c’est souvent le soleil qui perd.

Il y a une autre tension dans l’air ces temps-ci. Depuis un accord d’il y a vingt ans, les deux parties de l’île ont appris à vivre plus étroitement ensemble, en profitant de leur appartenance commune à l’Union Européenne pour tisser des liens économiques et sociaux, pour associer leurs efforts. Soudain, voilà que le Royaume Uni veut claquer la porte de l’Union sur un coup de tête (alors qu’il est plutôt déconseillé de taper la tête contre une porte pour la fermer…). La frontière qui s’est ouverte pourra se resserrer comme un nœud coulant autour de l’Irlande du Nord.

Un chroniqueur est bien avisé de marquer une distance entre sa matière et sa propre histoire. Mais parfois les deux entrent en collision. Je suis né, j’ai grandi, fait mes études dans la ville agitée de Belfast. Je l’ai quittée volontiers, mal à l’aise dans une société fendue par ses querelles vieilles mais vivaces, sans savoir que je passerais ma vie à chercher ailleurs des qualités de vie que je n’avais pas identifiées en y grandissant. Alors l’intention de joindre à un voyage privé un regard détaché sur la vie des arts à Belfast, où mes racines et passé donneraient simplement de l’authenticité aux propos tenus, n’a pas tenu compte de la force de ces racines. La ville m’a happé, le détachement d’un observateur je n’ai plus été un observateur avec le détachement a de soi.

L’Ulster Museum                             Photo agence

Le choix d’événements en est affecté. Au lieu de rechercher des spectacles révélateurs de la culture irlandaise, je suivrai l’exemple de ma grand-mère maternelle. Tous les samedis après-midi elle mettait un chapeau à voilette et une touche de rouge sur les pommettes, et partait au cinéma Classic avec deux amies. Peu leur importait le film : elles avaient rendez-vous avec le lieu, conçu pour offrir deux heures de simili-luxe moquetté avec colonnes, lumière tamisée, escaliers en courbe.

Alors je me laisse entraîner vers trois espaces culturels que j’ai connus. Le Grand Opera House est « un théâtre d’un style orientaliste exacerbé, tourelles et pinacles en émeute sur le toit, velours rouge, tentures à frange et moulures dorées à l’intérieur, les loges de chaque côté de la scène appuyées sur des têtes d’éléphant »(*). L’Ulster Hall est une salle de concert en fer à cheval, dont les proportions sont à la fois impressionnantes et apaisantes, de la façade autant que de la salle dont le décor du fond, derrière le plateau d’orchestre, est fait de tuyaux d’orgue.

Les deux bâtiments, datant du 19e, ont échappé de justesse à la disparition. Endommagés plusieurs fois par les attentats pendant les « Troubles » des années 70 et 80, ils ont été fermés, et devaient être démolis. La paix relative revenue il y a vingt ans a fait qu’ils ont été restaurés, embellis, agrandis, pour en faire des salles équipées et rutilantes.

L’Ulster Museum, sorti indemne, a été lui aussi considérablement agrandi dans les années 60, une partie moderne émergeant du grand carré néoclassique du 19e.

J’ai des attaches à chacun de ces lieux et tiens à les retrouver. A eux de choisir ce que j’y verrai. 

(*) Denis Mahaffey, Les éveils                                                                    [A suivre]

 

denis.mahaffey@levase.fr

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