Martin Bissière avant le vernissage de son exposition.
Exposition à l’Arsenal jusqu’au 15 novembre.
Le tumultueux parcours de Martine Bissière depuis vingt ans apparaît dans la soixantaine de toiles qui remplissent les salles de l’Arsenal, en haut et en bas – la troisième fois seulement que tout l’espace est occupé par un seul artiste.
Du copiste installé devant un tableau de musée, s’appliquant à en reproduire chaque détail, à Picasso riffant sur « Las meninas » de Velasquez, les peintres ont toujours cherché chez d’autres artistes un modèle, un savoir-faire, une inspiration. Cela peut être signe de modestie ou d’émulation. Le mot « hommage » flotte dans l’air.
Pour Martin Bissière, pourtant, sa démarche en s’appropriant des éléments d’autres peintres est autrement féroce – même s’il en parle d’une voix amène ! Rencontré avant le vernissage de l’exposition, il ne cache pas que sa relation aux autres artistes est dominée par le désir et la violence. La notion de « rivalité » prédomine. C’est à travers les idées de l’anthropologue René Girard qu’il a compris ses propres ambitions. Pour Girard, le désir n’est jamais autonome : il prend appui sur le désir qu’affiche l’autre, ce qui mène inévitablement à la violence, sournoise ou ouverte.
Martin Bissière a toujours été sensible aux réalisations d’autres peintres. « Je pouvais être happé par tel détail de Kooning. » Mais sa réaction était de vouloir dépasser, faire mieux, rechercher son identité à travers ce que peignaient les autres.
Cette approche atteint son paroxysme dans la série « La montée des extrêmes », peinte en 2008 et 2013 et qui occupe la grande salle en haut. Martin Bissière dit y avoir expérimenté la violence qui sourd de cette rivalité. Il évoque même « la rivalité entre mon père et moi. » (Son père, comme son grand-père, était peintre). Il indique un tableau. « J’ai peint celui-là en cinq minutes. » Un autre : « Il m’a pris dix ans. » En se disant « travaillé par toute la peinture du monde » il éclaire l’intensité d’une lutte qui a pu l’épuiser. Et en assumant ses motivations, il échappe au besoin de convaincre. Il parle de violence sans agressivité aucune.
La série « Oxygène » au rez-de-chaussée a suivi la mort de son père et une résolution de la rivalité. Il aurait atteint une « vacuité » qui rassure : « Je n’ai plus l’impression de risquer ma vie. » Il y peint avec les mains : « L’outil est une arme. ». Sollicité il y a un an à exposer à l’Arsenal, il a peint plus de cent tableaux dans cette perspective.
Evidemment, les visiteurs de l’exposition réagiront d’après leur propre nature à l’impact musclé des couleurs et des formes de ces toiles grand format. Y sentiront-ils la violence, ou vivront-ils autrement l’énergie déployée ? La nature de son abstraction frustre obstinément la tendance de l’œil à chercher des images. C’est dans cette abstraction soutenue que réside une des réussites de cette grande exposition.
Une fois par an, l’Association pour le développement de l’art contemporain en Soissonnais (Adacs) participe à la réalisation d’une exposition à l’Arsenal. Souvent, elle entérine le choix du musée. Cette fois c’est elle qui a proposé Martin Bissière, « peintre qui mériterait d’être mieux connu » selon le président, Erick Balin, qui a écrit, avec le conservateur du musée Dominique Roussel, la préface éclairante du catalogue.
denis.mahaffey@levase.fr