Visite du Fonds ancien avec Frédéric Reche, directeur de la Bibliothèque
Frédéric Reche prend des gants pour présenter un manuscrit.
Quitter le rez-de-chaussée de la Bibliothèque de Soissons et monter jusqu’aux locaux où se trouvent les plus anciens manuscrits et livres, c’est comme changer de civilisation. En bas, c’est la libre concurrence : les livres attirent l’attention, chaque couverture veut intéresser, intriguer, séduire le lecteur. « Prends-moi, lis-moi ! »
En haut, dans le « fonds ancien », sécurisé, climatisé et à hygrométrie constante, les étagères contiennent des murs de livres dont seule la tranche, avec ses dorures sur une peau de couleur fauve, est visible. Rangés par série de volumes, enfermant un somme de connaissances humaines, ils attendent sans esbroufe qu’un lecteur fasse l’effort de les prendre en main.
Un dragon dans la Bible de Braine.
Le fonds ancien est renommé pour sa richesse. Anne-Marie Natanson, conservateur en chef qui vient de prendre sa retraite, admet même avoir choisi un poste à Soissons à cause de cet atout.
C’est son successeur, Frédéric Reche, qui a fait entrer deux groupes de visiteurs dans ce local. Après la réouverture de la Bibliothèque en 1929, et le transfert des caisses de livres entreposés à l’Hôtel de ville, cet étage était longtemps libre d’accès aux lecteurs !
Il a présenté une dizaine d’ouvrages exceptionnels, joyaux de la collection, dont en particulier la célèbre « Bible de Braine » en trois volumes, manuscrit du 15e siècle écrit en français. Ses superbes qualités artistiques évoquent aussi l’une image éloquente du moine copiste penché sur ce parchemin pendant toute une tranche de sa vie. Eloquente à notre époque, où écrire revient à tapoter sur un clavier.
Page d’un bréviaire manuscrit.
Frédéric Reche s’est révélé un guide méticuleux, portant son érudition sans lourdeur et avec humour. Le vélin, le parchemin le plus précieux, vient de la peau d’un veau mort-né. Nécessairement rare car, a-t-il rappelé, « les veaux mort-nés ne courent pas les rues ».
Formes d’écriture de « Caroline » à « Gothique », statut de la collection (« biens mobiliers du domaine public »), résistance des encres (« celle d’un tatouage »),résonance historique de l’imprimerie, qui a permis à Luther d’éditer la Bible en allemand, amorçant ainsi… la Réforme : plus qu’une visite guidée, il s’est agi d’une conférence.
Pour empêcher le vol, certains volumes avaient un crochet pour les enchaîner ; mais la « Bible de Saint Jean des Vignes », manuscrit du 12e siècle (« Neuf cents ans que vous regardez »), a un « antivol spirituel », texte vouant tout voleur à l’anathème.
Parmi les plus anciens livres imprimés, « La nef des fous » de Sébastien Brant, « best-seller » de la fin du 15e, est illustré par Albrecht Dürer. En 2011, Philippe Guesdon avait « déconstruit » ces gravures pour une exposition à l’Arsenal.
Au cas où nous aurions ignoré le privilège que représentait cette visite, Frédéric Reche a rappelé la notion de « capital de lumière », celui dont dispose chaque volume, et entamé à chaque exposition. Nous pouvions nous croire admis dans la grotte de Lascaux.
denis.mahaffey@levase.fr