Le musée de l’Arsenal retrouve son rôle d’hébergeur d’une « grande » exposition, qui d’une part donne son sens aux vastes espaces disponibles et, d’autre part, présente l’œuvre d’un artiste de grand renom.
Histoires de tressage 1965-2024 reflète une longue préoccupation de François Rouan, son recours à une technique presque enfantine. Une feuille est coupée en bandes étroites, qui sont tressées pour former une surface plate. François Rouan le dit ainsi, avec un sourire : « Je peins trois tableaux, que je coupe ensuite en morceaux. Je les tresse, puis je repeins. »
Ricorda VI (2024)
La nouvelle surface a son effet sur tout ce qui est peint dessus. Rouan a été associé un temps au collectif Supports & Surfaces (dont un des membres a été Claude Viallat, qui a exposé ses bâches militaires peintes dans ce même espace en 2013). L’échiquier que forment les bandes tressées, chaque case contenant un petit carré d’un des tableaux originaux, entourée de fragments des autres, le rend ardu de discerner une image générale – et ce serait l’intention du peintre, qui complexifie encore l’aspect en ajoutant des traits de peinture qui débordent des limites créées par le tressage.
L’intention ne serait-elle pas de détourner de son chemin tout spectateur-voyageur qui viserait la saisie, d’ensemble comme en détail, d’un de ses tableaux ? Il est possible d’apprécier à distance la série des trois Chambres, jusqu’à leurs jolies volutes, comme sur un manuscrit enluminé. Mais plus on est tenté de scruter de plus près et plus le tableau se fragmente. Rouan se préoccupe plutôt d’un autre aspect de l’art, selon une phrase de 2023 : « Le fait pictural qu’est-ce sinon un tressage entre l’ici du cœur et les ailleurs de l’imaginaire ? » Pour Rouan, la relation entre un tableau et celui qui le regarde serait même de l’ordre d’une rencontre amoureuse : rien à comprendre, rien à analyser, juste une émotion envahissante.
L’exposition laisse supposer que ni l’art ni la vie ne se perçoivent en entier, mais en assemblages de petites pastilles, chacun avec son fragment de réalité.
Interrogé à une réunion avec le public, François Rouan, originaire de Montpellier qui a choisi d’habiter Laversine dans l’Oise, qui aime le Valois et Gérard de Nerval, et qui admire la ville de Soissons, admet « Je regarde les paysages et je peins ce que je vois. Seulement, je vois de l’intérieur, et je peins des paysages intérieurs. »
En plus des tableaux de l’Arsenal, dont presque tous viennent de la collection personnelle de l’artiste, il a créé une installation vidéo autour de Nerval, alors qu’un tondo (tableau rond) solitaire illumine la cour du Jeu de Paume du château de Villers-Cotterêts.
Ricorda XII, dans la cour du Jeu de Paume du château de Villers-Cotterêts
Le catalogue de l’exposition contient un assemblage de citations – l’artiste parle d’un « tressage textuel » – de Nerval, de lettres d’amour envoyées pendant la Guerre par le père de François Rouan à sa femme, et de notes de travail de Rouan lui-même. Les trois sources s’informent, se contrastent, et questionnent le lecteur, amené à ne pas reconnaître d’éventuelles correspondances, ou à en inventer lui-même.
François Rouan a déclaré « La fonction de l’art, selon moi, devrait être de tisser un voile d’ombre pour filtrer sans l’occulter le galop des émotions. » Et si l’on prenait cette remarque comme un mot d’ordre pour revisiter Tressages ?
Histoires de tressages, Arsenal jusqu’au 20 octobre
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