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Le Vase des Arts

Que le verbe devienne chant

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L'art de parler

Avec un appareil photo à un spectacle de catch

La césure d’été laisse une place dans cette chronique pour un billet plus personnel. Et pour un constat : à la Rentrée 2024 le Vase des Arts, annexe du Vase Communicant, existe depuis dix ans.

Un anniversaire invite un chroniqueur à considérer ses écrits du passé, disparus dans le trou noir qui attend le journalisme quotidien, hebdomadaire, mensuel.

La décennie occupée à suivre et à commenter l’activité artistique et culturelle locale (et à l’occasion ailleurs) a pu éclairer des lecteurs, ou pas. L’idéal, je l’avoue, est d’être lu, moins pour l’information ou son analyse que pour le simple plaisir de la lecture.

Il ne s’agit surtout pas d’éblouir ni de rebuter par un savoir que je ne prétends pas posséder. La chronique vise à décrire, apprécier, et discerner un contexte.

Un événement a lieu puis j’écris, et presque toujours l’acte d’écrire mène à un niveau plus profond. C’est cet approfondissement qui justifierait les billets du Vase des Arts.

Après ce bilan décennal, que tout lecteur est invité à commenter (*), voici un billet d’avant le Vase des Arts et qui faisait partie du compte-rendu d’une exposition.

J’ai grandi en parlant l’anglais d’Irlande ; pour des raisons familiales je pratique confusément le néerlandais. Mais je vis en français. Les éloges qu’on me fait sur mes compétences ne font que ressortir, bien sûr, le fait que je ne le parle pas en natif. Je fais des fautes, tout en sachant en déguiser la plupart, et l’accent irlandais reste indécrottable. Mon anglais d’enfance en était déjà fortement teinté, et c’est avec cet accent-là que les lèvres pervertissent le français.

J’aime d’amour le français pour sa grâce, et je tente volontiers le numéro d’équilibriste nécessaire pour le parler avec élégance mais sans prétention.

La langue possède tant de clarté que ses tournures peuvent paraître inévitables, statiques même. Le tout est d’y mettre du mouvement en gardant sa rigueur. J’aime son aptitude aux saillies d’esprit, brillantes ou évidentes. Pas besoin d’être original : un commerçant rappellera à tout client maladroit qui laisse tomber ses pièces jaunes par terre que « pourtant, Monsieur, ça se sème mais ça ne pousse pas ». Chacun se félicite alors d’appartenir au peuple le plus spirituel du monde.

L’anglais, en revanche (mot combatif adéquat aux relations entre les deux cultures) regorge de nuances et variantes, par son gigantesque vocabulaire puisé aux deux sources saxonne et latine. Le danger est de se perdre dans le dédale des possibilités. La poésie anglaise est en couleur ; la française en noir et blanc. Chacune met l’essentiel en mots aussi bien que l’autre.

« Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer » selon Voltaire. De même, si le mot « baragouiner » était absent du français, il faudrait l’inventer, pour dire la façon dont je parle le néerlandais. J’ai ramassé ses éléments comme on cueille des fleurs le long d’un chemin creux, et le résultat est bien embrouillé. Cela me permet tout de même d’entrevoir la beauté de sa sévère syntaxe germanique, mais sans la prolifération de conjugaisons et déclinaisons de l’allemand. J’aime la formation pragmatique des mots (le lierre est « klimop », c’est-à-dire « la grimpe », un gant est un « handschoen », c’est-à-dire une chaussure de main).

En anglais je flotte comme dans le liquide amniotique. En français, je nagerais assez bien dans une course pour gagner une médaille (de bronze, n’exagérons pas). En néerlandais je me débats comme un gros monsieur tombé dans un étang et qui risque la noyade à chaque moment.

L’anglais a toujours été d’importation en Irlande, et dans les abîmes de mon anglais maternel se mouvait la langue originelle, n’émergeant que dans des tournures, des mots dont j’ignorais l’origine. Je ne parle pas le gaélique, ne l’ayant pas appris à l’école, une absence qu’explique la fracture confessionnelle (et par là politique) de la partie de l’île dont je suis originaire. Plutôt « Je ne le parle pas encore », car je garde l’espoir de m’exprimer un jour sans accent, et seul l’irlandais de ma région me le permettrait. J’admets aussi en attendre que, voix et parole enfin réconciliées, le verbe devienne chant.
Marque-pages Soissons, janv.2010

 (*) Un commentaire ? denis.mahaffey@levase.fr

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