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Exposition

Gérard Fromanger 1939-2021

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L'art de Fromanger

Gérard Fromanger à l'Arsenal

Les galeries d’art retiennent parfois, pour ceux qui les fréquentent, une ombre de ce qui y a été exposé par le passé, laissent une image antérieure sur la rétine. Des sous-couches picturales qui ne parasitent pas les nouveaux tableaux sur les murs, mais  les intensifient : Regardez nous bien, bientôt nous ne serons pas là, nous serons remplacés, il ne restera de nous qu’un catalogue dans les archives et, au mieux, un écho derrière les pas de ceux qui nous scrutent et qu’entendront ceux qui les suivront.

A l’Arsenal de Soissons, comment consigner à l’oubli les intérieurs de Gilles Marrey, qui invitaient le spectateur à entrer, comme chez lui ? Ou le sol du réfectoire de Saint-Jean-des-Vignes plein de lumière, recouvert des sacs d’hôpitaux militaires peints par Daniel Chompré, comme un caravansérail du désert ?

Gérard Fromanger, dont la mort a été annoncée, y a déposé la mémoire de ses couleurs vives, avec une dominante rouge (l’article dans Le Monde s’intitule « Le rouge en deuil »). Son exposition de 2018 était Annoncez la couleur !

Un article est paru dans le Vase des Arts à cette occasion. Le voici, en souvenir d’un artiste engagé.


Fromanger à l’Arsenal : un été en couleurs

La position de Gérard Fromanger en tant qu’artiste est claire et simple : “Je suis dans le monde, pas devant le monde.” Il ne veut pas regarder autour de lui en spectateur afin de traduire ce qu’il voit en peinture à l’intention de ceux qui verraient ses tableaux ; il peint en tant qu’acteur, homme engagé.

L’exposition Annoncez la couleur ! marque les retrouvailles du public soissonnais avec l’art contemporain à l’Arsenal, après deux ans d’expositions plutôt scénographiques. Les salles en haut et en bas sont remplies de plus de 100 tableaux de Gérard Fromanger, illustrant ses engagements artistiques et politiques depuis les années 60.

Il y a cinquante ans, il faisait partie de l’Atelier des Beaux Arts, l’organisme créé dans les turbulences de Mai 1968 pour imprimer des millions d’affiches de campagne, représentant une révolution graphique. Le retour à l’atelier d’artiste après cette période d’activisme n’aurait pas été facile.

En réaction contre l’art abstrait qui régnait à l’époque, il a adhéré au mouvement naissant de la Figuration Narrative. Ainsi son œuvre foisonne d’éléments reconnaissables. Le spectateur, au lieu de devoir attribuer un sens personnel aux images qu’il voit, voit des éléments familiers, mais dont la disposition et les couleurs sont déconstruites et reconstruites selon la vision du peintre.

En parallèle à son adhésion à la Figuration Narrative, Fromanger a approfondi son étude des couleurs primaires. Ainsi il adopte une démarche par laquelle les couleurs sont traitées, moins en fonction de nuances, que par rapport à leurs composantes primaires. C’est ce qu’il appelle une “stratégie des couleurs”, par laquelle ces couleurs et leurs relations font partie des intentions de l’artiste. Libérées du naturalisme, ses toiles rayonnent intensément.

Dans le grand espace au premier étage de l’Arsenal, il a été possible d’accrocher quatre des cinq très grands tableaux de la série Quadrichromies. Peu de salles d’exposition le permettent. Trois des quatre adoptent une couleur primaire pour le fond : noir, jaune, bleu. Le tableau rouge manque : il est exposé actuellement à Marseille. Le quatrième, De toutes les couleurs, peinture d’histoire, que Fromanger a mis un an à peindre, alors que la première guerre du Golfe avait éclaté. Il montre comment l’art, la politique, la culture résonnent entre eux, le tout éclaboussé de sang. La richesse iconographique du tableau est telle que le spectateur pourrait s’asseoir devant et passer une journée à observer ce qu’il voit.

Un des cartons de vitrail pour Anizy-le-Duc

Le mur en haut de l’escalier est couvert des maquettes de vitraux pour l’église d’Anzy-le-Duc en Bourgogne. Seulement, l’évêché y a détecté une absence de référence chrétienne dans ces scènes, et le projet a été remis en question. Une déclaration de l’artiste, selon laquelle “les hommes ont inventé les dieux“, n’a pas aidé. Il reste ces cartons, rempli d’une foule de silhouettes rouges en marche.

Fromanger peint “par série”, comme celle du Boulevard des Italiens, peinte à partir de photos prises avec un photographe en une demi-heure un jour de 1971. Devant le paysage urbain, des silhouettes rouges s’affairent sur les trottoirs, traversant un passage piétons, se retrouvant devant une librairie. Il faut voir tous ces tableaux comme si l’on était dans le quartier soi-même, se laisser happer, vivre le mouvement des couleurs. Il faut être dans la vie du boulevard, non pas devant.

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Exposition

Kim KototamaLune : la lumière piégée

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L'art du verre

Le grand espace d’exposition de l’Arsenal est plongé dans une pénombre déroutante, brisée seulement par des taches de lumière éclairant les œuvres en verre de Kim KototamaLune. Cette artiste d’origine vietnamienne est accompagnée de son collectif Bones and Clouds (Jean-Benoist Sallé et Stéphane Baz) pour l’exposition 3.5, qui passera l’été au musée.

Après avoir travaillé des matériaux plus traditionnels, l’artiste a choisi le verre, filé au chalumeau, thermoformé ou soufflé.  Sa spécialité est de le filer sans matrice, par le vide, minuscule soudure après soudure, réseau après réseau, pour créer des filets qu’elle utilise pour créer toutes les formes qui l’inspirent. Le sommet d’une structure en forme d’obus est recouvert ainsi par une résille qui ressemble à une écharpe abandonnée, ou de l’eau savonneuse : quelque soit l’interprétation du visiteur, il voit d’abord, non pas la matière de la sculpture, mais la lumière qu’elle piège dans l’éclairage.

Kim KototamaLuneau au vernissage

Dans la petite salle de l’espace, un balancier muni d’un rocher arrondi (en réalité fait de polymère) suit son mouvement de va-et-vient au dessus d’une longue table. Y sont empilés de petits objets d’une grande délicatesse, comme des récipients, flacons, bols, mais dont les formes de base s’entourent d’un nuage de petites branches, comme si la matière se dissipait sous la menace du rocher.

L’exposition fait suite à Deus ex machina de 2021 et le commissaire scientifique reste Clément Thibault, spécialiste de l’art numérique. Pour lui, le titre se réfère au fait que, au lieu des trois dimensions familières, il y en a sans doute plus – ou moins. Il est possible de suivre ses raisonnements sur la virtualité ; ou bien plonger le regard, sans arrière-pensée, dans ces œuvres diaphanes, délicates, ravissantes, qui reflètent la lumière tout en paraissant la consommer, la devenir.


“3.5”, musée de l’Arsenal jusqu’au 3 sept.

[Cet article paraît dans le Vase Communicant n°357.]

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Exposition

Purevbaatar Tumurchudur, peintre et musicien mongol : première exposition en France

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L'art de la peinture et de la flûte

Une amulette de protection

Le café associatif Au Bon Coin fait connaître de nombreux peintres, sculpteurs, graveurs, photographes, en leur ouvrant sa petite galerie, de la taille d’une chambre à coucher, Il a réussi un coup en y hébergeant la première exposition en France de l’artiste et musicien mongol Purevbaatar Tumurchudur (« Puugii » pour son entourage).

Le cerf rouge

La Mongolie appartient a ces quelques pays qui mettent le feu à l’imagination par leur taille (1 500 000 kilomètres carrés pour les trois millions de Mongols), leur histoire tumultueuse (le Mongol Genghis Khan a créé le plus grand empire contigu qui a jamais existé – mais qui s’est presque aussitôt évanoui), et surtout parce que peu de gens savent, sans aller chercher un atlas, où ils se trouvent (la Mongolie est entre la Russie au Nord et la Chine au Sud).

Puugii est né en 1976 à Oulan Bator, capitale de la Mongolie. Lourdement handicapé de naissance, à cause d’un médicament prescrit à sa mère, il aurait pu rester à l’écart de la vie active. Mais il avait une telle force de caractère qu’il a fait la grève de la faim pour aller à l’école « Mon père m’y portait sur le dos, et mes camarades de classe me montaient jusqu’au 4e étage. »

Après avoir gagné un prix à quinze ans dans un concours national de dessin, il a participé à de nombreuses expositions, puis étudié aux Beaux-Arts. Sa première exposition individuelle a eu lieu en 2013 dans une galerie de la capitale.

Puugii est arrivé en France en 2017 avec sa femme « Muugii » (« Papa » et « Maman » en langue mongole) et leurs quatre enfants. Ils vivent à Compiègne. Ayant obtenu ses « papiers », comme on dit, il s’est trouvé dans l’obligation administrative d’apprendre le français. Il est entré ainsi en relation avec l’association Solidarité et Jalons pour le Travail, dont la professeure de français, Annie Molina, venue au vernissage de son exposition pour l’accompagner et raconter son histoire. L’association humanitaire soissonnaise Yo Contigo l’a connu à travers son atelier hebdomadaire à Compiègne. Anne Miranda, à la fois présidente du Bon Coin et bénévole à Yo Contigo, lui a proposé une exposition à Soissons.

Malgré les obstacles que la vie a posés sur son chemin – ou peut-être à force de les franchir – Puugii est un homme affable, souriant, avec un regard espiègle. Il parle français, certes avec quelques trous (qu’Annie Molina est toujours prête à combler à sa place).

Avant de montrer ses toiles, Puugii a donné la preuve d’un autre talent, en jouant une flute mongole. L’instrument a été adapté pour lui permettre d’accéder aux deux dernières notes du bas avec le moignon de son bras droit. Cette musique donne déjà un avant-goût du pays, loin par la distance, mais dont la musique est presque familière, dont un air qu’il a composé en hommage à sa femme.

Pour voir la vidéo, cliquer sur le lien.

La galerie offre un concentré de l’art de Puugii, qui reproduit non pas les paysages de steppes et montagnes, mais les contes, les images icônes, un monde qui est vaste aussi, à l’échelle du pays. Comment trouve-t-il ses sujets ? « Je forme des projets dans ma tête et puis je peins. » Les images traduisent un monde inconnu à l’Occident, mais possèdent l’universalité des légendes et mythes, un langage accessible à tout spectateur prêt à laisser éveiller son l’imagination.


Exposition ouverte jusqu’au 3 juin, les mardi, mercredi et jeudi de 10h à 14h, et le samedi de 9h30 à 12h.

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Exposition

André Kertész : la vérité graphique du monde

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L'art de la photo

Au milieu du grand hall d’entrée du lycée Léonard-de-Vinci de Soissons il y a un bassin circulaire carrelé, de la taille d’une généreuse piscine de jardin, mais en plus profonde. Il ressemble à une petite piscine, mais sans eau. Il y a des marches pour descendre à l’intérieur, et le fond est entouré d’un rebord comme un banc pour s’asseoir, lui donnant un air de mini-amphithéâtre.

Treize grands panneaux contenant des photos prises par André Kertész, le photographe franco-hongrois, sont accrochées en haut, autour du bassin, sur les deux tiers de sa circonférence.

La galerie d’art du lycée étant temporairement indisponible, Hortense Garapon, professeur et responsable des expositions, a pu utiliser cet autre endroit pour accrocher les images du photographe. Comme le souligne le proviseur Dominique Haraut, un lycée général, technologique et professionnel s’occuper aussi de sensibiliser ses élèves aux arts, d’où le riche programme d’expositions qui s’y succèdent. Les classes les visitent en compagnie d’enseignants aptes à enrichir leur perception de ce qu’ils voient.

En photographiant, Kertész n’a pas les mêmes objectifs que ses trois grands contemporains, Doisneau, Willy Ronis ou Cartier-Bresson. Eux excellent à saisir un regard, un geste, un mouvement qui révèlent la nature humaine de ses sujets, souvent jeunes, souvent dans la rue. Les images de Kertész sont fréquemment vides, ou bien les êtres humains sont photographiés sous un angle qui les cache, ou en silhouette, ou dominés par leur propre ombre.

Son propos n’est pas de créer une émotion par une vision de l’humanité. D’ailleurs, il y renonce clairement : « Ce n’est pas le sujet qui fait une photographie, mais le point de vue du photographe. »

Ce qu’il explore et découvre et illustre est la nature graphique de ce qui est photographié. Que ce soit une foule en file indienne autour d’une église, ou son autoportrait, dans lequel il est derrière un verre cathédrale qui l’obscurcit, ou, dans sa série Distorsions, un corps de femme nue déformée par un effet optique, Kertesz dégage, dans chacune de ses images, les schémas graphiques, lignes, objets, ombres, par lesquels le monde se dessine – « la mécanique du monde ».

Kertesz choisit souvent une vue en plongée, ce qui l’éloigne suffisamment de ce qu’il photographie pour révéler les formes qui nous entourent et dans/par lesquelles nous vivons. De trois enfants côte à côte on ne voit que les têtes d’en haut, le détail des corps n’apparaissant que dans les ombres projetées par terre. Le point de vue éloigne les enfants vivants pour révéler la disposition des formes qu’ils créent.

Un homme se cabre, son corps, noir dans la lumière du fond, devenant un élément presque imaginaire. L’œil du visiteur remarque, non pas la nature de l’homme, mais le fait que la végétation, dressée derrière son dos, paraît se plier devant son approche. La nature devient graphique.

Une autre photo montre l’entrée de la maison du peintre Mondrian. Un regard rapide ferait penser à un tableau de Bonnard, auquel il ne manquerait que la couleur, la femme et peut-être la baignoire. En l’absence de ces éléments l’œil se met à percevoir les formes que montre l’image, le cadre de la porte laissant voir le palier éclairé, l’escalier qui monte, la rampe. Il y a aussi la courbe qui fait, non pas voir mais deviner l’escalier qui continue de descendre. L’avant-plan est plus sombre, jusqu’à cacher le détail de certains éléments, mais, au milieu, une plante est éclairée par la lumière entrant par la porte et créant, en contrepartie, l’ombre portée par la plante et son pot sur la table.

L’image montre, non pas les personnes qui monteraient et descendraient les marches, qui passeraient par la porte, qui regarderaient la plante, mais l’assemblage graphique de ce qui entoure leur vie. C’est, comme il l’a dit, non pas le sujet de la photo qui compte, qui innove, mais le point de vue choisi par celui qui photographie.


L’exposition Kertész, organisée en commun avec Diaphane, pôle photographique de la région des Hauts-de-France, avec des photographies venues de la Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie, est ouverte jusqu’au 13 mars.

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